La machine

Voyage, Voyage // Putain de camion ! (5)

Fleches putain

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Il n’y avait rien à faire. Attendre… Seulement espérer que le camion, là-bas, presque au bout du bourbier, arrive à sortir de ce merdier. Encore une fois notre motoriste nous certifia qu’il les rejoindrait et partirait avec eux chercher la machine. Si ce camion arrivait à s’en sortir…
Si on mangeait ? De temps en temps, ça ne fait pas de mal. Le motoriste, le mécanicien et P’tit moustachu sortirent farine de maïs et corned-beef. Ils nous invitèrent, Sabine, Gérard et moi. Les autres ? La plupart avaient prévu des provisions pour plus ou moins longtemps…
Un petit coup de Pitù ? Il n’y a rien d’autre à faire. Le P’tit moustachu me tapa sur l’épaule et rigola : sur mon passeport, c’est marqué Français. Mais pour la cachaça, je suis Brésilien. Mais, cette fois-ci, il ne me fit que sourire…
Nous l’avions désiré ce putain de camion, nous l’avons eu…

C’était trop doux de patauger dans la boue chaude. A la surface, elle formait une croute qui cassait sous notre poids. Nous ne sommes plus Blancs, Bronzés ou Noirs, nous sommes Rouges. Il n’y avait rien à faire. Attendre. Espérer que le camion au loin sorte du bourbier. Alors, on pataugea. Une tortue nous aurait dépassés. On accompagnait notre motoriste vers le camion convoité… Les passagers du camion au loin avaient fini d’abattre les arbres. Leurs troncs et branches avaient aménagé un chemin ferme… Super ! Le camion avançait... Il était en position, prêt à s’élancer...
Notre motoriste agita son chapeau de feutre rouge, cria. Nous pataugions même pas à la moitié du chemin… Notre motoriste braillait… hurlait… Voilà… Voilà…
Le camion s’élança, s’éloigna… disparut.
Fumier ! Enculé ! Il n’avait même pas chargé ses passagers. Ce n’est pas comme en Afrique grogna Sabine, il n’y a pas d’entraide entre les chauffeurs. Le P’tit moustachu secouait la tête en marmonnant des insultes. Le motoriste leva les bras au Ciel, en signe d’impuissance. Pour remercier ses passagers, ce fils de pute les laissait en carafe sur la piste. Bordel de Dieu !
Dépités, nous fîmes demi-tour.

Juste pour s’occuper, on sortit le rouleau de câble, on sortit la large et haute barre. Juste pour ne pas ruminer. On ne pensait pas s’en sortir, mais il n’y avait rien d'autre à faire. Juste calmer notre rage. Attendre... Attendre quoi ? Mais, cette fois l’enthousiasme n’y était plus, les volontaires se firent plus rares. Juste Gérard, le P’tit moustachu, le polo blanc, le mécanicien, le motoriste et moi.
Les autres boudaient, se promenaient, traînaient leur amertume. Certains, comme Marc, voulaient partir à pied. 35 km… avant la première habitation.
La boue était chaude, douce. Par endroit, on s’enfonçait de cinquante centimètres, même plus. Nos pieds entraînaient de l’air qui remontait sous forme de bulles. Flop, flop, elles  éclataient à la surface. Ailleurs, la boue était plus consistante, plus gluante. Elle s’attachait à notre peau, se collait aux poils. De temps en temps, on allait se débarbouiller dans l’eau rougeâtre d’une flaque. Nous étions devenus des Peaux-Rouges.
Sabine et Chriss avaient préféré remonter dans le putain de camion. Après des grognements, Marc, qui voulait partir à pied, se promenait là-bas avec son macaco.

Il n’y avait rien à faire. Attendre… Un coup de Pitù ! Passe la boutanche camarade !
Le motoriste nous l’avait bien dit : pas d’espoir d’avoir une machine pour nous tirer de là. A moins qu’un autre camion arrive… Voilà qu’il se remit à pleuvoir… Tout le monde se réfugia dans notre putain de camion. On baissa la bâche, histoire d’être moins arrosés.
Plus d’espoir. Les autres camions, s’ils en venaient, s’arrêteraient bien avant notre bourbier. Peut-être même qu’ils étaient déjà en carafe, ailleurs…
Nous aussi, on pourrait couper des arbres. On avait une hache parmi les outils. Trois ou quatre cents mètres de boue… Combien d’arbres faudrait-il abattre ? Combien de jours cela nous prendrait ? Justement, la pluie avait cessé. L’averse avait été violente, mais courte.

Un peu de courage camarades, nous allons employer la méthode traditionnelle. On planta la large barre, on déroula le câble… mais l’enthousiasme n’y était plus. Seuls le motoriste, le mécanicien, le P’tit moustachu, Gérard et moi s’échinions dans la boue. Même le polo blanc nous avait lâchés.
Ah, on le désirait ce putain de camion ! On l’a eu… il nous a baisés !
En tirant le câble, en m’enfonçant dans la boue, j’étais loin d’imaginer que je passerai une semaine sur les bateaux, que je visiterai la région de Manaus en pinasse, que je verrai et aurai peur des crocodiles, que l’un de ces monstres allait nous terrifier sur la pinasse.
La boue, la boue. En m’affalant, suite à une mauvaise manœuvre, j’étais bien loin d’imaginer que, comme les autres, je grimperai sur les bancs parce qu’un affreux caméléon se serait emparé de la pinasse. Que je danserai le forró sur une maison fluctuante et rencontrerai Mira. Que je subirai une tempête sur le rio Negro...
Non, j’étais loin d’imaginer tout cela ce jour-là.

