Il y a la côte

Voyage, Voyage // Putain de camion ! (3)

Fleches putain

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Putain de merde de bordel ! J’en avais marre. Bordel de merde ! Saloperie ! Depuis deux jours, je me faisais défoncer le cul par cet acier trop dur. Je descends. C’est décidé, je descends !
Paf ! Tout le monde sauta en l’air. Encore une fois… J’étais, plus ou moins, bien installé sur mon sac, un bond, paf ! Mon cul cogna l’acier du plancher. Merde de merde ! Enculé de motoriste. Notre conducteur est un Blanc, petit de taille, toujours coiffé d’un chapeau de feutre rouge. Je vais lui faire bouffer son chapeau, moi !

Et cette conne de bonne femme. La femme du Guyanais. Elle se fend la gueule chaque fois que je me fracasse le cul. Qu’est-ce que tu es conne ! Déjà hier, tu te gondolais. Et, pourtant, toi aussi tu te tapes le cul sur le plancher. Et Gordinho qui se gondole comme une barrique ! Toi aussi tu te casses le cul. Comme tout le monde.
Le Guyanais… J’insiste, tu as une bouille de Guyanais ! Il est sympa ce type, le Guyanais bien sûr, pas comme sa greluche qui est tout le temps en train de se foutre de ma fiole. Leur chiot noir était presque installé confortablement, abrité à l’intérieur de la roue.
Cette fameuse roue, notre motoriste l’avait ramassée sur le bord de la piste. Elle gisait à côté d’un pick-up japonais flambant neuf. On aurait dit un pantin qui gesticulait au bord de sa carriole. Le bouffon venait de crever. Il n’avait pas de roue de secours, ni de matériel pour réparer. Alors, notre motoriste avait récupéré la roue et la portait à un garage à X km. Un autre voyageur lui rapporterait d’ici quelques jours.
Aussitôt, la Guyanaise avait réquisitionné la roue pour le confort de son chiot. Dans la partie creuse qui colle au moyeu, lorsqu’elle n’est pas crevée évidemment. Une couverture pliée formait un agréable coussin. Ce qui n’empêchait pas la pauvre bête de rebondir comme un ressort et à la roue de se trimbaler lorsque le camion penchait par trop.

Bordel de merde, encore un trou !
Ah, merde ! Ça recommence. Il nous fait chier la bitte ce con ! Cette fois, je descends. Je vais lui faire bouffer son beau chapeau en feutre rouge, moi ! Ho, ho, ho, faut avoir le pied marin. Déjà, le P’tit moustachu se précipite. Il a peur que je me fracasse les os. Mais, tu m’emmerdes, je suis assez grand pour savoir ce que j’ai à faire. Je vais te remettre la casquette à l’endroit, P’tit moustachu. Je descends !
Ah, oui, t’as raison P’tit moustachu. T’as raison. Je vais plutôt me taper un coup de gorgeon. Excuse-moi, P’tit moustachu. Je t’aime bien, tu me passes toujours la bouteille. Tu prends toujours soin de moi. Sur mon passeport, c’est marqué Français. Mais pour la cachaça, je suis Brésilien.
Oh, vous autres aussi… Non pas les deux Français là ! Eux ils nous font chier. Toujours à faire la gueule, Marc et son macaco débile. Hé ! Détends-toi, t’es en voyage. Bois plutôt un coup. Merde ! Lui, c’est pas un vrai Français, ricane le gars au polo blanc.

Le polo blanc, enfin, à l’origine son polo était blanc, même blanc immaculé. Regarde ton polo, il est tout rouge. Hé, oui, moi aussi, je suis tout rouge. Tu te rappelles à Oiapoque ? Quand tu avais tendu ton hamac entre les arceaux… T’as fait vite pour le démonter. Quoique, tu ne risquais pas grand-chose, à part te balancer à t’en faire vomir ou à te propulser au plafond et retomber comme une grosse merde… Le polo blanc se mit à rire comme un dératé.
Faut dire que plus de la moitié du camion était complètement raide. Faut nous comprendre, hier et ce matin, on avait pataugé dans la boue. Et maintenant, on rebondissait sur nos « sièges » comme des ballons de baudruche… sans leur souplesse. Largement de quoi nous fracasser le cul. Ah, Pitù, heureusement que tu es là. Grâce à toi, nous oublions que nous sommes embarqués dans cette galère.
Attends P’tit moustachu, je m’assois. Ouais, ouais, t’en fais pas, j’y arriverai. Le Guyanais et le polo blanc m’assistent. Merci les gars !

Ici, on boit au goulot. Et ça descend. Sur mon passeport, c’est marqué Français. Mais pour la cachaça, je suis Brésilien.
Chierie ! Pute de salope ! Un trou. Tous sautent, le chiot a même failli s’envoler de son nid. La bouteille ripe de ma bouche, le Pitù gicle sur la gueule du Guyanais qui s’était assis à mes côtés. Il en a plein les yeux. Bien qu’il prétende que ce n’est rien, il mettra dix bonnes minutes avant de s’en remettre.

