Le terrier

Andalousie // Le Lapin (4)

Drapeau rouge politique 1

Anita tira violemment Lionel vers l’arrière et l’entraîna à vive allure. Trente mètres plus loin, et toujours à la suite d’Anita, il se précipita dans la première porte cochère et renifla jusqu’au  dernier étage. Lionel s’affala sur les marches de l’escalier. D’en bas, parvenaient les bruits de lutte acharnée.

 

- C’est ta jeunesse, ricana Nadine.
Le parallèle avec Mai 68 était osé…
- On faisait ce genre de conneries avec ton père et ta mère.
- Juan, Maryse, Luis et moi. Les copains nous appelaient le quatuor infernal ! scanda Anita.
A cette époque, ils n’avaient pas encore compris que la Révolution, c’était plus sérieux. L’année suivante, ils étaient partis à la recherche de la classe ouvrière.
- Vous vous êtes fait embauchés au Bouldog Crevé, traduit Nadine.
- Ton père et moi…
- Moi, je suis partie dans une banque, fit Anita en faisant une mimique qui singeait la fierté. Ta mère nous a quitté à ce moment…
- Elle était partie dans une communauté hippie en Ardèche, approuva Nadine.
- On ne savait pas qu’elle était enceinte… Papa Mémed ne nous aurait pas téléphoné…

 

Papa Mémed était un retraité du Bouldog Crevé. Il habitait la cité où le « quatuor » avait passé sa jeunesse. Lorsque Juan, Anita et Luis avaient décidé d’émigrer en Andalousie, région d’origine de leurs parents, Papa Mémed était resté en contact avec eux. Maryse la mère de Nadine avait tout récemment reprit contact avec les gens de sa cité de naissance…
- Quand Papa Mémed nous a appris ton existence, Juan était tout content. Il attendait avec impatience ta venue en juillet. Et voilà…
Lorsque Juan c’était fait assassiné, parce que c’était un assassinat, Luis et Anita en étaient certains. Le tueur avait été arrêté et était connu comme un nervi des propriétaires terrien.
- On t’a téléphoné tout de suite.

 

Le calme semblait s’imposer dans la rue. Ils n’entendaient plus rien. Lionel mis un bon moment à se décider à redescendre.
- Tu as eu assez d’émotions pour aujourd’hui, rigola Luis. On rentre à la maison.
- N’oublies pas ton souvenir, le réprimanda Nadine.
- Quel… Quel souvenir ?
- La marque de la grenade dans ton dos, se boyauta Nadine.
Tous rirent un bon coup… sauf Lionel.

 

D’un œil morne, un vieil homme contemplait un tas de planches, de bastings et d’arbres qui fumait encore juste en face de l’immeuble. Sur une vingtaine de mètres, les trottoirs et la chaussée avaient été labourés. Leurs pavés s’agglutinaient en tas informes. Une automobile gisait les quatre fers en l’air. Les vitres des cabines téléphoniques et des aubettes étaient transformées en éclats. Au carrefour, les feux tricolores avaient rendus l’âme.
Ils dépassèrent plusieurs camionnettes des forces du désordre. Dans l’une, le nez contre la vitre grillagée et froide, le Butor les regarda tristement passer. Il n’avait plus de manifestants à se mettre sous la matraque. Plus loin, des arbres barraient le boulevard. Déjà, les ouvriers communaux s’appliquaient à remettre un peu d’ordre. La rue commerçante affichait une triste mine. Les pompiers s’acharnaient contre l’incendie d’une supérette.

 

A l’angle formé par « Le Square », le kiosque à journaux et l’aubette avaient été rasés. Les lettres jaunes du journal lumineux continuaient, malgré tout, leurs informations. La terrasse du bistrot avait été ravagée. Des grilles, des ferrailles tordues, des poubelles éventrées, les tables et les chaises (celles qui donnaient un air si parisien au bistrot, selon Nadine), toutes sortes d’objets glanés dans le quartier complétaient ce décor de champs de bataille. Au cœur, tombé sur un bouclier de poubelle, se consumait l’étendard noir, toujours agrippé à sa longue hampe.

 

Au loin, le carillon doré sonna 22 heures. A cette heure, les arrogants immeubles bourgeois dominaient la place. L’éclat des enseignes lumineuses de la société bourgeoise narguait les cendres incandescentes de la bourrasque anarchiste. La révolte s’était éteinte. Elle renaîtrait plus tard sous d’autres formes, sous d’autres cieux.
- C’est quoi la suite ? demanda Nadine.
- Le meeting demain et l’enterrement lundi. Demain soir, on passera voir les parents de Juan. Et après… On verra. La lutte des saisonniers n’est pas prête de s’éteindre… Personne n’oubliera Juan !

 

La vue du Karl Marx libéra Lionel. La maison était, maintenant, toute proche.
Tandis que l’énorme Karl Marx, un graffiti, œuvre et fierté de Luis, s’évertuait à réclamer l’alliance des ouvriers et des paysans, les joueurs de boules et les flâneurs avaient repris possession du square. Malgré quelques buissons piétinés, la fontaine bouillonnait sous la lumière magique.
Lionel allait retrouver son « cher patio ». Il s’y précipita comme l’aurait fait un lapin tout content de retrouver son terrier.

 

Le 9 janvier 1999

 

ORANGE MAGIQUE

Orangé et blanc se disputèrent la place et lui donnèrent un air de fête.

Orangé des lampadaires qui s'éveillaient, blanc des phares qui galopaient. Orangé des lanternes qui teintaient le square, ménageaient ici des zones de lumière aux boulistes, là des zones d'ombre aux amoureux. Blanc des projecteurs de la fontaine qui jouait avec les gerbes d'eau.

Orangé, qui en toile de fond, ravalait les belles façades des immeubles bourgeois. La lumière rehaussait moulures et médaillons. La statuette s'émerveillait dans sa niche angulaire.

 

 
 
 
 

Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

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