La Bibliothèque do Dan

La soif…

 
 

Si ce n’étaient ces grosses bornes blanches, plantées tous les cinq kilomètres, ces traces laissés par leurs prédécesseurs, ces quelques carcasses de voitures, Joanna et Morgane pourraient craindre de s’égarer. Mais elles filaient vers l’horizon. Ce matin, elles avaient parcouru vingt kilomètres en deux heures.
De l’herbe sèche et bien jaune apparut avant Bordj Mokhtar. Des pneus déchiquetés, quelques tonneaux balises, deux vieilles tôles qui formaient des petits hangars, une maison éboulée et une citerne (généralement vide, précisait le Guide du Sahara) complétaient ce décor surréaliste.
Quelques acacias, des côtes, des dunes. La voiture cahotait dans un paysage aride et inhospitalier, seulement troublé par une caravane de chameaux qui passait à quelques distances. Les passages ensablés étaient nombreux sur cette partie, mais Joanna les franchit sans problème. Le métier entrait. A l’Est, une chaîne de montagnes se dressait en toile de fond. Les buissons épineux meublaient la rocaille.
Au soir, 250 km en 8 h 30.

 

Le lendemain matin, l’entrée au Mali passa inaperçue. La limite entre les deux états n’était pas marquée. Le poste frontière se trouvait beaucoup plus loin. Très peu de repères étaient visibles et, autant le dire tout de suite, il n’y avait pratiquement aucune balise. Seules, les épaves jalonnaient toujours la piste.
Durement éprouvés par une récente sécheresse, les Tamacheks (les Touareg du Mali) en subissaient encore les conséquences. Leurs troupeaux de dromadaires broutaient une herbe sèche. Des jeunes bergers faisaient signe, Joanna s’arrêta. Morgane leur donna un paquet de semoule, de l’eau et Joanna l’un de ses tee-shirts.
Un Tamachek se tenait fièrement sur sa monture. Sa longue épée sur le côté et un chèche noir qui enveloppait sa tête. Il gara son dromadaire sur le « bas-côté » et leur adressa un magistral salut. Sans doute un noble.

 

A Tessalit, les douaniers maliens se montrèrent forts aimables, mais réclamèrent 20 FF pour leur travail et deux livres en cadeau. Le passage de la police se déroula sans problème, tandis que les policiers titillaient des touristes suisses et français. La fouille expédiée, un policier expliqua :
- Il n’y a rien ici. Les habitants se ravitaillent auprès des touristes. Alors, si vous voulez faire des affaires, vous discutez avec eux. Ça me convient ou ça ne me convient pas, c’est votre problème… Garez votre voiture devant le bar, je vous y apporterais vos passeports.
En clair le policier leur disait que le marché noir était interdit, mais du moment qu’elles ne le pratiquaient pas devant le poste de police… D’ailleurs, les policiers eux-mêmes étaient en quête d’affaires. Elles ne vendirent rien, excepté de l’huile moteur au gars qui leur fournit de l’essence à 700 FM (Francs Maliens, 7 FF) au lieu des 500 officiels (plus au Sud).
Elles devaient faire le plein d’eau :
- Il faut une puisette, voulurent leur louer les gosses du bar.
- Nous nous débrouillerons seules ! tonna Joanna.
Le puits se trouvait sur une grande place, un troupeau de moutons attendait que leur berger puise l’eau pour boire. Les gosses du bar les rejoignirent :
- Il faut une puisette ! insistèrent-ils.
- Il en a une, lui. Il nous la prêtera, répondit Joanna en désignant le berger.
- Il ne vous la prêtera pas !
- Et toi, qu’est-ce que tu demandes pour ta puisette ?
- 500 Francs !
- Va te faire voir, nous nous passerons d’eau.
Témoin de la scène, un homme proposa son seau en plastique… gratuitement. Elles ne remplirent qu’un jerrican vu les pertes que causait le transbordement du seau au bidon.

 

Le paysage restait austère. Les montagnes arides et brûlées par le soleil s’ordonnaient de chaque côté de la piste. Un pont en fer était en réparation, Joanna contourna l’obstacle en descendant dans le lit de l’oued qui était malheureusement ensablé. Joanna et sa voiture y restèrent. Des jeunes Tamacheks les aidèrent à sortir de ce mauvais pas. Joanna leur offrit de l’eau. Beaucoup de bergers agitaient leur bidon, mais elles ne pouvaient ravitailler tout le monde. Dans un autre passage sablonneux, que Joanna passa avec brio, une automobile parisienne était enfoncée jusqu’au châssis. Qu’il était agréable d’aider les autres quand on n’avait pas de problème… Au soir, elles avaient parcouru 66 km… Il est vrai qu’elles s’étaient arrêtées longtemps à Tessalit.

