Le pot de crème

L’Oda et sa copine Mimie étaient en grand qwâroye avec le Guézète. Le figaro était sur le pas de sa porte, c’est là qu’elles l’y avaient trouvé.
- Y a rien dans ce patelin, pleurnichait l’Oda. Ah ! quand j’étais à Albi...
- Oda, persiffla le Guézète, t’es devenue une fille de la ville ! Tu devrais t’trouver un gars de Nânci.
- J’en connaissais un à Albi... Il est de Nâncie...
Elle prononçait « Nancy » d'une drôle de façon, à la fois on entendait une intonation bien de « chez nous » et en même temps une intonation du Midi. C’est que l’Oda était fière de son accent du Midi. Même si ses parents se moquaient d’elle... Malgré ses efforts pour le conserver, il s’amenuisait...

Ball2

- On devait s’revoir...
- Et jamais, il ne t’a donné de nouvelles ! conclut le Guézète. Oda, trouve-toi un gars de Nânci. Y’a plein d'ouvriers qui viennent de là-haut, profites-en... se boyauta-t-il.
- Un ouvrier ? Merci bien. Moi, j’veux un jeune, beau et riche...
- Qu’est-ce te fais à tripoter ton pot de crème ?
- Je viens de l’acheter chez Hanrion... Ma mère fait de la soupe ce soir... J’aime pas la soupe ! grimaça-t-elle Alors, je mets plein de crème...

 

Un gros camion passa… Le Guézète arrêta sa phrase. Le gros camion manœuvra là-haut...
- Il vient de Nânci... affirma le Guézète. Ils vont ouvrir un magasin où on trouvera de tout...
- La SANAL. Nénète m’en a parlé. Tu prends des notes ? le railla l’Oda.
- Je dois me tenir informé.
- C’en est où ? T’as reçu des réponses pour le journal ?
- Pas encore. Mais, j'ai bon espoir. Que ce soit le Répu ou l’Est, personne n’a de correspondant. Pourquoi pas moi ?
« Oda ! Oda ! » La Mimie désignait la camionnette qui descendait la rue…

 

 

 

Il était bien six heures du soir lorsque Léon des P2 décréta :
- Il y en a assez pour aujourd'hui. On va s’en jeter un ?
Georges n’attendait que ça. Ni une, ni deux, ils rangèrent leurs clous comme ils disaient en parlant de leurs outils et grimpèrent dans la camionnette. Au lieu de descendre la rue pour se rendre directement à la cantine (le café « Au Bon Coin »), Léon passa par la rue du Graouly :
- On va voir si les travaux avancent, fit-il en ralentissant pour mieux voir.
Ça avançait, il en fut content sans vraiment savoir pourquoi. Un gros camion manœuvrait à l’entrée de la Grande-rue.
- Ils vont ouvrir un magasin genre Félix Potin, dit Léon.
- Chèté-Saline va devenir une ville vivable, plaisanta Georges.

 

La camionnette avait reprit sa progression. Léon regardait sur la gauche, histoire de voir ce qui changeait par là. Si bien que...
- Ta copine ! cria Georges.
- Quoi ?
- Ta copine ! Celle que tu emmènes aux bals... Elle était là ! Elle t’a fait signe...
Trop tard. Léon décida de faire le tour du pâté de maison. Ainsi, ils passèrent devant la cantine sans s'arrêter.
- Tu l’aimes bien, hein ? fit Georges avec un sourire narquois.
- Oui...
- Oui... Oui... se moqua de plus belle Georges. J’ai vu l’autre fois... Tu en pinces pour elle...
- J’ai vingt ans de plus qu'elle. Je ne fais pas d'illusion.
- N’empêche...
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. La camionnette s’arrêtait à la hauteur de l’Oda.

