Oiapoque

 

Voyage, Voyage // Putain de camion ! (2)

Fleches putain

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« Vous devrez faire très attention sur la piste de Macapà, ils sont partout. Ils vont vous empêcher de passer », nous avait-on avertit à Oiapoque.
Et voici la piste, pratiquement plate, sans boue, presque douillette… Le camion filait, nous secouait presque affectueusement. Connard de motoriste, s’il ne s’était pas entêté à vouloir franchir la côte trop raide, on serait bien plus loin. Je te jure, cet enculé, je lui fais bouffer son chapeau de feutre rouge ! Bon, à l’arrivée, parce que des fois qu’il lui prenne l’idée de nous abandonner en pleine jungle…

D’un coup, comme ça, sans crier gare, ce putain de camion  s’arrêta. De notre point de vue, la piste était excellente… Le motoriste et le mécanicien étaient descendus de leur cabine. Aussitôt, le P’tit moustachu sauta à terre.
Ils jacassaient, et ils jacassaient…
Bientôt presque tous les passagers se retrouvèrent à l’avant. Triste spectacle en vérité… De la boue, de la boue, rien que de la boue. La piste n’était qu’un vaste bourbier. Trois ou quatre cents mètres de boue. Impossible de passer… Son beau chapeau rouge de travers, notre motoriste affichait mauvaise mine. On réalisait pourquoi il s’était entêté à vouloir franchir la côte trop raide…
Sans conviction, le motoriste lança son putain de camion… Nous, on suivrait à pied… Vingt mètres ? Même pas… Les roues s’enfoncèrent. Les jumelles arrière creusèrent, s’engloutirent. Le châssis se vautra dans la boue…
Un câble de vingt mètres… Quinze fois, trente fois à manœuvrer… Impossible. Il n’y avait rien à faire. Juste attendre… Mais attendre quoi ?
Au loin, à la sortie du bourbier, un autre camion était enlisé dans un creux. D’ici, on ne voyait que son toit. Notre motoriste le rejoindrait, à pied évidemment. Si ce camion arrivait à sortir, il partirait avec lui chercher une machine… Si ce camion arrivait à sortir…

Deux jours de piste éreintante ! Deux jours à se faire chier la bitte pour en arriver là ! Planté dans la boue…
Pourtant, en 1982 et 1984, après les traversées Gao-Tamanrasset, je m’étais juré de ne plus jamais voyager en camion sur une piste. Pire, c’est moi qui avais insisté pour prendre ce putain de camion. Sabine et Gérard auraient préféré y aller en avion. Mais, merde ! Un peu d’aventure…
La boue était chaude, j’avais envie de me rouler dedans. Dire qu’il y a des connards qui payent des fortunes pour prendre des bains de boue. Ici, c’est gratuit. Ici c’est immense.
Un petit coup de Pitù camarade ? La cachaça effrite la conscience d’être perdu, d’être foutu.

Deux jours plus tôt.
Oiapoque ! Nous, on venait de Cayenne par le petit avion qui relie la Préfecture de la Guyane à Saint-Georges. C’était, parait-il, un gros parce qu’en cette période de vacances, il y avait davantage de gens qui voyageaient. Une quinzaine de personnes avaient pris place dans de ce grand corps. Un grand corps avec de toutes petites ailes. Au début, j’avais cru que c’était un poisson d’avril. Le zingue avait roulé sur la piste et… Je n’imaginais pas qu’un tel oiseau puisse voler.
On avait traversé les gros nuages, essuyé une pluie battante… La carlingue s’était mise à trembler comme une feuille. Nous étions secoués comme si cet oiseau de malheur montait les marches d’un escalier… Certains s’en remettait à Dieu, on les voyait et entendait prier. Nous, on serrait les fesses.
Il avait fini par se poser… Evidemment.

