Révolution manquée

Et notre papa prend conscience que le Glock le mène en bateau. Il le quitte pour une boîte de Chambéry. Le Daniel suit le mouvement. Le Daniel suit toujours le mouvement. La seule chose qui l’intéresse, c’est son Château. Ses copains et sa vie sont là-bas.
En 1968, notre papa le pousse à déployer ses ailes...
1968 ! Qui dans la famille n’a pas entendu le Daniel vanter la Grande Grève Générale ! La Grande Révolte de la Jeunesse ! Escroc ! Affabulateur !

En février, notre Daniel, qui n’a pas encore 17 ans, travaille en intérim dans une fabrique d’extincteur... en grève. Il n’y restera que trois jours. Non, parce qu’il refuse de jouer le « jaune » (briseur de grève), ce serait trop beau ! Mais parce qu’il prend peur. Les grévistes en colère mettent le feu à un endroit de l’atelier...

Notre papa lui déniche une place porte Champeret. Un des frères est marié avec une fille de Racrange, c’est la sœur du Raymond Streiff (le chauffeur du camion des Glock). Là, notre Daniel apprend à balayer l’atelier de mécanique et à lustrer les voitures. L’autre frère est le véritable patron. C’est un roublard qui promet à notre Daniel un contrat d’apprentissage, mais rien ne vient sauf.... Mai 68.
Notre Daniel restera à son garage. Sa seule vision de Mai 68, ce sont les reportages d’Europe n°1 et les photos de France-Soir ! Pardon, il a assisté à une manifestation de cette turbulente jeunesse… au travers des vitres d’un taxi. Il allait chercher, en urgence, des pièces automobiles pour le compte de son patron. Pardon, il approchera la Sorbonne occupée… en restant dans un bistrot à trois cents mètres de la Mecque de la Révolution…

Mais, il en a marre des boulots durs, il en marre de faire des boulots de merde. Alors, le Daniel écrit aux banques, aux sociétés de crédit, aux compagnies d’assurances. Entre 130 et 150 lettres cherchent à le faire sortir du sillon. Une seule réponse favorable arrive en juillet. Il s’agit de la compagnie d’Assurances Soleil - Aigle qui est en train de fusionner avec la Nationale et deviendra par la suite le GAN.
Dans la famille, c’est la fête. Encore un des enfants (à la suite de la Jo) qui échappe à la condition ouvrière. C’est qu’on est fier de notre Daniel. C’est que notre Daniel est fier.

On le convoque.
Pour l’occasion, notre Daniel enfile son habit du dimanche. Le voilà rue de Châteaudun dans le 9e arrondissement de Paris. L’immeuble est monumental. La porte d’entrée est majestueuse. Un soleil doré brille dans le hall. Un huissier l’accueille avec tout le respect qu’on lui doit. Sa tête tourne...
On l’accompagne dans l’escalier royal. Au premier étage, un autre huissier le prend en charge.

Quelques tests faciles, une dictée sans doute bourrée de fautes (on ne lui en soufflera mot) et quelques banals problèmes de maths. Déjà, on l’introduit dans le bureau du ministre. Belles boiseries, superbes moulures en plâtre au plafond, il y a même une lampe de chevet sur le bureau sculpté...
L’homme qui l’accueille n’est autre qu’un chef de division, son futur chef de division, un cadre pas si important que cela...
Qu’est-ce qu’il parle bien cet homme ! Et il écoute religieusement notre Daniel délirer sur son Château-Salins. Crois-moi, il n’en à rien foutre. Ce chef a en face de lui un jeune bouseux qui ne pense qu’à son patelin alors que toute la jeunesse de Paris jetait il y a quelques semaines des pavés. Il devait même se frotter les mains, ce chef : « ce n’est pas cet oiseau-là qui va me causer des problèmes de discipline ».

C’est ainsi que notre Daniel entra au GAN, le 1er août 1968. Sa vie était toute tracée, il aurait pu finir rond de cuir à 60 ans, ou même obtenir une bonne préretraite à 55.... en rêvant de son Château.

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Notre Daniel vit et travaille dans le giron de son père.
Son émancipation peine, piétine