Sauf qui peut

Andalousie // Le Lapin (3)

Drapeau rouge politique 1

Le Chevalier noir était aux prises avec cinq flics. Son étendard noir balayait l’air, rebondissait sur les casques, cognait les épaules. Le Butor profita de la confusion pour coller un coup de matraque sur la tête du Chevalier noir. Un jeune casqué fonça tête la première dans le ventre du Butor qui roula à terre, recevant au passage, un coup de gourdin de la grande brune….

 

Derrière une ligne de boucliers, les ennemis, Butor en tête, battaient retraite. Deux d’entre eux étaient portés par leurs complices.
La brûlure à l’estomac le contraria. Machinalement, Lionel baissa la fermeture éclair de son blouson. Sa cigarette à demi entamée en tomba. Elle laissait un joli trou dans son pull-over.
- Content de ton baptême du feu ? demanda Luis. Prêt à recommencer ? Mais, cette fois, tu ne me cognes pas lorsque je te relève. Si le neveu d’Anita n’était pas intervenu, les flics te massacraient, se boyauta Luis.
A cet instant précis, la pensée de courir aussi vite et de récidiver n’effleurait pas Lionel. Il découvrait que son inutile chemin de croix l’avait encore plus éloigné du Karl Marx libérateur.

 

Son combat terminé, le Chevalier noir s’approcha de Lionel.
Un filet rouge suintait de son crâne. Le panache à l’iroquoise était teinté de rouge. Sans aucune raison, le Chevalier noir tapa, plutôt violemment, entre les omoplates de Lionel. Celui-ci fit un bond en avant. Nadine comprenait de quoi il en retournait, elle avait appris l’espagnol au lycée :
- Tu as un cercle grillé dans le dos !
Lionel la regarda béatement.
- Tu as pris une grenade lacrymogène dans le dos, espèce de fou ! Ils t’ont pris pour un lapin !
Le Chevalier noir éclata de rire :
- Il te sacre « anarchiste de première classe », ricana de plus belle Nadine.
- C’est lui qui t’a sorti des griffes des flics… Moi, j’en ai profité pour te relever… fit Luis.
Lionel s’alluma une cigarette en tremblotant et en offrit à ses libérateurs.

 

Le Chevalier noir salua respectueusement, sauta sur le dos d’un étalon en veste de treillis. L’autre s’élança au galop, tandis que son cavalier brandissait son étendard noir.
- Il part à l’attaque de la forteresse des méchants, se boyauta Luis.
La bourrasque anarchiste s’était reformée. L’étendard noir désigna la cible suivante : un restaurant. Le premier coup de pied fit trembler la vitrine. Au second, un pan de la vitre s’écroula blessant, au passage, l’un des assaillants à la cuisse. Un coup de sirène et une ambulance l’évacua. Un cocktail acheva l’œuvre et déclencha les flammes.
- C’est un repaire de franquistes ! approuva Luis.

 

Des groupes s’énervaient : « Juan est mort assassiné ! ». D’autres ramassaient journaux, cartons et planches dans le périmètre. Un feu s’éleva tandis qu’une avant-garde entreprenait la danse des guerriers. On préparait l’assaut. On criait, on chantait, on dansait. Les deux poings se levaient en même temps : « A bas ! A bas ! Le capitalisme assassin ! ». Sur le balcon d’un immeuble, deux femmes se servaient de casseroles pour battre la mesure.
L’escadron ennemi, Butor en tête, s’était aligné à la hauteur du journal El Rural, à cent mètres de Lionel. On racontait que cet escadron faisait partie de ceux qui, depuis un mois, délogeaient les piquets de grève. Boucliers et matraques s’agitaient. Peut-être, même, que le Butor s’imaginait en train de tirer les manifestants comme des lapins.
Les pavés étaient jonchés d’objets hétéroclites. Des jeunes repartaient à l’attaque. Chaque fois qu’un projectile passait à sa portée, le Butor mettait son bouclier en avant. Pierres et boulons rebondissaient sur le plastique.

 

La bourrasque anarchiste revenait de son raid en se pavanant. Le Chevalier noir ramassa un drapeau espagnol et le brandit vers le ciel en criant : « A mort Franco ! ». Ses copains éclatèrent de rire. Le dictateur était crevé depuis une quinzaine d’années, un peu avant que Luis, Anita et Juan ne rentrent au pays. Le Chevalier noir jeta la bannière bourgeoise dans le feu de cartons et de planches.

 

La guérilla redoublait. Un imprudent en veste à carreaux noirs s’approcha trop près pour lancer une pierre. Un flic se jeta sur lui. Tous deux roulèrent à terre. Le jeune avait la face contre les pavés. A cheval sur son dos, le flic le cognait à coups de poing sur la tête. Le Butor était à deux pas. Sa matraque se posta en renfort, tandis que son pied s’acharnait sur le dos du jeune. C’était comme si le Butor voulait briser les carreaux noirs de la veste.
Un dernier coup de pied colora la figure de rouge. Et le jeune fut traîné. Ses genoux raclaient les pavés. L’un tirait son blouson, un autre son bras, le Butor lui bottait les fesses.

 

- Ch’bordel… pleurnichait Lionel en remontant la fermeture éclair de son blouson.
Lionel écarquillait les yeux à les exorbités.
- On va peut-être rentrer, proposa Anita.
- Minute ! protesta Nadine.

 

Les matraques frappèrent le haut des boucliers transparents. Un pas cadencé sonna sur les pavés. Les jeunes refluèrent. La horde policière paralysa un homme dans la cabine téléphonique. Trois policiers se détachèrent des rangs. Le Butor ouvrit la porte vitrée, sa matraque indiqua la marche à suivre. L’homme ne demanda pas son reste, il fuit, les jambes à son cou. A l’autre bout du fil, son correspondant s’égosillait. Un coup de pied dans le combiné lui coupa la parole.
Trouvant la scène cocasse, un photographe avait par-dessus l’épaule des policiers entreprit de l’immortaliser. La matraque du Butor envoya l’appareil photos valdingué.
Le millier de manifestants qui restaient scandaient : « Juan est mort assassiné ! ». Subitement…
- Sauf qui peut ! cria Luis.
Une pluie de grenades lacrymogènes s’abattait sur la place. Butor en tête, matraques en l’air, la horde de flics accourait.

 

Accueil
rayon Espagne
Politique
Le Lapin :
Appréhension
La panique
- Sauf qui peut
- Le terrier

Flech cyrarr

La suite :

 

Le Lapin

(Le terrier)

 

Manifestation à risque
 

Drapeau rouge politique 1

Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
3 votes. Moyenne 4.4 sur 5.

Ajouter un commentaire