Non à l’alcoolisme !

Le 13 octobre c’était donc mon anniversaire. Quelques jours avant, par un beau matin, mon frère déclara : « 69 ! Ça se fête ! ». Il affichait un sourire narquois comme il le fait lorsqu’il pense à des choses. Ma sœur m’expliqua ce qu’il en retournait. Et comme je ne comprenais rien de rien, elle s’installa à l’ordinateur.
L’ordinateur, vous savez, c’est cette télévision qui n’en est pas vraiment une. La télé, ça je sais la faire fonctionner. Mais l’ordinateur, hou ! Ça s’est compliqué.
Bref, ma sœur fit défiler des images, mes braves amis, vous ne pouvez l’imaginer. Je préfère ne pas les décrire tellement c’était épouvantable.
- J’vâs faire ça ?
- Mais non, bêta, c’est pour te taquiner.
Ouf !

 

J’en n’étais pas au bout de mes peines. Voilà-t’il pas qu’ils voulaient acheter quelque chose de raffiné. Pour se faire, ils devaient se rendre à la grande ville. Oh, ce n’était parce que c’est loin, dans les trente kilomètres comme ça. Pensez-vous. Je n’avais point peur qu’ils eussent un accident. Je sais bien qu’ils ne font pas les fous sur la route.
C’est que là-haut, dans les villes, ils ont tous la Covid. Ma sœur et mon frère firent une moue désagréable. Si ! Ils l’ont dit dans la radio. J’ai entendu ça, moi. Même que le Président de la République va prendre des mesures. Et je vais vous dire, l’autre fois pendant le confinement, il y a des Parisiens qui s’étaient réfugiés dans le village pour échapper à la Covid.
Ma sœur et mon frère balayèrent d’un revers de main mes réticences : ils mettraient un masque et emporteraient du gel hydro alcoolique. De toute façon, moi, je resterai à la maison. Pensez-voir, je ne demandais pas mieux. Bon, ils ont bien fait d’y aller. Ils ont été prudents. N’empêche que dès leur retour, j’ai vérifié qu’ils n’avaient pas la Covid avec eux. Ni sur eux, ni dans leurs sacs.

 

Ils voulaient se rendre dans la grande ville pour acheter des bonnes choses. Mais, voilà, ils ne savaient pas où aller. C’est qu’il y en a des magasins dans la grande ville. En veux-tu en voilà, des grands, des petits, des luxes, des médiocres… Comment s'y reconnaître quand on n’a pas l’habitude de fréquenter ces lieux ? C’est ma sœur qui en a eu l’idée : demander à notre voisin de derrière des adresses. Lui, il a une grosse maison, une grande piscine couverte et, surtout, un supermarché à une quatorzaine de kilomètres de chez nous.
Je vous le dis carrément, moi quand je vais au supermarché, je ne vais pas chez ce bourgeois. Pas parce qu’il a fait abattre les baraques à nos voisins. Tout ça parce qu’elles empiétaient son terrain sur vingt centimètres. Ni parce que c’est tout juste s’il ne m’écrase pas parce que je ne suis pas assez rapide pour grimper sur l’herbe quand il passe avec sa grosse voiture. Une SUV allemande m’a dit ma sœur. Encore heureux qu’il ne m’est jamais éclaboussé lorsqu’il y a des flaques d’eau sur le bitume !
Non, je vais pas à son supermarché tout simplement parce que, depuis toujours, je vais au supermarché dans une autre petite ville. Oh, c’est même plus proche, à une douzaine de kilomètres. D’ailleurs, mes parents allaient déjà là-haut.

 

A vrai dire, ma sœur n’avait pas demandé les adresses miracles au bourgeois, mais à sa dame. Elle, au moins, quand elle passe avec sa grosse voiture, elle ralenti et fait bonjour. Bref, la dame lui avait donné de biens bonnes adresses.
En entrées, on avait du foie gras, du saumon, des coquilles Saint-Jacques. Ensuite du cassoulet. Des fromages en veux-tu en voilà. En accompagnement avec les entrées, on avait du whisky. Un whisky qui venait du Japon. Oui, oui, là-bas, ils font aussi du whisky. Et avec le cassoulet du vin rouge. Un bon Bordeaux dans un cubitainer avec un joli robinet rouge. Ils l’avaient payé cher, je peux vous l’assurez. Je les ai assez entendus le dire en se lamentant. Je les comprends, le repas avait, comme qui dirait, été gâché.

 

Oh, le cassoulet ! Pas en boîte, n’est-ce pas ! Non, un vrai de vrai cassoulet. Ils avaient passé des heures pour le préparer et encore plus pour le faire mijoter. Le cassoulet est un de mes plats préférés presque à égalité avec la choucroute. Mais, la choucroute en octobre, ça ne se fait pas, c’est encore trop tôt. Nous, par tradition, on ne mange la choucroute qu’entre novembre et mars. Ben oui, c’est en novembre, qu’autrefois, notre papa râpait ses choux, les mettait dans un tonneau et les laissait fermenter un an plein.
Ah, le bordeaux, Inoubliable ! Ils l’avaient trouvé chez un caviste, un bien beau cubitainer de trois litres avec un joli robinet en matière plastique rouge. Mais, mes braves amis, du bon comme vous ne pouvez l’imaginer. Ils l’avaient payé bien cher. Allez vâ, pour mon anniversaire on n’est pas regardant. Mon frère et ma sœur étaient prêts à faire des folies. Un très grand crû, le summum du Bordeaux avait prétendu le caviste.

 

Le cassoulet mijotait. Ma sœur peaufinait la présentation des entrées. Mon frère dressait la table. Les belles assiettes des faïenceries de Sarreguemines. Celles qu’on avait héritées de nos parents, celles qu’on ne sortait que dans les grandes occasions. Je vais un peu vite en besogne. Car, à ce moment-là, le drame était déjà arrivé.

 

De bonne heure, mon frère avait prévu de remonter le fabuleux cubitainer de Bordeaux. C’est que, grand amateur de vin, mon frère fait ça dans les règles de l’art. Le Bordeaux devait être chambré lorsque nous le dégusterions. Le Bordeaux devait être mis dans une belle carafe. C’est ainsi que tout guilleret, il partit pour la cave. Il en revint bien courroucé, je peux vous l’assurez.
Lorsqu’il descendait les marches accédant à la cave, de joyeux piaillements l’accueillirent… Il avança jusqu’à l’endroit où il avait déposé le beau cubitainer… Au pied du cubitainer, horreur ! Une flaque…
Pataugeant dans la flaque, tout en lapant avidement, cinq mulots… Du cubitainer s’échappait un filet… L’un des mulots ou peut-être plusieurs s’étaient hissés jusque là. Ils avaient perforé le tuyau en matière plastique juste avant le superbe robinet rouge…

 

Le 20 octobre 2020

 

Date de dernière mise à jour : 28/12/2023

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