 

 

La forêt amazonienne
entre Cayenne et St-Georges

Nous étions donc presque arrivés à Saint-Georges village frontalier installé sur le fleuve Oiapock presque en face d’Oiapoque, village brésilien. Sur l’espèce de piste en latérite, un gendarme en short, petites socquettes et une sale gueule de flic… Il ne nous avertit même pas.
Le chemin de latérite nous mena à travers la brousse vers le village. Les maisons ressemblaient à des cases, les gens avaient le type amérindien. Enfin, on voyait l’Amazonie. Enfin, la vraie Aventure commençait.
Un type nous proposa de nous emmener à Oiapoque avec sa pirogue. 20 Francs par personne ! Qu’est-ce qu’on ferait de plus ici ? On y parle le français, certes, mais de l’autre côté, c’est le Brasil, notre Brasil ! Une demi-heure de navigation sur le large fleuve dans une frêle pirogue. Beaux paysages de la jungle amazonienne, des chercheurs d’or sur les bords… L’Aventure quoi… Notre brave type nous débarqua au Brasil. Lui non plus ne nous dit rien… A part un je ne pars pas tout de suite. Qu’est-ce qu’on en avait à foutre, il pouvait bien rester là si ça lui plaisait…

Nous trouvâmes rapidement le poste de police. Les accords entre la gendarmerie française et la police fédérale, s’excusa le Brésilien.  Nous aurions dû faire tamponner nos passeports par le gendarme. Ne restait plus qu’à retourner à Saint-Georges.
Le passeur nous attendait : J’avais oublié de vous dire qu’il fallait que la gendarmerie vous mette un tampon de sortie. Enculé ! On gagne sa vie comme on peut…
De retour à Oiapoque, cette fois pour de bon, commença la longue attente…

Il n’y a pas d’avion ?
C’était un Créole qui nous apostrophait. Il expliqua sur un ton agité que l’avion qui relie Oiapoque à Macapà devait partir aujourd’hui. Et alors ? Il n’est pas venu. Peut-être demain, sûrement demain. Le Créole reprit sa course à travers la ville… Le voici par ici, le voilà par là. Il cherchait un camion, à défaut d’avion.
Une demi-heure plus tard, il nous annonça que le seul camion pour Macapà était… en panne. Encore une demi-heure, le Créole claironnait qu’il avait trouvé une place dans l’avion de lundi. Nous n’étions que vendredi…

Le lendemain, ce fut un jeune couple de Français qui nous assaillit.
Ils étaient tout autant excités. Ça faisait trois jours qu’ils cherchaient un moyen de quitter Oiapoque. La veille, l’avion n’était pas venu. On savait ! Le camion était panne. On savait ! Depuis trois jours, ils cherchaient à fuir ce bled de l’Enfer. Ils en avaient marres, ils étaient à bout. Ils voulaient aller à l’aérodrome…
L’avion n’était que pour lundi, nous n’étions que samedi. Ils le savaient, ils s’en moquaient, ils voulaient partir pour l’aérodrome. Mais, il n’y avait pas de taxi. Les autres véhicules étaient à l’arrêt, il n’y avait plus d’essence. La fille gémissait, le mec divaguait.
Une voiture roula, une autre, encore une autre… Il ne leur en suffisait qu’une. Le couple se rua sur la première. Le conducteur acceptait de les emmener. On va à l’aéroport, ça vous intéresse ? Non. Le couple disparut.

Sur le petit port, les baraques servaient petits déjeuners, repas et boissons. Un couple de Français était attablé à l’une d’elle. Genre Catherine Deneuve en plus jeune, la fille s’appelait Chriss, enfin Christiane. Une petite gueule de fouine, le mec se prénommait Marc. Ils avaient acheté un petit singe nommé Moon et comptait le trimballer dans leur voyage en Amérique latine.
Ils avaient travaillé à Cayenne dans une boîte de nuit. Maintenant, c’étaient les vacances, les grandes vacances. Ça faisait trois jours qu’ils espéraient le camion… qui était en réparation.
Nous nous joindrions à eux.

Nous tuâmes l’attente comme nous pouvions. Café sur café, bien qu’il ressembla plutôt à de la lavasse. Et voilà Moon qui agrippa le bras de Sabine en couinant, grimpa sur son épaule, posa la tête sur son cou, il exécutait un semblant de câlin… C’est la première fois que je le vois faire ça à quelqu’un d’autre, admira Marc. Moon se redressa et… tira les cheveux de Sabine. Ben, voyons, elle était bien gentille cette bestiole ! Marc eut juste le temps de le récupérer avant que la main de Sabine ne s’abatte.