 

Embrassades, plaisanteries, rires, l’Oda trouva l'occasion de demander ce qu’elle avait en tête :
- Léon, tu fais quelque chose au 1er mai ?
- Rien de spécial, pourquoi ?
- Y’a bal à Delme... Tu nous emmènes ?
- Tu ne veux pas plutôt que je t’emmène au bal à Paris ? Tiens à la Bastoche...
- Oh ! Léon... minauda l’Oda.
- C’est le soir ? railla Léon.
- Le soir, avec ma mère !
- Et ta maman, elle sait que tu vas au bal l’après-midi ?
- Je n’suis pas prête de lui dire…
- Allez, Léon, supplia la Mimie.
- C’est bon les filles. Encore une fois, je me sacrifierais.

 

On causa de la pluie et du beau temps, de ceci et de cela, le couârail habituel quoi... L’Oda tournait son pot de crème entre les mains, elle allait bien finir par l’échapper...
- Tu sais ma belle, j’ai pensé à un truc...
- Quoi Léon ?
Depuis deux semaines, Léon travaillait aux Cités allemandes. Les quatre bâtiments avaient servi de casernes durant la guerre. Dans le dernier, Léon et ses collègues transformaient les dortoirs en appartements. Ce seraient les gendarmes qui habiteraient là. Mais dans les trois premiers bâtiments... Il suffisait de s’y mette à cinq ou six pour déménager un dortoir et ça leur ferait une bonne salle de danse.... Pour les jours où il n’y avait pas de bal dans le coin.

 

Que ce soit l’Oda, sa copine et même le Guézète, tous trouvèrent l'idée excellente.
- Je me charge de la main d'œuvre. Et j’en parle au Loulou dès que je le vois...
L’Oda était sûre de son fait. Ça ne pouvait que plaire aux jeunes qui s’ennuyaient les samedis ou dimanches, elle poursuivit :
- On s’donne rendez-vous samedi à neuf heures, le matin, d’accord ?
- On travaille samedi, s’excusa Léon.
- Dimanche à dix heures !
Accord conclut, Léon redémarra.

 

L’Oda et la Mimie remontaient vers le haut de la Grande-rue, là où s’ouvrirait la succursale de la SANAL. Son appareil photo sous le bras, le Guézète décida de les accompagner histoire d’aller zieuter cette nouvelleté.
- Arrête avec ton pot de crème, tu m’énerves !
- Tu veux que j’le mette dans ma poche, rigola l’Oda.

 

 

 

L'ambiance était bonne à la cantine. Un groupe s’acharnait autour d'une piste de dés. Chacun y allait de son lancé pour réaliser un 4-21. Il y avait là le Milou, le Grand Mimil’, le René et un nouveau venu dans l'équipe. Le Milou lui tapait tout le temps dans le dos en criant :
- Allez le Rital, vas-y lance ! Te vas encore payer ta tournée.
En fait, l’homme, un grand maigre aussi grand que le Grand Mimil’, se prénommait Tonio. Tout ça pour dire que le Milou paraissait bien ratze entre ces deux malabars.

 

L'entrée de Léon des P2 et de Georges fut joyeusement saluée. Une paire de tournées tombèrent.
- Que fais-tu dimanche prochain, Milou ? demanda Léon.
Le Milou n’avait rien prévu de spécial. Aussitôt, Léon l’embaucha pour venir faire quelques réparations dans leur future salle de bal. C’était réglé !
- Et le 1er mai ? Si tu veux, je t’emmène au bal dans un patelin par là...
- Je monte à Nânci... lundi soir…
- Nancy, Nancy, toujours Nancy, t’as une poule là-bas ?
- Non, non, bafouilla le Milou. Y’a mes parents...
- Laisses donc tes parents tranquilles et viens t'amuser avec nous. Je te présenterais des filles...
- Tu sais, avec mon père, le 1er Mai, ça rigole pas...
- Tu vas manifester, se moqua Léon.
- Ben... Y a la fête de la CGT...
- Tant pis pour toi. Nous, on ira s’amuser et schnailler comme on dit ici.
- Chnâiller, le reprit le Grand Mimil’. Chnâiller, allez le Parigo, répètes.