Ah, bordel de merde. Je ne voulais pas aller dans ce merdier ! Je voulais aller à la Praia. Je voulais retrouver ma petite Sandra. Elle est où, ma petite Sandra ? Tu connais la Praia do Francês ? Non ? Tu ne connais rien au Brasil, toi. Moi, ça fait six mois que je suis au Brasil, mis à part les quinze jours en Guyane. Ma petite Sandra… Ah, merde de merde.
Tiens, toi, polo blanc, repasse-moi la bouteille que je noie mes amours.
Ouais, je veux bien une clope. Une Carlton, hum… Nous, on a des Gauloises. On les a achetés à Cayenne. On voulait en ramener à nos amis de la Praia. Regarde un peu la gueule qu’elles ont ! Complètement écrabouillées. Toutes les cartouches écrabouillées. C’est sûr, à force d’être assis sur nos sacs à dos, on a tout écrasé à l’intérieur.
Ouais, je sais, t’en rien as à foutre… T’attends que je me décide à allumer ma clope avant que la flamme du briquet ne te carbonise la main. Mais arrête de te trémousser ! Je sais, ce putain de camion n’arrête pas de gigoter.

Ah, nom de Dieu ! Je préférais hier et ce matin. Au moins, quand on s’embourbait, on pouvait descendre et reposer un peu notre cul endolori. Maintenant, c’est fini. On roule, on roule, on roule.
La veille, nous avions fait halte dans une réserve d’Amérindiens. D’Amérindiens, nous n’en avions point vus. Seulement les militaires qui gardaient la réserve. Marc et Chriss avaient encore fait des siennes, enfin des leurs. Ils ne voulaient pas coucher là où dormaient les Brésiliens : « Ils crachent ! ». Alors, nous montâmes sur la terrasse d’un des bâtiments. Les militaires étaient aux petits soins, ils nous apportèrent de la bouffe et des matelas…
Et, tôt le matin, retour de la piste. Des embourbements et des embourbements. Puis le casse cul. Maintenant ce bourbier, ces trois ou quatre cents mètres qui nous narguent, qui nous emprisonnent… Au loin, les passagers de l’autre camion coupent toujours des arbres, noient troncs et branches dans la boue… S’ils en sortent, notre motoriste les rejoindra… Notre motoriste ira chercher la machine… S’ils en sortent…

Bien avant...

Le camion dévalait une pente. Un virage nous bouscula. Un grand coup de klaxon. Tout le monde s’accrocha à ce qu’il pouvait. A son siège improvisé, à son sac, à une caisse, à la ridelle à laquelle il était accoudé. Ceux qui étaient debout se cramponnèrent au poteau le plus proche, à une barre d’angle qui reliait les poteaux aux arceaux du toit. Y’en avait déjà quatre de cassés ou d’arrachés, leurs boulons avaient succombé.
Cet enculé de motoriste accéléra à fond. Dans le creux, un rio avait creusé son fossé bourré de gadoue. On aurait appelé cela un « oued » au Maghreb. On sauta dedans. La boue gicla sur les côtés.

Tout bondissait à l’intérieur. Salop ! Tout volait à l’intérieur. Passagers, chiot dans sa roue, même le macaco rebondissait sur l’épaule de Marc, bagages, outils. Ah, les outils : une pelle, une pioche, une masse, une grande hache, un long câble enroulé, une barre large et longue de un mètre cinquante, deux grosses calles en bois, de quoi entreprendre je ne sais quel chantier. Heureusement que le fût était fermement amarré. Sinon, il y a longtemps qu’il nous aurait laminés. Le fossé du rio franchi, le camion se lança à l’assaut de la montée, le moteur hurlait. Un virage, un rétrogradage. On atteignit la boue du sommet de la côte.

Généralement, le camion, un gros Volkswagen, passait l’obstacle. Chapeau le motoriste !
Mais, par quatre fois, les roues avaient patiné, s’étaient enfoncées, étaient restées sur place. Les pneus fumaient, criaient, gémissaient. Le putain de camion trépignait sur place. Nous avions beau hurler pour encourager ce putain de camion. Rien à faire.
Marche arrière, marche avant. Rugissements du moteur. Marche arrière, marche avant. Dix, vingt centimètres de gagnés. Putain de camion, aussi enculé que son motoriste. Enculé de sa mère ! Tu vas avancer ! Le putain de camion refusait d’avancer, refusait de s’arracher du bourbier.
Au premier embourbement, j’avais sauté parmi les premiers. J’avais atterri dans la boue en la faisant gicler. Tout le monde avait éclaté de rire, moi aussi. De la boue jusqu’aux genoux ! Depuis, j’avais fait comme beaucoup, je m’étais mis en short. La boue était chaude. Ça faisait une drôle d’impression de patauger dedans, c’était même agréable. C’était trop doux. On s’amusait même à marcher sans nécessité.

