Titome

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Praïa Dezenfão (2)

Fleche praia

De tous les camelots qui fréquentaient la plage, seule l’ombre décharnée de Amendoim hantait encore la trentaine de paillotes. Sa démarche hésitante la trainait vers les rares consommateurs attardés. Comme toujours, les gamins la taquinaient. Son visage fripé garderait la même expression de vide, de sa voix fluette et ankylosée par la cachaça, elle protesterait faiblement en tendant sa main rabougrie. Un adulte interviendrait pour qu’on lui rende le sachet de cacahuètes dérobé, qu’on lui régla la part de galette à la noix de coco volée, qu’on lui redonna l’argent subtilisé.

 

Déjà trop vieux pour rester à ne rien faire, mais pas assez pour être sérieux, leurs parents les avaient placé ici dès leur douzième année. Titome appartenait à cette bande. Lui servait les clients de la barraca Vizoza. Contrairement aux autres enfants, il était sérieux, presque un homme, pas comme les chenapans de la paillote voisine. Encore cet après-midi, Espiègle et Cervo lui avait sauté dessus, ils avaient roulé à terre. Tandis que l’un lui maintenant le visage contre le sable, l’autre s’était emparé de son portefeuille contenant le salaire du jour. Son patron avait dût intervenir pour qu’ils lui rendent son bien.

 

Semblables aux autres avec son toit conique en paille posé sur une construction en briques rouges formant un demi-cercle, la barraca Vizoza était son domaine. Les clients de la terrasse et ceux installés sous les cinq parasols à trente mètres de là, près du rivage, lui appartenaient. Plus les clients consommaient, plus il gagnait d’argent, exactement 10% sur chaque boisson. A longueur de journée, on le voyait courir de table en parasol et de parasol au bar en briques d’où partaient cervejas, sucos, assiette de frites ou de poissons.

Jeudi, vendredi, samedi, dimanche, le week-end de Pâques avait été dur. Beaucoup de gens étaient venus de Citade et même de beaucoup plus loin. Ces quatre jours avaient été durs, mais Titome s’était fait un bon pactole. Pourtant sa paillote n’était pas la mieux située. Une en avant, une en arrière, les barracas s’alignaient sur deux lignes, la sienne était un peu en retrait, sur la seconde file.
Ce lundi, les touristes avaient repris le chemin du travail. Titome était resté à rêvasser à une table. Cendão, la cuisinière l’avait imité. Une journée tranquille.

 

Titome avait lavé et rentré les parasols, balayé la terrasse en béton, aligné les tables, arrangé les chaises, ce qu’il faisait chaque jour. A l’heure où il aurait pu rentrer chez lui, son patron avait piqué une crise d’autorité. Sous prétexte qu’ils projetaient de la poussière sur sa propriété, il chassa les gamins qui, comme chaque soir jouaient au football sur l’arpent de sable entre terrasse et talus. Ensuite, il critiqua le nettoyage, Titome aurait dû déplacer les tables et les chaises. Le sermon dura cinq minutes.
Pour lui prouver que le travail était mal fait, le patron fit une démonstration. Sous l’œil attentif de son maître, Titome se remit à l’ouvrage, mais cette « cabeça de camarão » n’était qu’un incapable. Irrité, le patron lui arracha le balai des mains. Tout en s’appliquant au balayage, il expliquait comment exécuter cette délicate besogne. Titome écouta, puis se lassa. Appuyé au bar, il souriait au paysage.

 

Au loin, un cargo suivait la ligne d’horizon en forme d’arc de cercle. Depuis la plage, on le voyait prêt à basculer dans l’invisible. Et, pourtant, il poursuivait inlassablement sa route. Dans quelques dizaines de minutes, il atteindrait le port de Citade. Dans le ciel d’azur, sans nuage, se dessinait un triangle plus foncé, le navire avait presque atteint sa pointe qui sombrait dans les eaux de l’Océan.

 

En gerbes immenses, les vagues s’éclataient à intervalles presque réguliers contre le rempart noir. Dans les endroits moins élevés, l’écume blanche submergeait la barrière de corail et dégoulinait le long de la courte pente.
Encore une poignée d’heures et la barrière de corail serait engloutie. Seul un bouillonnement blanc marquerait son emplacement. La surface ondulée de la piscine naturelle où s’affairaient quelques pêcheurs armés de filets, se déchirerait, s’enflerait. Les frêles embarcations des pêcheurs et celle qui trimballait les touristes, amarrées, seraient secouées. Les vagues rugissantes déferleraient sur le sable blanc, effaceraient les traces laissées par les baigneurs, monteraient à l’assaut du petit raidillon, termineraient leur course contre le petit talus et le raboteraient.
A l’opposé de l’Océan, les rayons mauves et roses du soleil mourant se reflétaient sur les nuages qui envahissaient l’Ouest.