Neuf heures. Le camion que nous devions prendre était en réparation... à une centaine de mètres de notre baraque. Marc alla aux nouvelles, son Moon toujours sur l’épaule. Le mécanicien remontait la boîte de vitesse. Départ prévu à 13 h.
Un type tituba jusqu’à notre table, il s’assit en face de Marc. Chapeau à la Borsalino, lunettes noires, costume sombre bien usé et presque troué à un genou, un tee-shirt jaunâtre… Le type nous demanda de nous rapprocher. Aussitôt Marc tourna le dos. Chriss fit de même. En riant, nous nous exécutâmes. Le type murmura : Vous devrez faire très attention sur la piste de Macapà, ils sont partout. Ils vont vous empêcher de passer. Il nous confia qu’il était le « Commandant de la guerre secrète ». Tu m’en diras tant.
Voilà qu’il siffla pour appeler le serveur et commander des bières. Toujours sur le ton de la confidence, il chuchota que son gouvernement lui interdisait de parler. Enfin, il pouvait quand même parler en anglais. Ouf ! Nous pouvions converser, enfin Sabine pouvait converser. Tchang, won, whes… Son anglais, c’est le chinois réinventé rigola Sabine. Il nous offrit encore deux tournées de bières et s’en alla : soyez prudent sur la piste. Ils sont partout.

Dix heures. Marc alla aux nouvelles. Le camion était toujours en réparation. Le mécanicien remontait le moteur. Départ à 13 h.
Après nous avoir salué et demandé l’autorisation, un couple s’installa à notre table. Sabine et Moon furent vivement intéressés par le chiot qui les accompagnait. Seule Sabine eut le droit de le caresser. Marc récupéra son singe avant qu’il n’agresse le chiot.
L’homme avait une tête de Guyanais. Et pourtant, lui comme son épouse, étaient de vrais Brésiliens, ils étaient même natifs de Belém. J’insistai, l’un comme l’autre, parlaient très bien français et pratiquement sans accent. Normal, ils travaillaient là-bas. La Guyane, c’est bien pour travailler, on gagne de l’argent. Mais, pas pour y vivre, les Créoles ne nous aiment pas, grimaça-t-il.
Ils voyageraient dans le même camion que nous.
Midi approchait, nous commandâmes des bières, des frites et une présumée saucisse. Les Guyanais nous imitèrent. Marc et Chriss ne commandèrent que de la bière. Ils ne voulaient pas manger ici, c’était trop sale. Ils se contentèrent de leur paquet de gâteaux acheté à Cayenne. Dire qu’ils nous avaient fièrement annoncé qu’ils voulaient parcourir toute l’Amérique du Sud durant plusieurs mois…
Moon était fortement intéressé par les frites. Il couinait en tendant la main… Le Guyanais lui offrit une frite… qui passera sous le nez de Moon. D’une main, Marc empoigna son Moon, de l’autre sa bière, il se leva et… s’installa à la table voisine. Chriss suivit le mouvement. Marc est comme ça, il ne dit rien, il tourne la tête ou s’en va.

Les Guyanais avaient terminé leur repas, ils partirent se dégourdir les jambes à travers le village. Ce qui favorisa le retour de Marc, Chriss et Moon à notre table. Moon était tellement ravi de nous retrouver qu’il sauta en couinant sur l’épaule de Gérard et… le mordit dans le cou. Cette fois, Marc n’eut pas le temps de mettre son macaco à l’abri. Paf, sur le museau. C’est que Moon n’aimait pas être corrigé, le seul bras à la portée de ses dents fut... celui de Marc.

Et, Marc courut aux nouvelles. Marc s’inquiétait. Marc emmerdait le mécanicien. Départ 13 h. Vous voyagez avec nous ? s’inquiéta Marc. Evidemment… C’était vrai, nous ne nous affolions guère. On attendait tranquillement en sirotant notre Antartica, la bière brésilienne.
Au premier coup de démarreur, Marc sprinta vers le camion. Départ à 13 h.