 

 

 

Chemin faisant, l’Oda et ses copains remontaient la Grande-rue. Ils s’arrêtèrent pour saluer le couple de personnes âgées assis sur une chaise devant leur porte. Ils avaient vendu leur épicerie récemment… Arriva la Germaine. Elle leur dit qu’avec son frère et sa belle-sœur, ils allaient ouvrir un commerce juste à côté.
- Vous allez vendre quoi ? s’excita le Guézète.
Des papiers peints, de la peinture, de la papeterie, de la parfumerie…

 

Coup de chance, le Loulou sortait de l’ancienne épicerie. Chmoutze, diverses civilités.
Au fait de la situation puisqu’il travaillait là, il dut faire un compte-rendu sur l’avancée des travaux. La succursale des Coopérateurs de Lorraine ouvrirait bientôt. Satisfait de la réponse, le Guézète poursuivit son chemin vers la SANAL. Il traversa la rue... Un quart d’heure plus tard, il était de retour et l’Oda, sa copine et le Loulou toujours en discussion.
Très bien, le Loulou était d’accord pour venir jouer aux Cités allemandes :
- Pas tous les dimanches, je v’préviens.
- De temps en temps, Loulou... Tu sais, tu es not’ accordéoniste préféré.
- Pas difficile, ricana le Loulou, j’suis le seul avec le Duby... T’vas faire tomber ton pot de crème si tu continues.
Leur couârail terminé, l’Oda et la Mimie rendirent visite à la Nénète. En passant, elles ne manquèrent pas d’inspecter ce qu’on déchargeait du gros camion : des vitrines et des rayonnages.

 

 

 

Le Milou quitta ses copains avant sept heures.
L’Oda et la Mimie quittèrent la Nénète quasiment à la même heure.

Le Milou marchait vite. Déjà, il atteignait le magasin de la Lorraine Agricole.
L’Oda et la Mimie atteignaient la quincaillerie Saint-Nicolas.

Le Milou arrivait à la hauteur du café Lolote. Un instant d’hésitation et puis, non, il décida de continuer.
L’Oda et la Mimie arrivaient devant la pâtisserie Kaas.

Le Milou traversait la rue, juste en face la boulangerie Bolinjé...
L’Oda et la Mimie étaient à quinze pas de la boulangerie Bolinjé…

Un cri fit sursauter le Milou. Le cri figea sur place la Mimie :
- Qu'est-ce t’arrives Oda ? s'affola-t-elle.
- J’ai oublié ma crème chez la Nénète. Viens, on retourne.

Ce n’était pas encore ce jour que l'Oda rencontrerait le Milou…

 
 

le 10 avril 2015
(mis à jour le 9 mai 2019)

 

 
 
Ball2

 

 

Accueil
galerie Aventure
galerie Amour

Consulter Notre Petit Dictionnaire

Adresse daniel
Couvert

Chateau-Salins

6 °C Couvert
Min: 6 °C | Max: 8 °C | Vent: 26 kmh 213°

Date de dernière mise à jour : 30/12/2023

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
8 votes. Moyenne 4.7 sur 5.

Commentaires

  • Bernard Antoine

    1 Bernard Antoine Le 23/03/2019

    Bin voilà!… Une rencontre manquée de peu… Les astres n'étaient pas en concordance, mais heureusement ce n'était que partie remise. Cupidon aura bien l'occasion de faire mouche de sa flèche dans un avenir prochain. Le Milou ne le savait pas encore, il ne s'en doutait même pas, mais nous, maintenant, on sait qu'il n'y échappera pas.
  • Daniel Schlauder

    2 Daniel Schlauder Le 25/03/2019

    Juste une question de temps... C"est irrémédiable.

Ajouter un commentaire