Il me plait d’imaginer notre arrière grand-mère, disons en 1879.
Chaque matin, un jeune homme monte comme s’il allait au cimetière de la Magdeleine. A l’angle avec la rue du Beaurepaire, il entre à la Poste. Là, il trie son courrier. Ce jeune homme, la Marie le connaît un peu, c’est l’Emile Capet. Habite-t-il encore Vic ? Elle ne pourrait l’affirmer. Mais, elle sait par sa mère que l’Emile a 26 ans.
Son lourd sac en bandoulière, l’Emile redescend et passe sous sa fenêtre. Tous les matins, la Marie attend son passage pour secouer ses couvertures. Au moment où il est en dessous, elle secoue encore plus fort. C’est à croire que l’Emile le fait exprès de frôler la maison. C’est à croire que la Marie veut attirer son attention.
Un jour, l’Emile lance une plaisanterie. Et il recommence les jours suivants. Il finit par s’arrêter, par discuter, par s’attarder, jusqu’à temps que la mère Dégré vienne sermonner notre Marie et chasser l’Emile. La mère Dégré, l’Emile la connaît bien. Elle est la sœur du copain de son père. Alors il plaisante et risque même :
- Votre fille est tellement jolie…
- Ne t’amuse pas à approcher ma Marie de trop près, chenapan !
Et l’Emile repart en riant.
Et puis, un jour l’Emile déclame sa flamme. Notre Marie fait sa timide, laisse entendre qu’elle est choquée, mais accepte de voir l’Emile au prochain bal.
- Dis-voir l’Emile pourquoué t’as fait l’armée chez les casques à pointe. T’es pas de leur côté au moins ?
- Ah ! La Marie. J’voulais pas quitter la Lorraine.
- Ben… Naâncy, c’est aussi la Lorraine. C’est même not’ capitale. Not’Eugène est là-haut.
- Je sais la Mârie. A c’qu’on dit, l’Eugène a épousé un beau parti… Une fille comme y faut… Te sais la Mârie, toute ma famille habite Vic… Tous mes copains habitent par ici… J’voulais pas les quitter… Et pis, si j’étais parti pour la France avec qui te serais mariée ?
- J’préfère un ôme qu’a fait l’armée chez les casques à pointe qu’un Allemand… comme y en a qui font.
Et de fil en aiguille, l’Emile et la Marie se fréquentèrent et finirent pas se marier.
8 juin 2002
La Bibliothèque do Dan