Et blablabla

Sale type !

L’Odile ne tenait plus en place, elle devait se rendre à Méréville sur le champ. L’oncle Charles décida de l’accompagner. Le passeur attendait le client, si bien qu’ils embarquèrent aussitôt. La traversée de la Moselle était courte, mais le passeur eut le temps de raconter qu’il avait transporté le Drouin et sa femme la veille.
- Vers les quatre heures et demie, précisa-t-il.
- Il était saoul ? demanda l’Odile.
- M’a semblé normal. Juste qu’il a réclamé de la bière. J’avais une bouteille…

La maison Muller était proche de l’endroit où ils débarquèrent. Un « bonjour » sec fendit l’attroupement qui occupait la chaussée entre la fontaine et la maison. La plupart répondirent, nombre chuchotaient : on la plaignait autant que l’on redoutait sa réaction. Beaucoup connaissaient ses démêlées avec le Drouin…

 

Elle ne reconnut pas son père. Disons plutôt que c’était comme s’il venait de prendre dix ans d’un seul coup. Lui si fringant, lui qui se tenait toujours droit comme une pique. Il était là presque avachi, les yeux dans le vague. Même sa jolie moustache blanche semblait en souffrir.
La Marthe le soutenait. Dans un sens, il valait mieux que ce soit la Marthe qui l’accompagnât. Elle, elle était solide. Malgré ses 14 ans, elle ne se laissait pas aller. « Toujours debout ! Malgré la douleur » semblaient clamer ses yeux.

 

Une idée traversa la tête de l’Odile. Elle pouffa.
- Qu’est-ce t’arrive ! grogna la Marthe.
- C’est nerveux…
En voyant sa sœur, était revenue en mémoire une taquinerie de la Louise. Pour faire bisquer la Marthe, fréquemment la Louise raillait : « Toi, avec ta tête allongée et tes yeux verts, t’es pas de chez nous. On t’a ramassé dans le ruisseau ».  Et elle redoublait de rire tandis que sa jeune sœur fulminait…
En fait, la Marthe ressemblait à leur père, tandis que les autres enfants avec leur tête rondouillarde, leurs yeux marron et leurs cheveux bruns tiraient du côté de leur mère. Seul l’Emmanuel se distinguait, il avait pris la tête allongé du père, les yeux et les cheveux de la mère.

famille Bour Schlauder vers 1917/181. Le Marie-Joseph Bour, le père
2. La Marthe Bour
3. Le Charles Schlauder
4. La Mélie Bour
5. Le Léon Schlauder

- C’est m’dame Cachelin qui t’a prévenue ? demanda la Marthe sur un ton sec.
- Oui, elle est venue ce matin au magasin de Monsieur Kaiser.
- Elle était là, hier soir. J’lui ai demandé de passer chez les Kaiser. T’as vu la Mélie ?
- Oh ! La Mélie… J’étais tellement retournée…
- M’étonne pas ! grogna la Marthe. J’espère que quelqu’un la préviendra.
- On peut voir not' Louise ? demanda l’Odile.
- Ils sont tous dedans… Faut attendre… Y a le procureur, le médecin légiste, je ne sais qui… Ils nous ont fait sortir à trois heures et demie…

 

Le parquet de Nancy était arrivé vers une heure de l’après-midi. Dans leur sillage traînaient des journalistes dont ceux de L’Est Républicain. Dès son arrivée le procureur avait interrogé le Drouin. Celui-ci aurait reconnu les faits. Il prétexterait avoir agit sous l’influence de la colère et de l’alcool. C’est ce que lui raconta l’un des journalistes.

 

Le Père assistait à la conversation sans dire mot. Au bout, d’un moment, il déclama :
- Ma fille ! Ma pauvre fille ! Une fin bien triste… Mais, elle a fini de souffrir…
- Oui papa, firent ensemble l’Odile et la Marthe.
C’était bien une des rares fois où ses filles l’appelaient « papa », pourtant le pauvre homme ne le remarqua pas. Elles embrassèrent leur père. Les larmes roulaient sur ses joues.
- Ça devait arriver, ça devait arriver, répéta-t-il. Regarde…
L’attroupement s’écarta laissant voir une énorme flaque de sang séché sur le sol. Sans s’expliquer pourquoi, l’Odile éclata en sanglots. Elle se dirigea prestement vers la maison Muller. Le gendarme l’arrêta :
- Il faut attendre Mademoiselle.
- Je veux voir ma sœur ! cria-t-elle.
- Un peu de patience Mademoiselle. Ils font le nécessaire, bafouilla le gendarme. Vous savez ce n’est pas beau à voir…

