Vive la France

 

Arriva l’âge du service militaire. La Lisette fut bien triste de voir son Roger partir, sans doute vers 1938. Pas de chance, la menace de guerre prolongea le séjour. Les Allemands envahirent la Belgique, le Nord de la France, etc. Notre Roger fut fait prisonnier et se retrouva dans un stalag.
Quoi ? Les Allemands disaient que les Français avaient perdu la guerre et qu’ils allaient rester prisonniers en Allemagne. Que les Lorrains (de Moselle) et les Alsaciens avaient peut-être combattus avec les Français, mais c’était uniquement parce qu’ils y étaient obligés. Les Alsaciens-Lorrains allaient redevenir Allemands.
Pas question de garder dans les stalags des citoyens allemands. Il fallait que les Alsaciens-Lorrains rentrent chez eux et contribuent à faire que l’Allemagne devienne le grand Reich. Alors, on libéra les Alsaciens-Lorrains.

 

« Hé ! Moi, j’suis Lorrain ». Les Allemands ne pouvaient mettre en doute les dires de ce jeune homme qui exhibait son livret militaire attestant qu’il habitait Château-Salins. L’officier examina le livret. Il n’y connaissait rien en géographie, il lut « Moselle ». Et Château-Salins ? Un nom pas très allemand, ça… Mais, nombre de villes et de villages portaient des noms français dans cette région. L’officier vérifia sa liste, « Château-Salins » y figurait bien.
- Vous ne parlez pas allemand !
- Aucun jeune de mon âge parle allemand.
Ainsi, notre Roger fut libéré comme des milliers d’Alsaciens-Lorrains.

 

Tout était écrit en belles lettres gothiques, mais notre Roger reconnut son bourg lorsqu’il posa les pieds à Salzburg-in-Lothringen. Alla-t-il saluer sa famille ou alla-t-il embrasser d’abord sa fiancée ? Ne doutons pas qu’il fit l’un et l’autre dans les plus brefs délais.
La vie n’était pas très gaie à Salzburgen, comme on la surnommait familièrement. Mais, notre Roger avait retrouvé sa fiancée, sa famille, ses copains et sa liberté. C’était l’essentiel.

 

Les autorités expulsèrent les Français, les Lorrains résistaient. Les Allemands germanisèrent l’Alsace-Lorraine, passe. Ils séparèrent la Lorraine de l’Alsace, on ferma les yeux. Ils rattachèrent la Lothringen au Pfalz et à la Saar, on ne dit rien.
Les Nazis nazifièrent la Lothringen, ça coinçait. Notre Roger n’assista pas au cours d'allemand que les autorités dispensaient, pourtant gratuitement. Il n’était pas le seul. « Celui qui se reconnait Allemand parle Allemand ». Parle à mon cul ricanaient les jeunes.
Il ne rejoignit pas, non plus, le parti nazi. Il était loin d’être le seul à résister. Oh ! Ne vas pas croire qu’il se lança dans la guérilla ou le terrorisme, non. Il grognait. La vue de ces affiches de propagande placardées sur les chiottes près de la sacristie le faisait pouffer.

 

De Metz le Gauleiter de Saar - Pfalz - Lothringen, un dénommé Bürckel, hurla : « Nous n’accepterons pas de demi-allemand ! ».
Dans les régions de langue allemande ou industrielles, c’était la langue allemande et le salut nazi ou les camps de concentration. Dans les régions agricoles et francophones, telle Château-Salins, c’est devenez Allemands et Nazis ou foutez le camp !
Notre Roger n’hésita pas, il serait expulsé. Comme le sera sa belle-famille. Comme la plupart des Castelsalinois, notre Roger sélectionna soigneusement ses trente kilos de bagages. Il cacha ses biens les plus précieux en espérant les retrouver un jour. Quelques bijoux et le surplus de l’équivalent en marks des 2.000 Francs autorisés furent dissimulés sur lui. Il enfouit quelque chose sous sa chemise. Les Boches ne fouilleront pas tout le monde, espérait-il.

 

Notre Roger retrouva sa fiancée sur le quai militaire de Hampont… De temps en temps, il touchait ce qu’il avait caché sous sa chemise. Ça le rassurait, ça l’amusait. Son visage s’éclairait même d’un sourire narquois.
Sa famille et sa belle-famille s’entassèrent dans la même voiture de ce si long train. Les sièges étaient en bois, peu confortables. Mais, ils échappaient aux Nazis.

 

Le train s’ébranla. Les sentinelles semblaient apaisées de voir ces mauvais allemands foutre le camp. La locomotive prit la bonne direction. Où allaient-ils ? Quelle importance, ils partaient vers la France. Déjà, la gare de Château défilait. On essaya d’entrevoir sa demeure… On se précipita à la vitre vis-à-vis : les salines étaient bien tristes, leurs hautes cheminées ne crachaient plus. Du plus loin qu’ils purent, ils restèrent accrochées à ces hautes cheminées. Ah ! Château… La Petite-Seille, la gare de Salonnes, celle un peu plus grande de Burthécourt, celle encore plus grande de Chambrey. Nouveauté pour les jeunes, souvenirs remis au goût du jour pour les anciens : « Les Boches ont rétablis la frontière ! ».
Depuis cinq mois, on leur prédisait qu’ils ne repasseraient plus jamais cette frontière… Aujourd’hui, ils la traversaient sans même s’arrêter.

 

Moncel, Champenoux, Seichamps, le train crachotait…
Ils n’étaient pas encore débarrassés des Boches. Sur le quai de Nancy, les vert-de-gris en armes veillaient à l’ordre. Seuls les volontaires de la Croix-Rouge pouvaient approcher le convoi et distribuer quelques douceurs. Notre Roger se pencha par la fenêtre. Un suprême sourire, il retira ce qu’il avait caché sous sa chemise, le brandit au bout de son bras :
- Vive la France ! Vive la France !
Le drapeau bleu blanc rouge s’échauffait au vent;
- Vive la France !
- Roger arrête, implorèrent ses voisins et voisines, t’vas nous faire arrêter.
Mais notre Roger agitait de plus belle son drapeau :
- Vive la France !
Le lendemain, ils débarquaient en Dordogne, en France libre…

le 17 août 2005

 

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Date de dernière mise à jour : 16/07/2024

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