Elle n’devrait pas tarder

Le jour se levait sous une pluie assez fournie. La caisse à outils martyrisait le flanc du Milou.
- Ça t’fait du sport, grôs ! rigola le Grand Mimil’. A partir de maintenant te viendras sur les chantiers avec moi. Je vâs t’apprendre le boulot. On va faire une bonne équipe.
- Tant mieux, parce le Rital, il me chauffe les oreilles !
- Te fais des âties pour rien… Tonio a sale caractère… Mais, quand tu le connais, c’est la crème des hommes. Tu finiras par l’apprécier.
Le Milou ne répondit rien. D’ailleurs, ils arrivaient dans le haut de la rue.

 

Ils avaient les fenêtres à ajuster. Le Milou se mit à l’ouvrage sous l’œil critique du Grand Mimil’. Un coup de rabot par là, une crémone à graisser par ici, une paumelle à régler. Dans la maison vis-à-vis, une mâmiche était postée à sa fenêtre. Le Grand Mimil’ lui adressa un signe, la femme lui répondit.
- C’est ta fiancée ? se moqua le Milou.
- Chaque fois que je passe par là, elle est à sa fenêtre. Une fois, je lui ai raboté une porte… Bon, au boulot !
Restait un comptoir à poser dans le garage.
- Ça va leur servir à quoi ?
- J’en sais rien, avoua le Grand Mimil’. Moi, on me dit de poser un comptoir, je le pose…

 

La tante Agathe n’était plus toute jeune. Allez vâ, le poids des ans se faisait sentir. Il y avait longtemps qu’elle n’était pas grimpée à l’étage. Ah ! Cette maison lui paraissait trop grande...
Elle s’installa devant sa fenêtre. « Elle n’devrait pas tarder » pensa-t-elle. La rue était bien déserte. Pourtant, peu à peu, la vie reprenait... On reconstruisait les maisons un peu partout. Juste en face, deux ouvriers s’affairaient aux fenêtres. Elle reconnu celui qui était venu lui raboter la porte qui raclait sur le parquet. Elle répondit à son bonjour.

 

C’était le Jules et la Marie Létyi qui allaient habiter là.
- Ils vont quand même pas mettre leurs vaches dans le garage ! pensa-t-elle à haute voix.
Qu’importe, la vente de l’ancienne maison du Victor et des terrains à l’arrière lui avait rapporté un bon pactole. Les Létyi pouvaient bien faire tout ce qu’ils voulaient.

 

« Elle n’devrait pas tarder » pensa-t-elle. Les pavés brillaient sous la pluie. Cela faisait une demi-heure, trois quarts d’heure, peut-être plus qu’elle était derrière son carreau. Toujours pas un chat dans la rue. Même les ouvriers vis-à-vis avaient quitté leur fenêtre…

 

Depuis six mois, elle avait retrouvé sa ville, son pays. Là, avaient vécu ses ancêtres. Là, étaient enterrés les siens. Elle rit franchement en pensant qu’elle ne mourrait pas en terre étrangère.
Elle sourit en pensant qu’elle n’aurait pas à se rendre en mairie. Cette fois-ci, pas de démarche pour être « réintégrée dans la nationalité Française ». Finalement, l’exil n’avait pas que du mauvais...

 

Le fracas d’un camion sur les pavés la tira de sa rêverie. « Elle n’devrait pas tarder » rameûssa-t-elle. Et, il pleuvait toujours.
- La voilà ! s’écria-t-elle.
Elle venait juste de passer devant la fenêtre. La lourde porte en bois grinça. Ses chaussures râpèrent le paillasson. Quelques claquements sur le carrelage, elle toqua à la porte.
- Entrez ! Entrez, c’est ouvert, cria la tante Agathe.
- Bonjour ! Et bon anniversaire.

 

Elle posa son lourd cabas sur la table et commença à sortir les marchandises : des pâtes, du riz, une boîte de haricots, un steak, des saucisses, un pain, du Munster…
- Laissez, je vais ranger. C’est très bien et gardez le reste des ticket de rationnement pour vous. J’en ai de trop. Prenez ceux pour le textile et les chaussures. Là ! Sur le buffet. J’en ai pas besoin… Vivement que j’aille mieux… Cette foutue grippe… Laissez don Oda… Ça va être l’heure de vos copines.

 

Tous les jours ou presque, l’Oda montait jusqu’au Tribunal pour chercher ou accompagner la Mimie et la Domi, ses copines.
- Vous avez tel’mant l’air d’être heureuses toutes les trois… Vous pouvez vous arrêtez si vous voulez…
- Elles n’ont qu’une heure pour manger…
- Filez Oda, si vous n’êtes pas là lorsqu’elles sortiront, elles vont croire que vous êtes malade. Et encore merci…
- Je vous amènerais le pain les midis…

 

Ils fumaient leur clope sur le pas de la porte et s’apprêtait à descendre à la cantine. La fenêtre vis-à-vis était vide. La mâmiche devait sans doute manger. Trois jeunes filles descendaient la rue. Serrées sous leur parapluie, elles parlaient fort et riaient… Un sifflement retentit…
- Milou ! s’offusqua le Grand Mimil’.
- Quoi ?
- Grôs, on n’fait pas ça ici. T’es dans une petite ville, tout le monde s’connaît.
- Et alôre ?
- Alôre, on n’siffle pas les filles. C’est mal vu.

 

le 5 février 2016

 

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Date de dernière mise à jour : 28/12/2023

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