Séné, Séné, Sénégal...

 

La capoeira

Un rasta vient te saluer. Tout sourire, il demande l’autorisation de s’asseoir à ta table. Le gars a une tête sympa, tu lui accordes.
Toujours les mêmes questions, toujours les mêmes réponses : de quel pays viens-tu ? Quelle ville habites-tu ? Depuis combien de temps es-tu au Brasil ? Ah, c’est la première fois que tu viens à Salvador ! Quoi, tu as passé deux mois à Rio ! Lui n’aime pas Rio, il y a trop de voyous…

 

José pratique la capoeira. Tu ne l’as pas vu tout à l’heure sur Terreiro de l’Infant Jesus ? Ben, non. Tu avais bien remarqué un groupe en grande discussion, mais sans plus. Dommage, regrette José.
La capoeira, tu ne sais pas très bien ce que c’est. « La vie et la mort c’est Capoeira ; C’est un chant du Nord un sport de combat ; Qui se danse encore, Capoeira ». Lavilliers en parle dans une de ses chansons, mais à part ça… José te propose de venir le lendemain à dix heures, lui et ses amis te feront une démonstration. Ah, oui, ça t’intéresse. Ça manque à ta culture…

 

Entre temps, tu auras appris que la capoeira a été importée par les esclaves venus d’Angola. Là-bas, c’est une danse. Pendant la colonisation, les Noirs n’avaient pas le droit de posséder des armes, la capoeira devint une façon de se défendre.
De nos jours, la capoeira est redevenue une danse. Mais, elle ressemble tellement à un sport de combat, à cheval entre l’art martial et la boxe française.

L’un des adversaires est en équilibre sur ses mains, il fait une sorte de haut poirier. L’autre essaie de lui flanquer un coup de pied dans la figure. Le premier évite le coup en faisant une pirouette en arrière.
Un roulé-boulé sur les épaules de l’adversaire... La roue sur les mains… Coups de tête, coups de pied, manchettes. L’un se lance à l’assaut, l’autre esquive… Chaque coup est calculé, assoupli, presque gracieux.
Enfin, c’est ce que tu verras si tu viens demain Terreiro de l’Infant Jesus…
José te fait palper ses biceps durs comme de l’acier. Il te montre la grande plaie pas encore cicatrisée sur la plante du pied droit parce qu’il lutte/danse pieds nus. Tâte la bosse au sommet de son crâne provoquée par les fréquentes toupies sur la tête…

Une rafale de reggae qui te sont inconnus défilent… Tu es dans le temple du reggae ! « Si tu danses reggae. Tu balances reggae ». Manque Lavilliers, observes-tu en pensant au morceau où ton idole essaie de chanter en anglais, « Stand the ghetto… ».

 

Un autre gars, plus âgé que José, s’installe à votre table. Une casquette rouge recouvre ses cheveux courts et crépus, une petite moustache, il porte un short. Son polo rouge affiche un « Je hais la violence ». Il dit s’appeler Carlos. Sa grosse voix couvre votre conversation, José s’efface, se tait.
Carlos aussi pratique la capoeira. C’est même un mestre. Il te montre la carte de visite de son académie. José a la même et est, lui aussi, mestre de capoeira. Jusque là, José n’avait pas fait étalage de son titre. Au contraire, l’autre te sature les oreilles. Il parle, il parle et il parle… Tu n’entends même plus la musique. Et pourtant, lorsque tu te rendras au bar pour commander une nouvelle tournée de batidas, tu percevras un nouveau morceau de reggae. Et Carlos parle, parle…

 

Batidas de cocó, sono du bar, brouhaha, soliloque de Carlos… ta tête tourne.
Entre les tables, trois consommateurs passablement éméchés se déhanchent.

 

En fait, Carlos joue d’un drôle d’instrument. Un arc multicolore tendu par un fil de fer. La calebasse de noix de cocó fixée à l’extrémité inférieure sert de caisse de résonnance. Avec un caillou, il taquine le fil de fer. Une drôle de musique s’élève, plus ou moins aigue, suivant que la calebasse s’éloigne plus ou moins de son ventre. C’est un berimbau, scande Carlos. En fait, Carlos accompagne les démonstrations de capoeira. C’est l’élément principal de la troupe revendique-il en bombant le torse.

