Economies privées

Pour Sab, Gé et moi, nous avons coutume de passer nos coloscopies à L’Isle-Adam. Je t’entends : pourquoi coures-tu à 80 km de chez toi ? Simple, j’habitais là-bas autrefois. Et la clinique est à quelques dizaines de mètres de notre camping, là où nous abrite notre mobil-home. Pas dans une caravane ? Oh si, au début. Mais, vois-tu, nous avions besoin de plus d’espace et plus de confort, alors nous avons acheté ce mobil-home d’occasion. Hé oui, tous les gens riches n’habitent pas dans un château…
Tu tiques parce que tu as lu « clinique » à laquelle tu associes naturellement « privée ». Quoi, tu ne vas pas à l’hôpital public ! grognes-tu. Ben non, l’hôpital public de L’Isle-Adam que nous fréquentions à notre arrivée dans les années 90 a fermé ses portes et celui de Beaumont est brinquebalent. Le plus proche est à 25 km, à Pontoise.

 

Notre gastro-entérologue n’est peut-être pas le meilleur, mais il nous suit régulièrement et jusqu’à présent nous n’avons pas à nous en plaindre. Nous avons même tissé des liens. Par exemple, il nous reçoit ensembles, Gé et moi (Sab a des horaires compliqués). Bien sûr, il « facture » deux visites, mais il nous prend que ce que la Sécu conseille et sans dépassement d’honoraires. Ce qui est loin d’être le cas pour nombre d’autres praticiens de la clinique.
La consultation se déroule ainsi : une première partie médicale très sérieuse, c’est qu’il s’agit de santé. Une seconde où chacun se lâche et plaisante tout en rédigeant les ordonnances et autres papiers administratif. Notre sœur veut passer la première. Bon, je la mets à 8h. Je vous fais son ordonnance, vous lui remettrez. Vous, dit-il à Gé, à 9h. Et vous, me dit-il, à 10h. Une coloscopie dure une heure ?
Nous n’avions pas réalisé que lors de la purge, il valait mieux espacer les prises afin de ne pas embouteiller les toilettes. Et il avait bien raison, car, à part deux ou trois fois, on allait vidanger sans déranger les autres.

 

Lorsqu’en 2017, j’ai pris ma retraite et décidé de quitter le camping pour m’installer dans le village où habitaient autrefois mes parents, j’ai naturellement pris leur médecin comme médecin traitant. Lui nous connaissait depuis bien longtemps (une trentaine d’années) autant que nous le connaissions. La première fois que je lui présente le rapport de ma coloscopie, il dit : Akue-Goeh, c’est  un… Oui, c’est un gastro-entérologue. Il bafouille un peu : Enfin… (nous sommes habitués aux médecins juifs, cela fait longtemps qu’ils exercent chez nous, cela il ne le dit pas mais c’est tellement sous-entendu) c’est un… reprend-il sans finir sa phrase. Oui, que je lui réponds, c’est un Noir. Je n’ai rien contre, finit-il par articuler, c’est juste son nom… Bon, passons, l’objet de ma prose n’est pas là.
J’arrive à la clinique à 9h30 ainsi qu’on me l’a demandé. Ah, voilà le troisième, que me dit la guichetière des admissions. Comme votre frère et votre sœur, vous ne réglez pas tout suite les 30€ ? (c’est un racket de la clinique même pour les gens qui sont à la CMU). L’enregistrement fait, je monte au service ambulatoire. Asseyez, on va venir vous chercher. J’attends, je patiente, je commence à m’ennuyez. Approche les 10h45. Ils ne m’ont pas oublié ? La guichetière consulte son registre. Oui, vous êtes bien inscrit pour 10h. Attendez, je vais me renseigner. Elle revient rapidement : docteur Akue-Goeh a quelques retards. Ça ne va pas tarder. En effet, même pas cinq minutes et un infirmier vient me chercher : Ah ! le frère des deux précédents. Il m’amène dans un…espèce de vestiaire. Pour un peu, je me croirai dans une usine.
Juste Sab sort, sa période clinique est terminée, elle va pouvoir rentrer au camping. T’as vu dans quoi on se retrouve, le choc ! Hé oui, autrefois, on était installé dans un box avec un lit, un placard à notre disposition. Et moi qui plaisantais : je vais aller à la clinique à 8h du matin, comme ça, je pourrai finir ma nuit. Et me voilà dans ce vestiaire avec cette batterie de casiers. L’infirmier me dit pompeusement : vous aurez le coffre-fort n°17. Un simple casier juste assez grand pour entasser mes fringues et mes godasses. Et tu n’es pas au bout de tes surprises, mon gars, m’avertit Sab. Moi, je m’étais déshabillé et commençais à enfiler ce bleu de travail, pardon ce pyjama bleu. Tu as mis ta camisole à l’envers, rigole-t-elle. Attends, je vais t’aider. Et ta charlotte ? Ah ! c’est ce truc tout fripé ? Je l’ai jeté sans savoir ce que c’était… Et l’infirmier tire un de ces fauteuils mêmes pas confortables : je vais brancher l’aérosol. Me voilà dans l’entrebâillement de ce local de déshabillage, l’aérosol branché à l’intérieur. Du coup Sab doit se changer dans la seconde cabine.