On peinait. On suait. On pataugeait. Voilà qu’il repleuvait. On s’en sortirait. Sûr ! Dans les situations les plus périlleuses en Afrique, on s’était toujours tiré d’affaire. On s’en sortirait, mais quand ? Bien que furieuse, l’averse fut de très courte durée. La barre était plantée, le câble déroulé, un petit coup de Pitù…
Une des extrémités du câble était attaché à la barre, l’autre était attachée à la roue jumelle gauche, ne restait plus… Sabine et Chriss avaient rejoint Marc et son macaco, ils étaient loin devant. La Guyanaise gardait son chiot dans un endroit sec. Un des chercheurs d’or s’était fait mal à la jambe lors du dernier désembourbement…
Allez, on s’y met tous !
Le marajà, cet enfoiré qui se pâmait dans « sa » cabine depuis Oiapoque et qui n’était même pas descendu une seule fois pour nous aider. Ce marajà propre comme un sou neuf, se permettait de nous haranguer : Allez, on s’y met tous ! Enfoiré de pute ! Ça fait longtemps qu’on en chie, nous !

Déjà le moteur rugissait.
Allez ! Il restait une dizaine de pousseurs en puissance. Cette fois, on s’en sort, rigola le P’tit Moustachu en me désignant l’homme à l’autre « aile ». Tiens, Gordinho s’est décidé !
On s’arc-bouta, les roues fumèrent, la boue gicla. On poussait. Lentement le câble s’enroulait sur la roue jumelle. On poussait. Le châssis raclait, gémissait. Les roues arrière accentuaient l’ornière. On poussait. Quinze mètres ? Il en restait encore… Notre putain de camion était vautré dans la boue. Et il plut à nouveau…
Il pleuvait doucement, si doucement que personne ne remonta s’abriter dans le camion. Par cette chaleur, ça rafraîchissait. On me tira l’oreille, On nous tira l’oreille. A quelques centaines de mètres Sabine, Marc et Chriss criaient en agitant les mains…
Mais, oui, c’était le ronflement d’un moteur. Un camion ! La machine ! criait le marajà. Non, pas de machine souffla le motoriste sur un ton accablé. C’était bien un semi-remorque, un beau semi-remorque qui aurait pu apporter une machine, une belle machine qui nous aurait tiré de là… Le semi-remorque était vide…
L’enthousiasme expira, s’étrangla, s’étouffa.

Allez le polo blanc, file moi un coup de Pitù que je me remette. Et la bouteille passa de bouche en bouche. Cette fois Gordinho y eut droit. Tout le monde l’applaudit lorsqu’il porta le goulot à sa bouche. Et on se remit au travail, ça évite de réfléchir, ça évite de gamberger.
On essaya de dérouler le câble, les roues patinaient. En essayant placer une calle, le P’tit moustachu faillit se faire broyer une jambe…
Les cris de Sabine et des Français, nous firent plaquer notre ouvrage sur le champ. Un puissant ronflement se faisait entendre. La machine ! Une énorme machine. Un énorme bulldozer. On était sauvé. Enfin, presque.

Le motoriste nous dit que l’on pouvait monter dans le camion, il nous offrait le passage du bourbier gratuitement. Tout le monde s’esclaffa. De la plaisanterie ou seulement par soulagement d’être secouru ? Peu importe…

 

En un rien de temps, sans effort, la machine nous tira vers la terre ferme.
Le camion qui s’était enlisé à « l’autre bout » du bourbier réapparut juste à cet instant. C’était lui qui avait été cherché la machine. C’était lui qui avait alerté les gars d’un chantier en forêt. C’était lui qui nous sauvait. Selon ses dires, il n’y avait pas de boue jusqu’à Macapá. Le billard, un vrai voyage d’agrément, on en rêvait…
Il récupéra ses passagers, fit demi-tour et s’en alla. Enculé, on te remercie. Mais, tu nous avais bien foutu la frousse.

 

 

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Sur mon passeport, c’est marqué Français.
Mais pour le casse-cul, je suis Brésilien

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Date de dernière mise à jour : 27/12/2023

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Commentaires

  • bantoine

    1 bantoine Le 10/03/2018

    Merci aussi pour ces photos qui illustrent bien, tellement qu'il me semble que j'y étais moi aussi, finalement. Bon, je rêve et ne veux surtout pas être éveillé, pas avant la fin de ce récit.
  • Daniel

    2 Daniel Le 10/03/2018

    Apparemment, mon but est atteint, j'espère vous entraîner dans d'autres histoires... Mais bon, il y a des bonnes et des moins bonnes (pour ne pas dire mauvaises). Merci pour les commentaires, ça encourage à continuer.

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