La Bibliothèque do Dan

La mécanisation de l’agriculture

 
 
 

Depuis que le journal de Nancy ne parvenait plus et que ceux de Metz s’étaient sabordés, notre Françoué avait appris à lire entre les lignes. « La Gazette de Lorraine » avait beau paraître en langue française, il savait bien qu’elle était sous le contrôle des autorités allemandes. Aussi, lisait-il d’un œil distrait les articles politiques. Ce jour-là, ce fut une réclame qui l’attira :
- O-ye la Cath’rine : « Avis aux cultivateurs de l’année 1878 : faucheuse Sprague à 2 CV, prise à la Netz, 375 F. Moissonneuse Johnson à 2 CV prise à la Netz, 700 F. Faucheuse moissonneuse à 4 CV prise à la Netz, 1.115 F. Prix exceptionnellement bon marché chez André Paté à la Netz, par Morhange.
- On compte pus en francs, mais en marques, le Françoué !
- J’sais la Cath’rine…

 

Notre Françoué n’en dit pas plus. Il resta à rêver au temps où, avec ses jeunes frères et les commis, ils moissonnaient à la main, ils labouraient avec leurs chevaux. Il sourit en se remémorant les joyeuses fêtes qui clôturaient le travail des champs… Il n’avait que cinquante-trois ans et déjà il se sentait chargé par les ans. Tout avait basculé il y a une douzaine d’année à la mort de ses parents, lorsque la propriété avait été divisée entre les enfants. Depuis, il n’avait plus travaillé la terre. Mis à part la cueillette des mirabelles et les vendanges… Autrefois la vie était dure, mais combien plus intéressante. Franchement, notre Françoué n’avait pas le moral. La semaine dernière, il avait encore vendu un champ. Toutes ces machines, ça le dépassait.
Même le bourg suivait le mouvement. La rue des Laboureurs ne venait-elle pas d’être rebaptisée la rue des Cultivateurs ?

 

Le lendemain, il était descendu chez les Bourcy. Le père était de son âge, mais le fils… Eh bien, le fils venait d’acheter un tracteur ! Penses voir. Un attroupement de jeunes admiraient la mécanique rutilante. Et vas-y que je fais ronfler ce moteur du diable ! Les poules s’ensauvaient rien qu’en l’entendant. Et les commentaires allaient bon train.
Le père Bourcy l’entraîna vers la cuisine familiale où ils burent une mirabelle pour se remettre.
- Encô in schnaps ? demanda le père Bourcy.
- Te causes comme eux ? s’étonna notre Françoué.
- Bof, sommes allemands, maintenant… répondit l’autre d’un air résigné. T’connais le Paté d’la Netz ?
- Çui qui fait l’réclame pou ses machines du Djâbe dans l’Gazette ?
- Aïe ! Eh beun, l’arrête avant la fin de l’anneye. Ç’ot le Stanislas Devin, le mécanicien de Gerbécô, qui r’prend l’commerce… Paraîtrait qu’il va s’installer cheuz nos, là-haut sur la route de Mès. Va même ouvrir un atelier pour fabriquer des r’morques qu’on attachera aux tracteurs.
- On est dépassé par tout ça.
- Le progrès, le Françoué. Le progrès… Allez, on r’prend un schlouk !

texte de 2002

 

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Date de dernière mise à jour : 14/01/2025

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