 

Sab trouve que l’aérosol ne sert à rien, en tout cas pour elle. Un quart d’heure, en avant pour la salle d’opération. Autrefois, on nous y emmenait allongé sur un brancard, aujourd’hui, c’est à pied qu’on y va. L’aide-soignant m’aide à m’installer sur le brancard de la salle pré-opération et s’en va. A côté de moi un gugusse attend son tour. Assez rapidement, l’infirmière vient le chercher. Pas plus mal parce que ce gugusse n’était guère avenant. Sans doute que la coloscopie et son résultat le préoccupaient…
Ah, voilà le troisième. Je vous ai reconnu tout de suite, vous avez la même tête. C’est l’infirmière qui vient me chercher. Je suis le dernier ? Oui, juste avant que nous prenions notre pause déjeuner. Si nous arrivions trop tard, nous n’aurions rien à manger.
Et hop, direction la salle d’opération.
Voilà le troisième ! C’est l’anesthésiste adjointe. Tout en me préparant avec les branchements d’usage : le Tutt ! Tutt ! pour vérifier le taux de saturation, celui pour la tension, les capteurs pour le cœur, La routine quoi… Nous discutons. Vous vivez tous les trois ensembles ? Oui, on fait beaucoup de choses ensembles. Enfin, pas tout… Je me doute, rigole l’anesthésiste. C’est bien des frères et sœurs qui s’entendent. On a été Brésil ensembles. On a accompagné nos parents. Akue-Goeh arrive : ça va Mr Schlauder ? J’ai cru que vous m’aviez oublié. Mais non, je ne pourrais pas vous oublier, rigole-t-il. Mais, j’ai eu quelques petits problèmes. On va passer aux choses sérieuses maintenant. Attention, je vous pique, l’anesthésiste pose le cathéter pour la poche à perfusion. Oh, ça fait mal, d’habitude… Je continue. Mon frère avait créé une petite entreprise de transport, on travaillait avec lui. Et aujourd’hui, il y a Epi…

 

Je me réveille dans la salle de réveil, évidemment. Infirmières, infirmiers, médecins s’affairent. Cinq ou six personnes. Me reste plus qu’à attendre le passage d’Akue-Goeh pour retourner au service ambulatoire et après rentrer au camping. Le temps est long lorsqu’on attend, surtout que je me sens en forme. Je sais, le toubib est parti manger, laissons-lui le temps.
Ah, voilà mon sauveur. Akue-Goeh entre dans la salle tout rayonnant. Tout c’est bien passé, j’ai juste enlevé quelques petites cochonneries. Vous viendrez me voir en mars pour le résultat final (les prélèvements doivent être analysés histoire de vérifier qu’il n’y a pas quelque cancer qui se cache). Tout en rigolant, il rajoute : vous viendrez tous les trois. Vous viendrez ensembles, hein ! Bien sûr que je lui réponds. La sanction tombe : on va vous ramener au service ambulatoire et dans une heure, vous rentrez chez vous.
Akue-Goeh passé, c’est plié. Plus qu’à attendre qu’on vienne me chercher. Il est 13h15 indique l’horloge de mon compteur de contrôle. Tiens mon taux de saturation est retombé à « ma » normale : 93/94/95. Le temps passe. Personne ne s’occupe de ma personne. Normal, les sortants des salles d’opération arrivent et, certains, dans un triste état. Ils ont téléphoné au service ambulatoire, plus besoin de s’occuper de moi. Plus qu’à attendre. 13h30, toujours dans l’attente. Qu’est-ce qu’ils foutent au service ambulatoire ? Et de nouvelles personnes sortent des blocs opératoires, ça commence à s’entasser. La dame à côté de moi a un problème. Infirmiers et docteur se précipitent pour la faire revenir parmi nous. Celui qui œuvre entre mon brancard et celui de la dame a tout juste de la place. Ils m’auraient renvoyé au service ambulatoire, ils en auraient de la place. Nous sommes bien entassés, mais le calme est revenu. Les hospitaliers discutent, plaisantent au bout de la salle. Et moi ! Il est plus de 14h… Même une personne arrivée après moi dans la salle de réveil est dirigée vers la sortie. Et moi !

