Un dimanche à Nancy

Sale type !

L’Odile n’était pas la dernière à brailler sa haine. Elle se défoulait, elle déversait son fiel. Il lui sembla qu’elle avait moins de peine… Juste en face, l’Emmanuel semblait lui dire : « Je ne pardonnerais jamais au Drouin. Mais je ne suis pas un monstre comme lui ».

Fleche serie noire

La matinée du jour précédent...

 

L’Odile piétinait sur le quai. Quelques galants passaient et lançaient des plaisanteries. L’Odile en riait. Si le quolibet laissait imaginer quelques sous-entendus salaces, l’Odile remettait vertement son auteur à sa place.
Crachant, fumant, le train de Messein fit son entrée. Un crissement épouvantable l’immobilisa. De la cohue des voyageurs se dégagea un beau jeune homme, élancé. Elle agita fébrilement la main.
- Odile que j’suis content de t’voir.
- Et moi donc, Emmanuel. Mais, tu es devenu un vrai homme !
- Hé ! fit-il en bombant le torse. Seize ans et demi !
L’Emmanuel avait les mêmes yeux bruns que le reste de la famille, les mêmes cheveux châtains. Mais, c’était lui le plus grand des enfants. Selon les dires de l’Odile, c’était lui le plus beau, celui qui ferait des ravages dans le cœur des jeunes filles.

 

L’Odile entraîna son jeune frère aux Deux-Hémisphères, le café en face de la gare.
- On va prendre un verre de vin, proposa-t-elle.
Son frère fit une moue contrariée.
- Tu verras, il n’a rien à voir avec le vin de Richardménil… Ce n’est pas de la piquette. Mr Kaiser en boit les jours de fête, alors…
- Si l’Père t’entendait…
Ils pouffèrent.

L’Odile avait une bonne bouille, un peu comme ses sœurs, la Mélie et la Marie. Elle ramenait ses cheveux en chignon, ce qui lui donnait un air plutôt austère. Alors qu’elle était gentille comme tout avec les gens qu’elle...  appréciait. Elle s’appliquait à gommer son accent de la campagne et, bien souvent, elle parlait comme les Nancéiens, ces gens de la ville.
- T’as vraiment l’allure d’une dame, admira l’Emmanuel. On dirait pas que t’viens de Richardménil.
- Hé ! Ce n’est pas parce qu’on vient de la campagne et qu’on est domestique chez les riches qu’on ne doit pas se préoccuper de son apparence.
Ils s’installèrent à une table. Aussitôt, un serveur stylé vint prendre la commande.

 

- J’aimerai bien trouvé un travail comme toi…
- L’usine ne te plaît plus, donc ? s’exclama l’Odile.
- Si… Si… Mais c’est dur.
- Je m’en doute. Et Père ?
- En ce moment, il travaille chez Choné. Il aime bien le Choné. Et puis, travailler la terre, ça le change de l’usine…
- Tu sais, être domestique, ce n’est pas la belle vie tout les jours…
- T’as dû te battre pour avoir la place, rigola l’Emmanuel.

 

Contrairement à ses sœurs, l’Odile était une fille indépendante et plutôt débrouillarde. Dès ses 21 ans et grâce à une relation, elle avait déniché cette place de domestique chez les Kaiser, l’horloger-bijoutier de la rue Gambetta.
- Elle t’avait bien arrangée, l’aut’, ricana l’Emmanuel.
L’autre était une domestique arrivée quelques mois avant l’Odile. L’autre prétendait commander l’Odile comme on dirige une moins que rien. L’autre avait profité que les patrons soient de sortie pour lui faire exécuter quelques tâches dégradantes. C’est que l’Odile ne s’était pas laissée faire, elle s’était regimbée. C’est que cela n’avait pas plu à l’autre. Ainsi, elle s’était jetée sur l’Odile et lui avait griffé le visage. Ni une, ni deux l’Odile s’en était allée porter plainte au commissariat.
A son retour, Mr Kaiser avait prit son parti et avait donné son congé à l’autre.
- C’est un homme bien Mr Kaiser, fit l’Odile.
Mr Kaiser était un homme intègre et aussi rigide que les Allemands peuvent l’être, même s’il était d’origine Luxembourgeoise…

 

