Le Plateau d’Abidjan

 
 

A une extrémité du Plateau, se dressait le musée d’ethnographie qui offrait des collections de masques, de portes de case sculptées, des bijoux et des objets d’artisanat de toute la Côte d’Ivoire. A l’autre extrémité Treichville. Le Plateau était une presqu’île entourée à l’Est par la baie de Cocody et à l’Ouest par celle de Banco. C’était le centre d’Abidjan, hérissé de tours moderne, il n’était pas ans leur rappeler La Défense. Surtout lorsqu’on arrivait par le Pont de Neuilly, pardon par le Pont Houphouët-Boigny. Mais, ils avaient beau détaillé le paysage, il ne trouvait pas la tour G.A.N. …
Le Plateau, c’était le quartier de prestige, là où les grandes tours et les buildings à l’horizontal dominaient. C’était le quartier des affaires. Les banques étaient regroupées dans une rue, la B.I.A.O., la B.I.C.I.C.I. et la S.G.B.C.I.
Cette dernière était la filiale de la Société Générale. Elle occupait un petit building horizontal. Un peu avant l’ouverture, des dizaines de personnes se massaient contre les lourdes portes en fer forgé. Dès que les portes s’entrouvraient la foule se précipitaient en se bousculant vers la multitude de guichets. Eux, sans se presser, choisissaient le guichet des « Retraits en Francs Français », beaucoup plus calme. Sans problème, ils sortaient leur chéquier de la Société Générale (française), le libellaient, présentaient soit leur passeport ou une carte d’identité et retiraient tout l’argent qu’ils désiraient sans aucune autre formalité. Une seule limite : 3.000 FF par quinzaine.

 

Après la rue des banques, la vaste surface était occupée par les vitrines provocatrices des magasins de luxe et de mode, les agences de voyages et les grandes librairies. Produits de beauté, articles en porcelaine ou en verre, objets décoratifs étaient une véritable provocation pour les jeunes en guenilles qui restaient rêveurs devant de telles belles choses.
Les cafés et les restaurants étaient, pour ainsi dire, interdits à l’Africain moyen, les prix élevés dissuadaient aisément les plus téméraires… Le bas peuple était bien dans la rue mais pour cirer les chaussures, vendre des sèches (cigarettes), des gâteaux (pains au chocolat, pains aux raisins, etc.), des montres, des journaux ou pour regarder avec envie ces gratos (grands patrons), ces génitos des administrations (petits fonctionnaires), ces « Ivoiriens qui ont réussi », ces Français qui dirigeaient leur pays et ces minets libanais enrichis par le commerce paternel.
On trouvait des cireurs de chaussures à chaque coin de rue. Ils se erraient de café en café, proposant leurs services. C’étaient en général des adolescents de 12 à 16 ans, bien souvent des écoliers. Par se moyen, ils essayaient de se faire un peu de pokô (argent). « Blanchir, madame ? Blanchir monsieur ». Et le jeune, un flacon de blanc à la main s’approchait :
- Tu ne trouves pas que nous sommes assez blancs comme ça ?
- C’est vos tennis qui sont sales, je vais les nettoyer.
Les camelots vendaient aussi des boîtes d’allumettes éducatives. Chaque lettre correspondait un mot et un petit dessin : A = Ananas (avec le dessin d’un ananas) ; B = Banane ; D = Daba (instrument aratoire) ; C = Cheval ; F = Feu ; I = Igname ; V = Voiture ; W = Wagon ; etc. Les diphtongues étaient également illustrées : ien = Chien ; etc. D’autres boîtes énuméraient les chiffres : 1 = un ; 2 = deux ; et ainsi de suite jusqu’à 9, sans oublier le 0 = zéro.

 

Oui, ici, les buildings rivalisaient de beauté et d’élégance : tours miroirs reflétant les tours voisines, miroirs en biais renvoyant l’image du piéton qui passait à proximité, building en forme de pyramide. Entre ces séries d’immeubles de verre, d’acier et de béton, l’on trouvait des petits marchés africains, des vendeurs d’artisanat local (près de l’Hôtel de Villes). Pour les moins fortunés, les grill-bus rouges servaient steaks ou poulets frites. La cuisine et le bar étaient installés dans un ancien bus des Transports Abidjanais, tandis que les clients mangeaient sur une petite terrasse abritée.

 