 

Oh, je connais un truc qui affole médecins et infirmiers : débrancher mon capteur du taux de saturation. C’est ce que j’ai appris lors de mon passage à l’hôpital de Montdidier à une Noël. Alors, je profite de cette accalmie pour que l’on s’intéresse à mon cas. Tutt ! Tutt ! dès que j’enlève le capteur de mon doigt. Une infirmière accourt : voulez-vous remettre votre doigt dedans ! Mais, je dois être transférer au service ambulatoire… Pas le temps d’en dire plus, pas le temps que l’infirmière me réponde, le gars en face s’est dressé sur son brancard et essaie de vomir.
Aidé par un collègue, l’infirmière règle le problème du pauvre homme. Elle me lance un : je reviens vous voir dans un instant. 14h30, rien. Toujours en attente et l’infirmière n’est pas revenue. Pourtant, au bout de la salle, je les vois discuter, plaisanter, se reposer de ces épreuves. 14h45, j’en ai marre, j’enlève mon doigt du capteur : Tutt ! Tutt !, j’enlève le bracelet de la tension : double Tutt ! Tutt ! L’infirmière arrive au pas de course. Vous devez attendre le passage de votre médecin ! Akue-Goeh est passé il y a deux heures. Bon, j’exagère à peine. Ah, je ne savais pas. Remettez vos branchements, une dernière vérification et je vous libère. Ce qui est dit est fait. Voilà, on me débranche de partout et un aide-soignant pousse mon brancard. Comme convenu, il me laisse dans le sas à la sortie de la salle de réveil : mon collègue de l’ambulatoire va venir vous chercher.

 

Le problème, c’est que je suis trop près du capteur de la porte de la salle de réveil. Sans cesse, elle s’ouvre et se referme. ¼  d’heure… Sans cesse, la porte s’ouvre et se referme. ½ heure… Sans cesse, la porte s’ouvre et se referme. Elle commence à m’emmerder cette porte. Et qu’est-ce que fout ce collègue de l’ambulatoire. Il ne peut pas venir me chercher ! ¾ d’heure. Sans cesse, la porte s’ouvre et se referme. Elle m’emmerde cette porte. Et qu’est-ce que fout le collègue de l’ambulatoire. J’en ai marre, je me barre. Je descends avec peine du brancard. Je ne vais pas traverser la clinique cul-nu. J’essaie d’enfiler mon pantalon bleu. Voilà que de l’autre côté, dans la salle de réveil, le brave aide-soignant qui m’a amené ici me balance à un toubib qui accourt : remontez dans votre lit ! Tout de suite ! Vous avez eu une coloscopie. Ça fait trois heures ! Personne ne vient me chercher, alors j’y vais. 3h ! 3h ! Remontez dans votre lit ! Vous mettrez votre pantalon plus tard. Ne vous en faites pas, je téléphone au service pour qu’ils viennent.
Bon, je remonte sur mon brancard.

 

Et voilà un autre sortant qui arrive dans le sas. Soyez pas pressé d’en partir, ça fait une heure que j’attends. A peine ai-je dit cela qu’un jeune homme bien dynamique fait irruption. Accrochez-vous, on va foncer, plaisante-t-il. Me voici donc dans un box, sur un autre brancard. On m’apporte une petite collation : gâteau, mousse compote et sorte de chantilly, un semblant de mousse chocolat et un café. Pas de rab, on n’en donne plus. Pas non plus de trousse (qui contenait diverses babioles), on n’en donne plus. La clinique fait des économies. Mon cathéter enlevé, je peux enfin sortir… Les cliniques privées seraient-elles mieux que les hôpitaux publics ?

 

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Date de dernière mise à jour : 06/02/2024

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