Je ne vous dirais jamais que j’en ai chié, que j’ai lâchement craqué. Je vous présenterai cette épopée sous le jour de la Grande Aventure. Je l’avais déjà vécu cette Grande Aventure, en 1982 et en 1984 sur Gao – Tamanrasset. L’expérience du camion serait-elle une tradition ?
Nous en avons bavé, mais nous en sommes sortis vainqueurs. Bravo ! En catimini, je vous avouerai que je ne suis pas un héros.
Dans notre chambre presque confortable, malgré les chiottes bouchées, nous savourons notre victoire. Avec le recul, on se dit qu’on a bien fait de le faire.
Eh oui, vous autres qui vous avachissez devant votre téloche, qu’est-ce que vous aurez à raconter à vos petits-enfants ? Nada, rien ! Bon d’accord, moi je n’ai pas d’enfant, donc pas…
Est-ce qu’au moins vous savourez votre confort ?
Passez une nuit dans un bungalow bien chauffé alors que vous en avez chié durant quinze jours sur les routes gelées de Laponie, vous savez ce que c’est ? Prendre un bonne douche et bénéficier d’un climatiseur ou d’un ventilateur alors que, cinq minutes avant, la poussière du Sahara ou la boue de l’Amazonie collaient à votre peau, vous savez ce que c’est ? Dormir dans un bon lit douillet alors qu’on s’est tapé le cul durant plusieurs jours et qu’on a dormi à la dure, vous savez ce que c’est ?
Bande de nœuds, vous croyiez qu’ici, on s’amuse ? Vous qui êtes tranquillement installés dans votre burlingue, assis derrière le volant de votre voiture, avachis dans votre fauteuil devant votre télé pourrie, est-ce que vous savez au moins ce que c’est que d’en chier ? Bordel de merde, nous, on est ici en pleine Amazonie.
Tout à l’heure, lorsque vous tournerez le robinet, un geste machinal en somme, dîtes-vous bien que dans beaucoup de régions du monde, ce n’est qu’un rêve… Et ne parlons pas de l’électricité…
Manaus, le 5 août 1988
Lettre partie du récit à mes anciens collègues et camarades du GAN, du STAC et à la famille et autres amis