C’était trop tard...

Sale type !

Tout l’après-midi, le Drouin avait chaviré d’une guinguette à l’autre. Il ne tenait plus debout.
- Il était saoul depuis le matin, alors…
- Bof... guère plus que d’habitude... fit le cafetier Henry.
Faut bien reconnaître que le Drouin avait la réputation de boire de l’alcool fort, de l’absinthe, depuis son plus jeune âge. Et, surtout, selon les dires de la mauvaise langue, depuis qu’il avait touché 800 francs au décès d’une tante. Le Drouin avait beau prétendre que l’héritage avait servi à monter son ménage, beaucoup affirmaient qu’il l’avait bu.
- Et il avait de quoi cheûler ! rajouta la mauvaise langue. Un mineur gagne bien sa vie.
- Pas tant que ça ! rétorqua un mineur qui se sentait visé.
- 250 ou 300 francs, c’est pas mal.
- Ça va pas ! On doit payer les manœuvres qui travaillent avec nous. Et on a des frais. Si je touche dans les 100/120 francs, c’est bien beau.
- C’est déjà pas mal...
- Nous, on a fait grève à la fin 1900 ! Fallait faire comme nous.

 

Le cafetier Henry remit la discussion sur les rails. Ayant eut vent que son mari faisait scandale, la Louise vint le chercher… Elle le prit par le bras et lui murmura : « Voyons René, reviens à Richardménil avec moi ».  Le Drouin se débattit, se dégagea en vociférant : « Non ! Non ! ».
- Il a menacé de lui coller un coup de poing, devant moi. Avec tout l’alcool qu’il avait bu…
- L’alcool a bon dos ! grogna une femme d’une cinquantaine d’années. Tout le monde à Méréville le sait bien… (Un murmure approbateur s’éleva de la foule. La femme poursuivit) Oui, mon mari cheûle comme pas un. Et pourtant, il m’a jamais battue. Jamais, il a levé la main sur moi. Mademoiselle Odile a raison : le Drouin est un sale type ! De la graine pour la guillotine !

 

Vers les sept heures, la Louise était revenue le chercher : « Allons, René, tu as assez bu. Rentre avec moi à la maison ». Jurons, menaces, il leva encore le poing… Le Drouin voulait boire, et encore boire. Pourtant, la Louise faisait profil bas. Elle utilisait toute les ficelles pour le ramener à la raison et ne pas plus l’effaroucher.

Après maints et maints éclats, après maintes et maintes suppliques, le Drouin consentit à contrecœur de suivre sa femme. Il claqua violemment la porte du café pour marquer sa colère. Ils parcoururent une centaine de mètres dans la direction du passeur, dans la direction de Richardménil, dans la direction de la maison…
La fontaine était toute proche. Déjà s’assourdissaient les tumultes de la fête. Déjà s’éloignaient les cafés et autres guinguettes… Déjà s’éloignaient les tentations... La Louise avait gagnée la partie…
Une femme intervint :
- J’habite la maison là-bas. Je peux vous dire que devant chez moi, le Drouin a foutu un coup de poing à sa femme…
- Moi, je les ai vus passer devant ma fenêtre, la Louise tenait son mari par le bras. Et ils ne se disputaient pas !
- On voit bien ce qu’on veut ! railla la femme. Moi, je l’ai vu frapper sa femme.

 

L’Odile avait presque oublié son père. Il était toujours là, soutenu par la Marthe et l’oncle Charles. Il paraissait bien perdu dans tout ce brouhaha. L’Odile le rejoignit :
- Ça va Père ?
- Tout cela est de ma faute…
- Ne dites pas ça Père. Vous auriez fait n’importe quoi, ça n’aurait rien changé. Notre pauvre Louise devait finir comme ça. Elle m’a toujours dit qu’elle craignait son couteau. Le Drouin est un sale type, c’est tout !