A 13 h pétante, Marc en tête, nous grimpâmes dans le camion. Pour ainsi dire, nous étions les premiers… Nous partîmes pour… faire plusieurs fois le tour d’Oiapoque, à coups de klaxon.
Ici, on récupéra un petit moustachu, la casquette bleu clair vissée à l’envers sur sa tête. Là, on récupéra les Guyanais, le P’tit moustachu les aida à se hisser dans le camion. Ailleurs, trois hommes à la mine patibulaire grimpèrent. Voilà nos ennemis, rigola Sabine en faisant allusion au niqué du berlingot du matin.
Un des hommes à la mine patibulaire, un grand échalas, était fort sympathique. D’emblée, il entama la discussion. Avec ses copains, il cherchait de l’or dans la région. Il avait trouvé plus ou moins un petit pécule. Il partait en vacances chez lui. Si j’avais fait fortune, j’aurai pris l’avion répondit-il à ma raillerie.
Il y a deux ou trois ans, il fouinait dans le Minas Gerais. Là, il y avait beaucoup d’or, plus que par ici. Mais, là-bas, ça tirait dans tous les coins. Adieu la vie, adieu sa famille, notre brave aventurier ne tenait pas à laisser derrière lui une veuve et deux orphelins pour quelques grammes de plus.

Nous fîmes halte devant une belle maison, c’était bien rare dans ce bled. Tandis que le motoriste entrait dans la maison, le mécanicien vint voir si tout se passait bien à l’arrière. Tout le monde était satisfait.
Arriva un gars en polo blanc immaculé. C’est bien le camion pour Macapá ? Le mécanicien répondit par l’affirmative. Le polo blanc passa son bagage au petit moustachu, grimpa et entreprit de serrer la main à tous les passagers. Puis, il tendit son hamac entre les arceaux de la bâche. Ainsi, il passerait un agréable voyage…
Arriva un homme d’une quarantaine d’années, disons de mon âge. Ah, le pauvre eut bien du mal à se hisser dans le camion. Le P’tit moustachu et le polo essayaient de le tirer, tandis que le mécanicien le poussait. Ah, Gordinho était bien en peine. Nul marchepied pour atteindre la benne. Il fallait grimper sur une roue jumelle arrière et escalader la ridelle. Faut reconnaître que ce Gordinho était bien gras…

Enfin notre motoriste ressortit de la belle maison, les bras étirés par deux lourdes valises. Il les hissa à l’intérieur et demanda qu’on les couvre avec une bâche. Sortant de la maison, voici un homme ventripotent, sapé comme un milord. Allait-il venir se salir dans la benne ? Penses-tu, le motoriste ouvrit la porte passager, le marajà grimpa dans la cabine.

Et le camion redémarra. Encore une poignée de passagers et nous nous retrouvâmes à une quinzaine. Nous avions largement de la place dans cette grande benne. Un dernier arrêt, plusieurs passagers furent réquisitionnés pour charger un gros fût. Le motoriste vérifia, de ses propres yeux, si le fût était fermement « ligoté ». C’est bon dit-il, il ne vous écrasera pas en cours de route. Tout le monde rit de la plaisanterie…
Et nous prîmes la piste. Aucun de nous, sauf peut-être le motoriste et son mécanicien n’imaginait qu’on allait se retrouver bloqué par ce long, long, trop long bourbier…

 

 

Putain de camion !
Préambule
Oiapoque
Il y a la côte
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Fleches putain

 

La suite Putain de camion !

 

Il y a la côte

 

Fumée, odeur de pneus cramés, projections de boue.
Nous, on poussait

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Date de dernière mise à jour : 27/12/2023

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Commentaires

  • bantoine

    1 bantoine Le 10/03/2018

    Que d'aventures... vous allez avoir de longues veillées à raconter tout cela à vos petits enfants. De quoi les tenir en halène (et loin de leur satané téléphone dit intelligent). J'ai vécu quelques aventures, mais rien qui vaille la peine d'être raconté et encore moins être écrit. En lisant ce texte, je me suis rappelé un vieux film des années 60 je crois: «Le salaire de la peur» avec Yves montant tout jeune.

    Bravo! et merci de nous partager ce vécu.

    Bernard ANTOINE
  • Daniel

    2 Daniel Le 10/03/2018

    C'est vrai que cette histoire de camion fait penser au Salaire de la peur. D'ailleurs, je l'avais en tête même si le fond de l'histoire est différend. Ici ce putain de camion ne transportait pas de la nitroglycérine, mais des gens... On ne risquait pas l'explosion.... J'en autres des histoires de camions ou de désert, ça viendra un jour lorsque je les aurai remaniées. En ce moment, je "travaille" Drôle de guerre, une histoire d'une adolescente prise dans la tourmente de la guerre. Cela se passe en Lorraine et ça avance... à petit pas.

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