Encore une côte

Voyage, Voyage // Putain de camion ! (4)

Fleches putain

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Nous en avions connu des merdes jusque là. Tiens par exemple, au sommet d’une vertigineuse côte, le camion s’arrêta et notre motoriste nous fit descendre. Pour notre sécurité ou pour que son putain de camion soit moins lourd ? Vas savoir, étant donné qu’en temps normal, il roule comme un cinglé. Il n’en avait rien à foutre de notre peau !
Déjà, il avait cogné un talus en voulant éviter un majestueux trou. Ni l’un, ni l’autre n’avaient pu être évités. Et la fois où il avait raclé les arbres à la suite d’un dérapage. Bordel de merde, il finira par nous tuer cet enfoiré. Allons, allons, c’est quand même un bon conducteur. Le meilleur de la compagnie nous a affirmé le mécanicien. Rassurons-nous, jusqu’à présent, il n’a jamais raté un frêle et étroit pont de bois branlant.

Donc, il nous avait fait descendre. La piste dégringolait, un petit virage, un rio boueux dans le creux, et elle regrimpait de plus belle. On aurait dit la portion d’un grand huit. A la différence du manège, ici, il n’y avait pas de rail qui guidait la nacelle, seulement une piste cahoteuse et boueuse. Au moindre écart, à la moindre erreur, le camion se vianderait.
Ainsi, nous partîmes à pieds. Quelques glissades boueuses dans la descente, nous pataugeâmes dans la boue du rio. Nous peinâmes, soufflâmes, grognâmes dans la montée trop raide… De quoi dessoûlé le plus affreux des ivrognes, crois-moi. Et l’autre connard voulait faire grimper son putain de camion jusqu’ici. Un fou, un vrai fou ! Allez va, il ne vivrait plus longtemps s’il continuait comme cela.
Hé, Gordinho, ça y est, tu as eu ton baptême de la boue ? Ah ! T’en as chié. Tu vois, tu es le dernier à arriver au sommet. Et le marajà ? Cherche pas, il est dans « sa » cabine. Son gros cul de riche doit être collé au siège !

Presque au sommet du raidillon, l’appareil photos en main, j’étais prêt à saisir les dernières minutes de vie de ce connard de motoriste. Sa femme, s’il en avait une, pourrait toujours se consoler en voyant la photo du camion broyé. Mort sur le front du travail pourrait-elle éructer entre deux sanglots. Mort pour faire passer un putain de camion dans un endroit infernal. Mort pour que son patron engrange les tunes bien à l’abri de son burlingue de pute…

Et le motoriste lança son putain de camion. Il dévala la pente, toujours plus vite. Les ridelles jouaient des castagnettes. Les arceaux et la bâche bringuebalaient d’un côté à l’autre. Sûr, la caisse arrière allait se démantibuler, s’éparpiller sur les bas-côtés en semant toile, planches, ferraille… Tout devait sauter à l’intérieur, les bagages devaient rebondir. Heureusement que nous étions partis à pieds. Heureusement que l’on avait apporté les grosses cales avec nous…


Cramponné à son volant, son beau chapeau de feutre rouge enfoncé jusqu’aux yeux, le motoriste fixait la piste défoncée, se raidissait lorsqu’il sautait une bosse ou s’écrasait dans un trou, bandait ses muscles pour rester dans l’ornière principale. Le putain de camion filait, volait. L’accélérateur au plancher. Les petits yeux froids scrutaient la chaussée, précédaient les roues de quelques fragments de seconde. Le marajà devait chier dans son froc. Bien fait pour sa gueule, il n’avait qu’à faire comme nous, descendre dans la boue et partir à pied !

L’eau rouge gicla à quatre mètres de hauteur. Le putain de camion cabriolait dans le rio boueux. En rugissant, il s’en échappa, attaqua la montée. Rétrogradage. Le moteur hurlait…

A mi-pente, le mécanicien et le P’tit moustachu l’attendait de pied ferme. Un sur la gauche, un sur la droite, chacun sa grosse cale au bout des bras…
Le putain de camion les arrosa copieusement.
Dix mètres plus haut, ce putain de camion ragea, rugit, hurla la mort… Les pneus arrière couinèrent, fumèrent. Montée trop raide et boue l’immobilisaient, le piégeaient, le paralysaient. Le motoriste leva le pied, le moteur décoléra, les roues jumelées s’apaisèrent. Le putain de camion glissait en arrière, pourtant le motoriste avait bloqué les freins. Il prenait de la vitesse.

