Les Higelin

La tante Agathe n’était plus toute jeune. Allez vâ, le poids des ans se faisait sentir. Il y avait longtemps qu’elle n’était pas grimpée à l’étage. Ah ! Cette maison lui paraissait trop grande...
Depuis six mois, elle avait retrouvé son Château, son pays. Là, avaient vécu ses ancêtres. Là, étaient enterrés les siens. Elle rit franchement en pensant qu’elle ne mourrait pas en terre étrangère. Elle sourit en pensant qu’elle n'aurait pas à se rendre en mairie. Cette fois-ci, pas de démarche pour être «
 réintégrée dans la nationalité Française ». Finalement, l’exil n’avait pas que du mauvais...

 

Mais, il y avait là-haut…

 

Certes, un beau petit appartement, deux chambres et une cuisine. Mais, l’endroit était condamné pour toujours. Bien sûr, ne serait-ce que pour monter, elle aurait eu du mal. Pourtant, l’escalier était encore solide. Le danger ne venait pas de là.
Là-haut, il n’y avait que du dégoût. Cet endroit était devenu son crève-cœur. La porte était fermée à double tour pour… l’éternité. Si seulement la poussière les enfouissait. Ou que l’humidité les pourrisse. Elle priait pour que les termites les réduisent à néant. Si elle avait osé, elle les aurait fait expier par le feu...

 

Elle avait voulu les donner à « not’ Nénète »... Son neveu s’y était violemment opposé. Elle avait avancé :
- Not’ Oda en aura besoin lorsqu’elle s’mariera... Tu sais Henri, ils sont vraiment beaux…
- Personne ne les aura ! avait tonné son neveu.
Satanée Marie ! Satané Jules ! Satanés Higelin ! Satanée nièce !

 

Au printemps 1952, nous emménageâmes, chez la tante Agathe. La maison n’était pas très éloignée de la Sous-préfecture et de la mémère. Une centaine de mètres tout au plus, un peu plus haut dans la rue de Nancy, mais sur le trottoir vis-à-vis. Une maison sans style particulier, bien semblable à ses voisines.

 

D’abord, il fallait vider le logement maudit. C’est que les Higelin s’étaient carapatés comme des criminels...
- Tu vois Henri, depuis le temps que je te dis de prendre ces meubles...
- Tante Agathe, je ne veux pas les meubles des Boches ! rétorqua notre pépère.
- Hé bien, ils serviront à l’Oda...
- Ni l’Oda, ni la Nénète ! Personne ne touchera aux meubles des Boches.

 

Et notre pépère fit ce qu’il avait décidé. Quasiment à la hache, les meubles furent réduits en morceaux de bois que la chaudière de la Sous-préfecture avala. Notre pauvre papa, qui était menuisier et avait quelques connaissances en ébénisterie, ne put escamoter que quelques panneaux. Et à le voir baver devant ce trésor, je puis imaginer que ces meubles étaient bien beaux.

 

Ah oui ! les Higelin... La Marie Higelin était une cousine de notre pépère et une nièce de la tante Agathe. Eux, en 1940, avaient choisit de redevenir Allemands, comme avant 1918. Ce qu’avaient fait d’autres membres de la famille. « Ils ont fait les Boches ! », tranchait notre maman. Certes ! Mais, bien pire, le Jules était un Nazi notoire. Lorsque la tante Agathe choisit l’exil, comme nombre de Castelsalinois, les Higelin s’étaient emparés de sa maison... N’épiloguons pas plus.

 

le 22 mars 2018

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 03/01/2024

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