L'écume blanche
La barrière est submergée
A l'Ouest

 

Le patron discourait toujours. Dans son délire, il ne s’était même pas aperçu que Religioso, le barman d’une cinquantaine d’années, l’avait rejoint et qu’à eux deux, ils avaient presque fini de balayer toute la terrasse. Lorsqu’il s’en rendit compte, il était trop tard pour passer la main à son apprenti. Mais, il avait plus d’un tour dans son sac…

 

Tout d’abord, le patron régla Cendão. La cuisinière attendait son bon vouloir depuis longtemps. Cette fois, il ne retiendrait pas un pactole sous prétexte qu’elle emportait un peu de quoi nourrir sa famille, son sac était vide.
En trouvant cet emploi, Cendão avait espéré économiser suffisamment d’argent pour supprimer son complexe. Elle désirait remplacer les dents qui lui manquaient si cruellement sur le devant de la bouche. Hélas, ce gros tas de saindoux de patron s’engraissait sur son dos et ne la payait pas assez pour réaliser son rêve.
Au début, ça l’avait traumatisé, elle en avait même pleuré. Malgré ce handicap, Cendão était un beau brin de fille. Et, elle avait du succès au bal du samedi soir. Oui, elle réussirait un bon mariage avec l’un de ces garçons qui l’invitaient si souvent à danser. Mieux ! elle épouserait un de ces touristes qui paraissaient suffisamment riches pour s’offrir des week-ends à la plage.

 

Le patron retourna vers Titome. Entre-temps, il avait inventé un nouveau jeu. Chaque table portait un numéro. Il demanda à Titome de les ranger par ordre numérique. Seize tables ne suffisaient plus, Religioso descendit les deux qui étaient remisées dans l’espace libre entre la construction de briques et le toit de paille. Puis, le patron découvrit que les tables normales portaient le même numéro que les tables basses. Cela Titome le savait depuis longtemps… Le patron gratta les chiffres erronés, en peignit de nouveaux, se trompa, recommença, fit déplacer des tables, les fit replacer…

 

Lorsqu’un consommateur passait une commande, Titome transmettait son souhait au barman en donnant le numéro de la table. Religioso notait sur son bloc et ne faisait l’addition que lorsque le client la demandait, au moment de partir.
Repeindre les numéros et classer les tables, Titome approuvait l’idée, elle facilitait le travail de comptabilité. Ce barbu vicieux qui passait ses journées à mater les filles en maillots de bains avec ses jumelles, à discourir avec les clients et clientes au lieu de donner un coup de main, ce barbu vicieux qui lui débitait une thèse digne d’un philosophe pour expliquer quelque chose d’évident, ce barbu vicieux l’énervait. Pour le contrarier, Titome fit semblant de ne rien comprendre. Le patron disjoncta, cette « cabeça de camarão » était bien vide. Un à un, il reprit ses arguments et les développa.

 

Au loin, le cercle formé par les flots bleus était vide. Dans la rade, le cargo devait attendre son tour pour le déchargement de produits manufacturés dans un lointain pays ou le chargement de sucre. Les gerbes blanches et géantes s’éclataient contre la barrière de corail. Leurs ondes se répercutaient sur la piscine naturelle et les frêles embarcations se ballotaient doucement. En vagues régulières, la mer s’emparait du raidillon de sable.
Le ciel avait pris des teintes étranges. Le bleu foncé au-dessus de l’océan, troué par une Lune bien pleine, se dégradait pour atteindre des bleutés pâlots. Vers l’Ouest, le disque rouge et démesurément grossis avait disparu. Par delà l’horizon, il lançait ses dernières dardes vermillon et rosées contre les nuages.

Enfin Grotacindu, le patron, libéra Titome.
Ce ne serait pas encore ce soir que le jeune serveur apporterait ses idées sur l’organisation du travail. Et, pourtant, il en avait…
Titome aurait réparé toutes les chaises qui trainaient derrière la paillote. Il les aurait poncées et repeintes, ainsi que celles de la terrasse et les tables. Depuis longtemps leur jaune vif était usé par les intempéries et la poussière de sable. Pour éviter que les parasols ne s’envolent lorsque le vent se levait et ne retombent sur le dos des consommateurs comme cela arrivait si souvent, il aurait fixé un collier juste en-dessous de la plate-forme de la table. Au pied de chacune d’elles, il aurait peint des repères pour éviter que son apprenti ne perde, chaque soir, un temps inutile à les aligner. Il aurait…
Mais, son patron était vraiment trop con !

 

Praia do Francês, le 22 avril 1988

 
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La suite

Praïa Dezenfão

(La Cacerole de Fu)

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Date de dernière mise à jour : 14/01/2025

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