C’était sans compter avec le mécanicien et le P’tit moustachu. Le putain de camion reculait, approchait, prenait de la vitesse… Presque ensemble, le P’tit moustachu et le mécanicien entrèrent dans les ornières. Sur la trajectoire de ce putain de camion, ils allaient se faire ratatiner. Le polo blanc et le Guyanais mirent la main sur la bouche ensembles et lâchèrent un « Oh… ». La femme du Guyanais tourna la tête. Sabine et Gérard retenaient leur respiration…
Allez, une photo pour leurs futures veuves. Le monstre prenait encore de la vitesse. Ils placèrent leurs grosses cales… Il est écrasé ! Le mécanicien est sous la roue ! Ecrabouillé, je ne veux pas voir ça !
Pire que « Le salaire de la peur », plus impressionnant en tout cas que le film.

Mais, non, le mécanicien et son compère le P’tit moustachu étaient bien plus malins. Ils étaient déjà sur les bas-côtés lorsque ce putain de camion les approcha. Leurs grosses calles bien dans l’alignement des roues… Les grosses cales glissèrent sur une cinquantaine de centimètres… Les calles se bloquèrent… Le camion tressauta, les roues arrière passèrent par-dessus.
Plus rien n’arrêterait ce putain de camion. Il allait s’écraser dans le rio. Et la vitesse augmentait… Les roues avant buttèrent contre les grosses calles. Bloqué, coincé, le camion était vaincu !

Le motoriste connaissait une autre piste. Elle passait par un endroit bien moins raide, mais bien plus boueux. Déjà, le putain de camion manœuvrait pour se libérer des grosses calles. Il ne nous restait plus qu’à redescendre jusqu’au rio… Toujours en marche arrière, le putain de camion y était presque…
Alors, Gordinho, t’en n’as pas fini avec la boue ! L’autre répondit par un grognement.
Et nous voici repartit à cahoter sur la piste. Franchement, pourquoi cet abruti de motoriste s’était-il entêté à vouloir grimper cette côte bien trop raide ! La réponse arriva rapidement : un embourbement. Et l’on sauta sur la piste, pataugea dans la boue.
Le P’tit moustachu et le mécanicien sortirent la large barre, la plantèrent dans la partie sèche, accrochèrent le câble… Oh ! Nous commencions à connaître la manœuvre. Cette côte n’était pas si raide que ça, ni très longue…
Allez tout le monde pousse ! Gordinho, grosse vache ! T’es encore resté dans le camion… Et toi, enculé de marajà, tu vas descendre un jour de « ta » cabine ? Faudra bien que tu descendes pour rentrer chez toi ! La plaisanterie fit rire le P’tit moustachu, le Guyanais et le polo blanc. Le mécanicien mit un doigt sur sa bouche et siffla un chut pour me faire comprendre qu’il ne fallait pas offenser cet homme important. Un groto, raillai-je comme si j’étais à Abidjan.

Les roues enroulèrent le câble. Allez, on pousse ! Ce putain de camion avança lentement… Quinze mètres de gagnés ! Et on recommence. Dérouler le câble, planter la large barre plus loin, retendre le câble entre la roue jumelle et la large barre. Allez tout le monde pousse !
Et cet enfoiré de  Gordinho ! Sa bouille bouffie se déformait en nous encourageant de ses cris, du haut de son perchoir…
Encore deux côtes de cet acabit furent franchies… Plus facilement, car ces fois-là, nous ne poussâmes qu’une fois… Jusqu’à temps où nous nous retrouvâmes bloquer par ce bourbier long de trois ou quatre cents mètres. Le putain de camion était affalé dans la boue. C’est à croire qu’il s’y plaisait…

 

 

Putain de camion !
Préambule
Oiapoque
Il y a la côte
Encore une côte
La machine
Pénible

Accueil
galerie de l'Aventure

 

La suite Putain de camion !

 

La machine

 

Attendre... Attendre quoi ?
Mais, cette fois l’enthousiasme n’y était plus

Adresse daniel
 

Date de dernière mise à jour : 27/12/2023

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Commentaires

  • bantoine

    1 bantoine Le 10/03/2018

    Voilà, on en parle de ce film, "Le salaire de la peur" qui m'a tant plus et tant marqué à l'époque. Je l'ai revu dans cet exposé. Je l'ai vécu aussi, comme si j'y étais, tant le drame est bien raconté. Je veux absolument connaître le dénouement. Il doit certainement y avoir un dénouement, sinon... au diable notre Daniel; et l'on aurait rien su de cette épopée.
  • Daniel

    2 Daniel Le 10/03/2018

    En fait, j'aurai dû mettre une page de publicité... pour faire traîner le suspens... Bon, disons un petit texte récréatif...

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