Ils reprirent un verre :
- Juste un, parce que après, on va manger chez la Mélie et le Charles.
- Oui ! applaudit l’Emmanuel. J’aime bien le Charles.
- On rit bien avec lui, l’approuva sa sœur.
- Et je peux boire du vin sans me faire engueuler. Pas comme avec l’Père…
- Père a peur que tu deviennes comme le Drouin…
- Ça risque pas… M’en a fait passer l’envie l’aut’ fois…

Début juillet, l’Emmanuel était allé manger chez sa sœur Louise. Sans crier gare, le Drouin avait décrété qu’il partait boire un coup au café. La Louise protesta : « Pour une fois qu’mon frère vient manger chez nous, t’pourrais rester ». Le Drouin s’entêta. Le ton monta. Assiettes et verres tremblèrent lorsque le poing cogna la table. La Louise implora… Le Drouin brandit son couteau : « Tais ta gueule ou t’en auras pas pour longtemps ! ».
Effrayé, sans chercher à comprendre, l’Emmanuel s’enfuit le plus vite qu’il put. « T’iras plus manger chez eux, vaut mieux » avait décrété son père.
- Tu n’aurais pas dû te sauver ! grogna l’Odile.
- Qu’est-ce t’voulais que j’fasse, il est plus fort que moi.
- Tu as laissé Louise seule avec lui. Il pouvait arriver n’importe quoi ! Le Drouin, c’est un sale type ! se radoucit l’Odile. Le Drouin ! s’atticher de ce type, soupira-t-elle. Le petit-René est vraiment un pauvre gosse. Dire qu’ils auraient dû avoir un autre enfant.

 

Au bout d’un moment, l’Emmanuel déclara :
- Tu sais, il m’fait pitié le Drouin…
Un ricanement appuyé d’un haussement d’épaules balaya sa réflexion.
- Il a eu la vie dure, reprit-il. Ses parents sont morts quand il était jeune… Son oncle, aussi, est mort… Et puis les gens qui l’ont élevé... comme dit l’Père…
- Et ta sœur Louise, tu crois quelle méritait ça ? Un sale type, ce Drouin, je te dis ! Mets-toi bien ça dans la tête. Père est comme toi, il lui trouve des excuses…
- Il fait un travail dur…
- Et toi ? Tu ne travailles pas dur ? A douze ans, on t’envoyait dans les champs du Choné… Et aujourd’hui, à l’usine... Ce n’est pas pour autant que tu es devenu un sale type.
- Oui… Oui… Mais, si je fais quelque chose de mal, tout de suite l’Père ou la Mère me réprimandent... Pareil à l’usine, y a toujours un camarade... Comme ça, j’comprends que c’est pas bien… Faudrait qu’on l’aide…
- Raconte pas d’histoires Emmanuel ! Avec ce qu’il a fait la dernière fois…

 

La Louise avait été une nouvelle fois enceinte. Et voilà, il n’y avait même pas deux mois, le Drouin avait piqué une crise. La Louise avait eu le malheur de tenir tête, si bien que le Drouin l’avait frappé. Des coups si violents dans le ventre qu’il en avait provoqué une fausse couche.
- Si les gens de Richardménil voulaient… Entre ceux qui picolent avec lui et ceux qui en ont peur... souffla l’Emmanuel. Ils disent que l’armée va l’calmer…
L’Odile balaya d’un geste les espoirs de son frère. C’est que, après la fausse couche, l’Odile était descendu à Richardménil. Elle était allée trouver le Drouin et lui avait dit tout le mal qu’elle pensait. Tout ce qui trainait dans sa tête était sorti. Elle avait fini par lui demander ce qu’il reprochait à sa femme. Le Drouin avait répliqué : « Ma femme est à moi ! J’en ferai ce que j’voudrai ! Avant que j’parte au régiment, j’en finirai ! ». Et comme l’Odile le remettait vertement à sa place, le Drouin rajouta : « J’vous tuerai tous comme des cochons ! ».
- Il avait les yeux injecté de sang ! conclut l’Odile.

 

Le reste de la journée avait été plus agréable. Joyeux et succulent repas chez la Mélie et le Charles. Même leur fils, le Léon qui avait un an et demi, leur fit la fête. Malgré la petite bruine, la famille avait fait une promenade à la Pépinière.
Tout a une fin et l’Odile avait raccompagné son frère au train en fin d’après-midi.

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 25/11/2023

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