Le même paysage défilait depuis notre départ d’Oiapoque. De chaque côté de la latérite mouvante, la belle forêt verte et dense de l’Amazonie. La jungle, quoi. Tiens le macaco de Marc, retourne donc chez toi !
De temps en temps, des rios que l’on franchissait sur un pont de bois branlant, à peine plus large que le camion. Notre débile de motoriste les passait à fond la caisse. Il sait bien viser le con, heureusement ! Bien qu’à chaque fois, Sabine, Gérard et les autres passagers serraient les fesses. Un de ces jours, il allait en rater un, pour sûr… Et moi te dis-tu ? Ben, moi, la plupart de ces passages périlleux… je ne les vois même pas.

Pour sortir du bourbier, le P’tit moustachu et le mécanicien plantaient la large barre dans la partie sèche à vingt mètres du camion. L’un tenait la barre tandis que l’autre cognait avec la grosse masse. Enfin, on avait l’explication de la présence de cette satanée barre, de cette masse et de ce câble ! Ils déroulaient le câble, l’accrochaient à la barre et, l’autre extrémité à l’une des roues jumelles arrière.
En avant !

 

Le motoriste réajustait son beau chapeau rouge, embrayait, les roues tournaient, enroulaient le câble. Nous, on poussait. Fumée, odeur de pneus cramés, projections de boue. Nous, on poussait. Le putain de camion sautillait. Le putain de camion progressait à la vitesse d’une tortue. Nous, on poussait. Nous rougissions de boue.
Sur la terre ferme ? Hé, ça s’arrose. Un petit coup de Pitù ? Sur mon passeport, c’est marqué Français. Mais pour la cachaça, je suis Brésilien. Sur ton passeport, c’est plutôt marqué Ivrogne ! me balançaient à tour de rôle Sabine et Gérard.

Tous, ou presque, participaient aux désembourbements. Du moins au début. Au fil du temps, il y aura des défections. Lorsque l’un ou l’autre se sentait par trop fatigué, personne ne trouvait à redire. Par contre, deux s’étaient dispensés d’office et de leur propre chef de cette activité. Et cela dès le début. Tel ce gros porc que j’avais baptisé Gordinho.
Enfoiré de merde Gordinho ! Avec ta gueule de con, ta bouille bouffie, je vais te pousser en bas du bahut. Pauvre chou, tu ne peux pas mettre les pieds dans la boue, tu tomberais malade. Et, nous espèce de gros tas de saindoux, est-ce qu’on a peur de devenir malade ? Si on n’était pas là, qu’est-ce que tu ferais ?

Le mécanicien l’avait bien mouché. L’autre raillait les Français ! Mal lui en pris. Le mécanicien balança : les Français travaillent plus que toi. Il désigna Sabine et ricana : même la Française pousse plus que toi. S’il y a une femmelette ici, c’est toi. Gordinho avait fermé sa grande gueule.
Et la fois où on en avait tous chié à pousser ce putain de camion, voilà que ce grand ramier de Gordinho réclamait la bouteille. Le mécanicien lui offrit de venir barboter dans la boue s’il voulait du Pitù. Tout le monde s’était boyauté, Gordinho était parti bouder au fond du camion, place qu’il ne quittait que bien rarement.
Il y avait aussi la Guyanaise. Bien que descendue du camion, elle portait son chiot et suivait à pied. Et, à tour de rôle Marc et Chriss se consacraient à leur maudit macaco. Au moins eux, ils avaient gouté à la boue. Pas Gordinho et encore moins le marajà. Tu crois que le marajà serait descendu de « sa » cabine ? Penses-tu. Enculé de merde, va !

Ah, bordel, encore un coup de Pitú !

Ce dernier embourbement était terrible. Immobilisé pour je sais combien de temps. La boue déroulait son tapis profond et mouvant sur des centaines de mètres. Immobilisé sans espoir d’être secouru… Au loin, on ne voyait que le toit de l’autre camion. Ses passagers étaient affairés à couper des arbres et les jetaient dans la boue. Ainsi, ils aménageraient un solide chemin. Notre motoriste le rejoindrait, à ce moment-là. Si ce camion arrivait à sortir, il partirait avec lui chercher une machine… S’il arrivait à sortir…
Allez, un petit coup de Pitù ! Le P’tit moustachu, le polo blanc, le mécanicien, un des chercheurs d’or et, bien sûr, moi. La bande du Pitù, quoi ! Qui avaient amené la cachaça ? Pas moi, l’idée d’en acheter ne m’avait même pas effleurée. Quelle importance. Allez un petit coup de Pitù.

 

 

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Il est écrasé !
Le mécanicien est sous la roue !

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Date de dernière mise à jour : 27/12/2023

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