 

Depuis l’arrivée de l’Odile, les badauds avaient observé un silence respectueux. Un peu comme si tous voulaient participer au malheur de la famille. Mais, au fur et à mesure, les langues se délièrent. Chacun avait sa version.
Le premier à s’exprimer fut le cafetier Henry. Le Drouin était arrivé à son établissement vers les cinq heures. Et vas-y, que j’avale des bocks et des bocks.
- Et la Louise, demanda l’Odile, elle n’était pas avec lui ?
La Louise était à la salle de danse en compagnie de copines ou de sa famille, le cafetier Henry ne se souvenait pas. La Louise était intervenue une fois : « René, tu fais encore le fou, rentrons à la maison ». Il l’ignora et partit vers un autre bar. Une demi-heure plus tard, il revenait au café Henry...

 

Il faisait la navette entre la salle de danse et le bar. A la salle de danse, sans doute pour surveiller sa femme. Au bar, pour s’empiffrer de boissons avec des copains. Bousculant l’un, insultant l’autre, menaçant un troisième. Bref, il cherchait querelle. Plusieurs personnes, qu’ils soient danseurs ou consommateurs, voulaient lui remettre les idées en place.
- Je suis intervenu pour qu’ils se calment. C’est que je le connais le Drouin, c’est un violent. Si j’avais su jusque où cela allait arriver, j’les aurai laissé faire… Il devait être dans les six heures.

 

Le Georges Mirouffe intervint :
- Il m’a collé un coup de poing derrière la tête !
Le Georges descendait l’escalier qui conduit du bal à la buvette. Le Drouin l’avait cogné sans aucune raison. Une mauvaise langue ricana :
- C’est parce que tu serrais de trop près sa femme !
- On a juste fait une danse... C’était pas la première fois, en plus. Jamais, il n’avait trouvé à redire...

La mauvaise langue continua :
- C’est un bagarreur. De la mauvaise graine… Moi, j’étais au café Hippert en train de boire un bock avec des copains... Comme ça, sans raison, il a jeté son verre vide dans ma direction... Un peu plus...
Le cafetier acquiesça. Déjà lorsqu’il était jeune, avec son frère Edouard, il s’en était pris au Charles Poirot… Il avait 16 ans.
- Son frère vaut pas mieux. Et l’aîné encore moins. Le tatoué... Pfuitt... Lui aussi il a été condamné ! assura la mauvaise langue.
- A cause de la pêche... rectifia le Georges Mirouffe. Il a eu une amende et c’est tout ! C’était l’époque où ils avaient perdu leur oncle...
- Ça, leur oncle s’occupait bien d’eux. C’était un bosseur et un homme droit comme tous les bûcherons, approuva un autre. Il leur donnait de sages conseils.
- Il a pas eu de chance, le Drouin. Son père est mort trois mois avant sa naissance… Sa mère quand il était gamin.... Son oncle...

 

Tout ce babillage énervait l’Odile, elle s’écria :
- Son père, c’était un ivrogne comme lui !
- D’ailleurs, il est mort noyé dans la Moselle… Aux turbines de Messein… A ce qu’on raconte, il était complètement saoul ! approuva la mauvaise langue. Le Drouin est passé au tribunal pour son histoire avec le Charles Poirot. Il a fait de la prison… Pour coups et blessures, affirma-t-il.
- Mais non, s’énerva le Georges Mirouffe. Il a eu une amende et c’est tout. Je le sais ! Ses frères sont mariés avec mes sœurs, c’est comme s’il était de la famille.
- C’est pour ça que tu les défends !
- Je dis simplement la vérité, se débattit le Georges. Lui, le Drouin, en tous cas je ne le défends pas ! D’ailleurs, il m’a collé un coup de poing derrière la tête…
- Le Drouin n’est pas un mauvais bougre…
Et blablabla, ça y allait bon train...

 

Les journalistes ne rataient pas une parole. Celui de L’Est Républicain gribouillait rondement son petit carnet.

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 25/11/2023

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