En ce qui concerne la culture et les divertissements, Abidjan était bien pauvre. Cinq cinémas répartis dans différents quartiers : celui du Plateau, Le Studio, était le plus beau et le plus intéressants. Pour 500 F CFA, ils allèrent voir « Le retour de Martin Guerre », « Countryman » (film en hommage à Bob Marley) et… « Les bronzés ». Au Club de l’Opéra, ils virent « The Jazz Singer » qui contait la vie amoureuse, religieuse et professionnelle d’un chanteur américain. Egalement un film sur les Doors et Jimmy Hendrix, dont la copie était pourrie.
Imaginez-vous qu’un jour de fête, ils burent disons deux bières chacun. Ils allèrent au cinéma et terminèrent la soirée dans une pizzeria. Une soirée normale, cela leur arrivait souvent lorsqu’ils étaient en France. Eh bien, dans cette journée, ils dépensèrent la paie mensuelle d’un ouvrier abidjanais des quartiers populaires. C’est ça l’Afrique, d’un côté les gratos, les génitos et les touristes qui nagent dans l’opulence, de l’autre les pauvres qui se débattent comme ils peuvent pour survivre.
Quelques boîtes de nuit étaient installées au Plateau, telle L’Oxygène (boulevard Charles-de-Gaulle). Mais le plus grand choix des divertissements se trouvait dans les restaus de luxe : pizzerias, français, chinois ou vietnamiens, toute une gamme complète et… très chère.
Un grand supermarché offrait autant de produits que les grandes surfaces françaises. Dominant la baie de Cocody, un petit square attirait promeneurs, rêveurs et amoureux.

 

Les librairies proposaient un très large éventail de livres : pour enfants, science-fiction, tourisme-voyages, livres de poche, bandes dessinées, etc. Une mention spéciale pour les livres politiques, les rayons offraient des Marx, des Lénine, d’autres livres de propagande socialiste, contre l’impérialisme en Afrique, contre le néocapitalisme africains (entre autres les Ivoiriens). Cela semble paradoxal de trouver une telle littérature dans un pays de dictature ? Eh bien non, parce que dans ce pays, le prix d’un livre équivaut à la paie hebdomadaire d’un Africain moyen.A l’image des livres, en plus de ceux d’Afrique, ils trouvèrent toutes les revues et journaux français. La publicité d’une de ces revues était justement : « L’Express, le vendredi comme à Paris ».

 

Les sièges des assurances étaient également implantés dans le quartier : les A.G.F. et l’Union Africaine. Cette dernière compagnie d’assurances occupait une belle petite tour qui dominait la baie de Cocody. Le hall moderne et agréable permettait d’accéder, par un escalier, aux bureaux spacieux, climatisés et ensoleillés par de larges baies vitrées. Trois à quatre personnes travaillaient dans ces bureaux « agréables ».

 

Jusqu’à présent, l’hôtel le plus coté était l’Hôtel Ivoire, proche l’Union Africaine. Mais l’Hôtel Hilton serait encore plus luxueux et plus grand. Ils purent admirer la fébrile activité qui régnait sur le chantier. Tandis que le chantier, de l’autre côté de la rue, était au point mort… faute de crédits. C’était le chantier du nouvel hôpital. Sûr, un équipement de ce genre était moins rentable qu’une tour de prestige !
Toujours dans le domaine du fous-moi z’en plein la vue, au bord du boulevard Charles-de-Gaulle, l’immense stade Houphouët-Boigny abritait sa belle pelouse derrière de grandes tribunes couvertes. Un peu plus loin, l’Assemblée Nationale et le Palais de Justice. De l’autre côté du Plateau, sur la baie de Banco, on trouvait le Palais de la Présidence, l’Hôtel de Ville et plusieurs bâtisses de style colonial.

 

Le centre de la Place de la République était occupé par un ridicule obélisque glorifiant la République Ivoirienne. Une pelouse circulaire entourait le monument. A gauche, un peu semblable aux gradins d’une arène, le building de la Poste présentait une façade moderne et formait un arc-de-cercle. Son frère jumeau, le building de l’E.E.C.I. (Energie Electrique de Côte d’Ivoire) occupait la droite. Entre les deux, venant du Pont Houphouët-Boigny, la grande avenue de la République s’échappait vers le centre du Plateau, puis Adjamé. Deux files d’automobiles montaient par là tandis que la troisième file, à contresens, permettait aux autobus d’atteindre Treichville.
Le moderne immeuble de la Poste possédait une galerie couverte qui abritait quelques marchands de timbres, de bobs (cigarettes) et de cartes postales. Le grand hall était occupé par une multitude de guichets. La galerie était également fréquentée par les margouillats, ces lézards-iguanes que l’on trouve partout en Afrique Occidentale. Les gros margouillats bruns ou violet à la tête orange étaient les mâles. Les plus minces et les plus élégants étaient les femelles. Ces reptiles gobaient toutes sortes d’insectes. Ils se déplaçaient rapidement, grimpaient sur les arbres et les murs, s’arrêtaient pour guetter leur proie en balançant leur tête de haut en bas.

 

Complètement à droite de la place et au bord de la lagune s’étendait la gare routière des Transports Abidjanais. Ici, se rangeaient tous les bus vert et jaune pour ensuite repartir vers Treichville, Marcory, Adjamé, Abobo, etc. D’ici, l’on pouvait se rendre dans n’importe quel quartier d’Abidjan pour 175 F CFA.
Il y avait de très nombreux bus pour chaque ligne, la ville était bien quadrillée. C’est ce qu’il apparaissait à première vue. Car les autobus étaient toujours bondés, les Abidjanais n’avaient guère d’autres possibilités pour voyager. Ainsi, les autorités envisageaient-elles de construire des lignes de tramway.
Comme autrefois dans les bus parisiens, la montée s’effectuait par l’arrière où un caissier est installé. La descente se faisait par l’avant et le milieu.