Berimbau

Une connaissance doit obtenir un passeport pour « SA » troupe de capoeira et doit payer le voyage. Pendant leur tournée en Europe, principalement en France (tiens, il n’y a pas cinq minutes, tu lui avais dit que tu venais de ce pays), ils partageront les recettes, une moitié pour la connaissance française, l’autre moitié pour la troupe. Et attention, il vérifiera les comptes parce que, question gros sous, il n’y a plus d’amis.
Tu l’approuves… Ça ne mange pas de pain…
La connaissance française s’occupera des passeports, des billets d’avion, organisera la tournée, avancera l’argent… Franchement, avoue-le, tu as débrayé depuis longtemps. Toujours silencieux, José te paraît sur la même ligne d’ondes… Mais Carlos s’entête.

Revoici le tube du reggae brésilien « Séné, Séné, Sénégal… ». Sur les pavés résonnent les pas des hommes de la Policia Militar. La grosse matraque semble démanger les mains du petit tandis que son collègue semble en promenade… Ah, ça ne vaut pas lorsque le car du Club Méditerranée débarque. Là, les agents de la PM se répandent partout et en nombre…
A vingt heures, ils auront disparu du quartier. Les ruelles seront alors livrées aux drogués et aux malfrats qui traînent leur haine et leur envie de se faire de l’argent sur le dos des touristes. Oh ! Tu ne risques pas grand-chose, juste une bonne raclée et de te faire dépouiller. Ici, on n’est pas à Rio, on ne tue que très rarement. Tous tes amis l’affirment. Et de toute façon l’un ou l’autre t’accompagne, à chaque fois.

 

L’histoire de Carlos se termine ainsi : la connaissance française en question… c’est toi ! Là, tu sors de ta torpeur. Tu vas avancer l’argent et négocier les points de chute de la troupe. Au début, tu ne comprends pas. Plutôt, tu ne veux pas comprendre. Ni lui, ni toi ne maîtrisez la même langue. Il y a confusion. Mais, non ! Tu avais bien compris. Carlos répète que c’est bien toi qui vas sponsoriser la troupe. Et il reprend point par point son contrat imaginaire…
Avoue que Carlos t’a assommé, allez bois une nouvelle batida de cocó pour te remettre. Dehors, la pluie s’est mise à tomber. Une petite pluie fine…

 

Tiens revoilà la fillette qui sautille de table en table. C’était elle qui t’avais lié le lembraça de Bonfim. Cette fois, elle est accompagnée par son petit copain. Son bras droit se termine par un moignon. La fillette passe derrière toi, te donne une tape amicale sur la tête… Là, tu tombes des nues : « Vagabonda ! ». Voici que Carlos l’insulte. La fillette, s’en moque, elle hausse les épaules et sautille en direction d’autres consommateurs.
Au passage, la fillette pointe son doigt dans le dos de l’un des hippies, celui aux cheveux mal nattés. Bien fait puisque, comme tout à l’heure, il la chasse. N’ayant pas découvert de nouveaux « clients », la fillette toujours flanqué de son petit copain revient. Elle se blottit contre toi en t’implorant…

 

Ce qui n’est pas du goût de Carlos. Mais, alors, pas du tout ! C’est que Carlos sortait une flopée de photos de « SA » troupe… Ils voulaient te les montrer. Il voulait te convaincre de financer la troupe… Le voilà qui se lève d’un bond, empoigne la fillette par les cheveux, la tire… Le jeune copain de la fillette s’en mêle. Carlos le bouscule, le fait tomber contre une table. « Je hais la violence » clame son polo rouge… C’en est trop ! Tu te lèves et…
Des consommateurs se sont précipités. Un rasta à la peau claire et un grand escogriffe à la queue de cheval qui lui descend jusqu’aux fesses le maîtrisent, le tirent vers la sortie. Ils lui flanquent un coup dans les côtes en lui promettant que s’il revient par ici, ils lui feront la peau. Le mestre de capoeira ne la ramène pas, crois-moi.
José s’excuse. Il connaît bien Carlos, c’est une grande gueule qui boit trop de cachaça et fume trop d’herbe. Mais, il te quitte car il veut raccompagner son copain chez lui.

 

 

Séné, Séné, Sénégal…?
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Date de dernière mise à jour : 30/07/2024

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