 

L’été dernier, le Drouin avait, une fois de plus, battu sa femme. D’habitude, la Louise n’en soufflait mot à son père. Mais, cette fois-la, la Louise s’était réfugiée chez lui avec le petit-René. Le Père avait demandé au Drouin les raisons, l’autre avait rétorqué : « Je voulais de la salade au dîner ! ».
- J’aurais dû intervenir…
- Moi aussi, j’aurai dû… acquiesça l’oncle Charles en s’essuyant les yeux.
- Vous n’êtes pas responsables ! scanda la Marthe. L’Odile a raison, le Drouin est un sale type !
- C’est une martyre, reprit le père. Toujours, elle nous cachait son malheur…
Elle ne cachait rien à l’Odile. Encore le mois dernier lorsque les deux sœurs s’étaient retrouvées. La Louise lui avait raconté que chaque jour son mari la battait. Elle avait même rajouté : « Il me tuera certainement une fois ou l’autre ».

 

Peu de gens défendaient le Drouin. Mais quelqu’un risqua :
- Je travaille à la mine avec lui. Je peux vous dire que c’est un gars bien le Drouin. Bon, c’est vrai que parfois, il est pas très frais…
- Et même qu’il fait souvent le lundi ! railla un autre. Ça, il en a payé des amendes pour absence.
- C’est un gars bien, s’entêta le mineur. Tiens, demande au Muller, il travaille avec nous à Ludres…
Un gars plutôt baraqué sortait de sa maison, l’Odile le connaissait de vue,...
- Hein, Muller, l’interpella le mineur, c’est pas le Drouin qu’a tué sa femme !

 

Muller et sa famille étaient tranquillement en train de manger, lorsqu’ils avaient entendu des cris et de drôles de bruits. Muller fit une moue contrarié et dit :
- Votre sœur criait : « Oh, le malheureux ! Il m’a frappée d’un coup de couteau ». Ou quelque chose comme ça… Aussitôt, je suis sorti...
Au milieu de la rue se tenait le Drouin, son couteau ensanglanté à la main. Muller s’approcha, posa sa main sur l’épaule. Le Drouin se retourna brusquement : « Si t’avances, j’te tue » cria-t-il en le menaçant de son couteau. Muller avança tout de même. Aussi soudainement, le Drouin retrouva la raison : « Ah ! C’est Muller… Un Italien vient de tuer ma
 femme… ».

 

La femme de Muller était également sortie. Elle s’écria : « Oh ! Mon Dieu. Jules ! Jules, vite ! ». Muller planta là le Drouin, se précipita vers la Louise, et avec sa femme, ils la portèrent chez lui…
- Vous voyez, c’est pas le Drouin qu’a tué sa femme ! exulta le mineur.
- Mais ferme donc ta bête gueule ! éclata l’Odile. Elle était encore vivante ?
- J’ai laissé le Drouin là, au milieu de la rue, sans me préoccuper du reste… reprit Muller en se grattant la tête pour se donner une contenance.

Muller et sa femme transportèrent la Louise dans une chambre de leur maison. Sa femme étala une couverture sur le parquet, Muller la déposa dessus…
- Et tes enfants ? s’inquiéta une femme.
- Ma femme les a emmenés chez mes parents…
Muller en perdait le fil de sa narration. Un jeune homme intervint :
- Votre sœur respirait encore. Elle est décédée presque tout de suite. J’ai essayé de la sauver… Elle avait perdu trop de sang…
Le jeune homme était un fils Jacquet de Frolois. Il suivait des études de médecine et était venu à Méréville pour la fête. Il expliqua que la Louise avait été frappée au côté droit du cou, de haut en bas, tranchant l’artère carotide et perçant un poumon.
- Je n’ai rien pu faire. C’était trop tard... Il était sept heures et demie passée.

 

 

 

 

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Sale type !
Un dimanche à Nancy
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~ Toujours sur le plancher ?
~ Tu prends bien soin de lui !
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Son couteau ensanglanté

 
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Date de dernière mise à jour : 25/11/2023

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