 

Une ligne de la R.A.N. (Régie Abidjan - Niger, les chemins de fer) reliait Treichville, le Plateau et Agban (au nord d’Adjamé). Les grosses sociétés avaient leur propre flotte de cars pour amener leur personnel sur le lieu de travail. C’est ainsi que les rues d’Abidjan étaient sillonnées par des véhicules aux couleurs de la S.G.B.C.I., de la B.I.A.O. (les banques), de la R.A.N., des Postes, de l’E.E.C.I. et d’autres. L’aéroport était desservi par les Transports Abidjanais et les cars d’Air France et ceux d’Air Afrique. Pour les plus fortunés, les taxis rouges japonais restaient un bon moyen de se déplacer. Les Cafés Noirs (chauffeurs de taxi) faisaient, à l’image de leurs confrères parisiens, des détours pour gagner plus d’argent.
Les petites voitures vertes (4L, R12) que l’on voyait partout dans Abidjan appartenaient à l’E.E.C.I.

 

Treichville était relié au Plateau par deux grands ponts qui enjambaient la lagune Ebrié. L’un s’appelait… Charles-de-Gaulle, l’autre… Houphouët-Boigny. A Abidjan les coquins voisinent.
Sur le coup de midi, trois longues files d’automobiles s’étiraient sur le boulevard Charles-de-Gaulle. Cet axe, fort long, menait à Cocody en longeant la baie du même nom.
La circulation était intense sur le pont Houphouët-Boigny. A ses extrémités, des échangeurs supprimaient tout carrefour dangereux. Le pont, lui-même, était à chaussée séparées. Mobylettes et bicyclettes empruntaient les… trottoirs, puis le tunnel piétonnier. Tunnel qui était l’endroit privilégié de ceux qui avaient envi de pisser et qui, pour l’occasion, ne ressentaient aucune gêne à montrer leur instrument en public.

 

Abidjan ne se limitait pas aux seuls quartiers de Treichville et du Plateau. Il y avait Cocody, le quartier rupin et très coté. Il y avait Vridi, Koumassi et d’autres… Marcory ne vit leur semelle qu’une seule fois, celle où leur pote Toili les emmena djafer (manger) dans le petit restaurant africain ressemblant beaucoup à ceux de Treichville, mais en moins bien. Une avenue semblable à la rue 12 pour ses commerces et camelots était continuellement embouteillée. Il est vrai que la circulation était perturbée par l’immense gare de taxis de brousse. Fourgon japonais, 22 Places (le Badjan Renault) et break français roulaient au pas sur deux, parfois trois longues files pour aller se ranger. Sur la place, c’était un enchevêtrement inextricable. Les taxis de brousse se frayaient le chemin à coups de klaxon et de coups de gueule. Les apprentis criaient leur destination, sautaient du véhicule pour essayer d’entraîner les éventuels clients chez leur patron. D’ici l’on pouvait se rendre dans n’importe quelle localité de Côte d’Ivoire. Un peu plus loin et face à la grande mosquée se trouvait une grande gare des Transports Abidjanais, ces bus vert et jaune.

 

Au nord d’Adjamé s’étendait la forêt tropicale de Banco. A l’entrée, des laveurs de linge battaient, tordaient et rinçaient le linge dans le fleuve. Pantalons, chemises, pagnes et boubous, de véritables bouquets multicolores, étalés sur l’herbe, séchaient au soleil.
Paraît que l’endroit était dangereux. Dès la tombée de la nuit, les nouchis rôdaient par-là. Ils pénétrèrent dans la forêt par une charmante petite route. Deux gars les accostèrent et discutèrent. Au bout d’un moment, ils prétendirent être les gardiens de la forêt. Ils leur réclamèrent un droit d’entrée de 1.000 F CFA pour chacun. Devant leur refus, ils leur présentèrent une carte professionnelle. Une de ces cartes que n’importe quel badaud pouvait acheter aux camelots d’Abidjan. Comme ils ne mordaient pas l’hameçon, ils les laissèrent poursuivre leur chemin, non sans avoir fait une… photo-souvenir.

 

Quelques centaines de mètres les menèrent au bord d’un petit lac où était installée une auberge. D’après le guide, ils devraient voir ici toutes sortes d’animaux de la forêt tropicale : éléphants, rhinocéros, panthères, lions, crocodiles, caïmans, pythons et autres serpents. Les cages étaient sales, les animaux étaient avachis, le zoo ressemblait plus à un bidonville qu’à un parc éducatif. Dire qu’à quelques kilomètres de là, ces animaux vivaient en liberté (En 1984, les enclos grillagés étaient vides et les bêtes avaient été déménagées).
Après avoir traversé un petit village, ils s’enfoncèrent dans la forêt par un petit sentier. Les arbres étaient très grands, des bambous formaient d’immenses bouquets tandis que quelques lianes tombaient des arbres…

lundi 13 mai 2002
sur des textes de 1982 et 1984

 
 

Date de dernière mise à jour : 16/08/2024

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