Après la rue des banques, la vaste surface était occupée par les vitrines provocatrices des magasins de luxe et de mode, les agences de voyages et les grandes librairies. Produits de beauté, articles en porcelaine ou en verre, objets décoratifs étaient une véritable provocation pour les jeunes en guenilles qui restaient rêveurs devant de telles belles choses.
Les cafés et les restaurants étaient, pour ainsi dire, interdits à l’Africain moyen, les prix élevés dissuadaient aisément les plus téméraires… Le bas peuple était bien dans la rue mais pour cirer les chaussures, vendre des sèches (cigarettes), des gâteaux (pains au chocolat, pains aux raisins, etc.), des montres, des journaux ou pour regarder avec envie ces gratos (grands patrons), ces génitos des administrations (petits fonctionnaires), ces « Ivoiriens qui ont réussi », ces Français qui dirigeaient leur pays et ces minets libanais enrichis par le commerce paternel.
On trouvait des cireurs de chaussures à chaque coin de rue. Ils se erraient de café en café, proposant leurs services. C’étaient en général des adolescents de 12 à 16 ans, bien souvent des écoliers. Par se moyen, ils essayaient de se faire un peu de pokô (argent). « Blanchir, madame ? Blanchir monsieur ». Et le jeune, un flacon de blanc à la main s’approchait :
- Tu ne trouves pas que nous sommes assez blancs comme ça ?
- C’est vos tennis qui sont sales, je vais les nettoyer.
Les camelots vendaient aussi des boîtes d’allumettes éducatives. Chaque lettre correspondait un mot et un petit dessin : A = Ananas (avec le dessin d’un ananas) ; B = Banane ; D = Daba (instrument aratoire) ; C = Cheval ; F = Feu ; I = Igname ; V = Voiture ; W = Wagon ; etc. Les diphtongues étaient également illustrées : ien = Chien ; etc. D’autres boîtes énuméraient les chiffres : 1 = un ; 2 = deux ; et ainsi de suite jusqu’à 9, sans oublier le 0 = zéro.