 

Dans la matinée suivante, à l’approche d’Aguelhok, de grands troupeaux de zébus, de dromadaires, d’ânes et de chèvres paissaient sous la surveillance de bergers tamacheks. Des gosses profitèrent de leur passage pour taper à coup de bâtons sur la carrosserie. Le vent de sable embrumait le village. Au contrôle, le policier leur conseilla d’aller prendre un verre au bar en attendant l’accalmie. Cette idée fut approuvée. Le policier en profita pour se faire payer un thé et quémander un bouquin.
En milieu  d’après-midi, une halte s’avéra nécessaire pour souffler un peu et plusieurs chocolats chauds (des instantanés) furent les bienvenus. Elles se félicitèrent d’en avoir fait provision avant de partir. Plus loin, des Tamacheks demandaient de l’eau. Une femme amena son nourrisson et montra sa cuisse brûlée. De la poussière était collée à la blessure. Une autre femme releva sa tunique noire et montra une brûlure sur sa jambe. Un vieux tendit son doigt légèrement blessé, un autre réclama des pilules en se tenant le ventre.

 

Joanna sortit la pharmacie. Morgane désinfecta la brûlure du nourrisson avec de l’eau oxygénée et appliqua du tulle gras. Que faire d’autre ?
- Il faut aller chez le docteur. Il faut laisser le pansement pendant quatre jours et aller chez le docteur.
La femme opina de la tête, mais Morgane savait bien qu’elle n’irait pas. Espérons qu’un autre touriste les aidera dans quatre jours. La brûlure de la femme était moins grave et plus ancienne. Du mercurochrome lui avait déjà été appliqué. Le vieux et sa coupure pratiquement cicatrisée se fit soigner pour la forme. Les quelques grimaces forcées, lorsque Morgane lui nettoya le doigt, n’émurent personne. Par contre, tous les présents, femmes, hommes et enfants réclamèrent des pilules et des vitamines. Joanna activa le mouvement avant qu’ils ne pillent la pharmacie.

 

En fin d’après-midi, elles atteignaient la Marcouba. Sept à huit kilomètres de sable, largement de quoi effrayer Joanna. Mais, la peur n’évite pas le danger, Joanna dégonfla les pneus. Le cœur pincé, elle lança la voiture. A sa surprise et à celle de sa passagère, elle passa l’obstacle sans problème. Et pourtant le Guide du Sahara prédisait que tout le monde tôlait ici. Joanna s’ensabla bien après, juste avant quelques petits monts. Heureusement qu’ici, le passage de fech-fech était « microscopique ».
Un feu anima une soirée merveilleuse…
La piste attendit jusqu’au lever du jour, après le traditionnel café. Un jeune vint à leur rencontre en agitant sa guerba. Elles ne s’arrêtèrent pas, leurs bidons étaient à sec. Plus grave, le puits d’Anefis l’étaient tout autant. Elles poussèrent jusqu’à Tabankort où des dromadaires traînaient.

 

Un jeune, à la coiffure iroquoise, contrôlait le puits, un trou surmonté par les hautes perches en bois où pendait, à la poulie, une corde. Le jeune réclama un polo à Joanna en échange du ravitaillement.
Le puits était très profond. Morgane et Joanna s’attelèrent à la longue corde. Joanna réceptionna le seau en peau et versa son contenu, une eau bien fraîche, dans l’abreuvoir. Un bruyant reniflement la fit sursauta. En tournant la tête, elle se retrouva nez à nez avec un dromadaire. L’animal profita de son étourdissement pour voler l’eau.
- Barre-toi, salaud !
Ses meuglées ne changèrent rien. Enfin si, deux autres dromadaires s’approchèrent…
- Au lieu de rire ! cria Joanna en s’éloignant.
Enfin, Morgane se décida à intervenir. Sous l’œil amusé du jeune à la coiffure iroquoise Morgane gendarmait les abords de l’abreuvoir. Joanna s’attela à la corde. Une fois que le seau apparut, elle passa la corde à sa sœur et effectua le transbordement. Ainsi, elle réussit à remplir deux jerricans, aux trois quarts, avant que la meute ne déborde la gendarme :
- J’abandonne… geint Morgane.
Joanna ne demanda pas son reste, elle lâcha la corde et se précipita vers la voiture. La piste était encore longue jusqu’à Gao.

 

Tout naturellement, elles allèrent voir leur ami Mamadou. Est-il vraiment nécessaire de dire qu’il fut heureux de les revoir à Gao et sa famille le fut tout autant. Mamadou se débrouilla pour les loger chez son ancienne femme, leur paya des cigarettes, les trimballa dans sa bagnole, leur offrit à boire et de bonne viande. Leur famille d’accueil était très sympathique, les enfants aussi. Elles avaient la pitance assurée matin, midi et soir. Oh, pas quelque chose de bandant : du riz au déjeuner avec un peu de viande ou du poisson, de la bouillie au dîner. Pourtant, Mamadou et ses familles avaient de gros problèmes. Elles ne l’apprendraient, par hasard, qu’une semaine après leur arrivée…

Le 19 avril 2001

 

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Date de dernière mise à jour : 14/01/2025

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