Sale type !

Son couteau ensanglanté

- C’est pas mon n’veu qu’a tué sa Louise ! (La mère Chamagne passait au large…) Vous n’êtes que des gens mauvais. Mon n’veu a du chagrin. Sa femme est morte. Et vous l’accusez !
- Votre neveu, c’est le Dauga ! brailla presque l’Odile.
L’Odile avait crié ça sans vraiment savoir pourquoi. Le Dauga, c’était ce tueur qui avait assassiné je ne sais combien de personnes. On l’avait guillotiné à Nancy il y a plus de dix ans.
- Vous êtes des gens mauvais, répéta la femme. Vous n’avez jamais aimé mon n’veu dans vot’ famille. Vous voulez encore lui faire plusse de mal !
La mère Chamagne s’éloignait en rouspétant...
- Elle ferait mieux de s’occuper de sa fille ! lança une femme.
- Ça l’Hippert, il peut plus passer sous la porte, rigola un autre.
- Pourtant c’est un bosseur, l’Hippert. Il travaille dur. Et, pendant ce temps, sa femme dilapide son argent...
- Et le fait cocu ! conclut la mauvaise langue.

L’Albert, un des fils Chamagne, était dans la foule. Ce mineur de 38 ans, n’avait pas la réputation de s’en laisser imposer. Pourtant, au passage de sa mère, l’Albert n’avait pas moufté. Dès qu’elle fut un peu éloignée, il s’approcha de l’Odile. Ses yeux châtains s’animèrent :
- N’en veut pas à ma mère, elle dit ça sous la douleur. Moi, je peux te dire que j’ai vu mon cousin dans l’après-midi…
L’Albert était au café Jolain, au bord de la Moselle. Voyant son cousin, il s’était approché, lui avait tendu la main et l’avait invité à venir souper avec sa femme chez lui. Le Drouin avait répondu : « J’te connais pas ! ». Ensuite, le Drouin l’avait insulté : « Canaille ! Mannequin ! », tout ce qui lui passait dans la tête.
- J’sais pas c’qui lui a pris, c’était bien la première fois qu’il m’insultait comme ça.
La mauvaise langue :
- Chez Jolain ? Dommage que le Drouin ait pas fait comme l’autre l’année dernière. Son compte était réglé tout de suite, rigola-t-il.

 

L’autre de l’année dernière était un bûcheron d’une cinquantaine d’années qui avait pris pension chez les Jolain. Début janvier, l’homme s’était rendu à Pont-St-Vincent. Là, il y avait retrouvé des compagnons et s’était largement enivré. A une heure bien avancée, il était de retour à Méréville. L’un des buveurs l’accompagnait. Ils se séparèrent à l’entrée du village. L’homme rentrait à sa pension, l’autre chez lui puisqu’il habitait le village.
Des appels « Au secours ! » réveillèrent Jolain. Il crût même reconnaître la voix de son pensionnaire. Aussi sec, il se leva, se rendit sur les bords de la Moselle. Rien. Personne ! Pas un bruit ! Il arpenta plusieurs fois la rive... « J’ai dû rêver » dit-il à sa femme en rentrant. Et il se recoucha.
Mais, le lendemain, Jolain constata que son pensionnaire n’était pas rentré, qu’il n’était pas non plus à son travail. Le compagnon de l’homme lui dit qu’ils s’étaient séparés vers onze heures la veille... Jolain alerta la gendarmerie.

Une enquête fut ouverte. Les gendarmes firent des recherches le long de la Moselle, ils sondèrent la rivière... Rien. Ils conclurent que l’homme était tombé à l’eau et que le courant l’avait entraîné.
On ne retrouva le corps que vingt jours plus tard dans la Moselle à plusieurs kilomètres de là...
- Dommage que c’était pas le Drouin... s’entêta la mauvaise langue
- C’est pas drôle c’que dis. Le Constant venait de perdre sa femme... Mourir comme ça...

Est Républicain 15/01/1902 Constant
 
Est Républicain 02/02/1902 (Constant)

 

Un jeune que l’Odile connaissait bien :
- Tu sais, on l’a massacré le Drouin quand on l’a attrapé. J’lui ai foutu des coups de poings dans la figure. Quand il était à terre, j’lui ai mis des coups de pieds. Et j’étais pas le seul. Regarde les tâches de sang…
Au-delà de la grande tâche de sang, on pouvait voir sur le sol une sorte de chemin semé de brun rougeâtre…
- C’est le sang du Drouin !

 

Arriva l’Adolphine Pachot...
- Constant est encore tombé, s’esclaffa la mauvaise langue.
Le mari de l’Adolphine était charretier aux Roches, la mine de Messein. L’année passée, en conduisant son attelage, il avait voulu passer un remblai. Il avait raté son coup et avait chuté. Aussitôt, des camarades s’étaient précipités pour le secourir... Résultat : fractures de la jambe gauche à deux endroits. Depuis, se moquer du Constant était devenu une tradition. Faut reconnaître que ce n’était pas la première fois qu’il tombait...

L’Adolphine regarda de travers la mauvaise langue. Elle se dirigea droit vers l’Odile et... l’embrassa. Sous l’émotion sans aucun doute, car c’était bien la première fois que la femme l’embrassait. Bref, l’Adolphine et sa mère remontaient la rue à quelque distance des Drouin. De loin, on aurait dit un couple somme toute normal.
- Ils avaient passé la fontaine…
Soudain, le Drouin marqua un temps d’arrêt, il hésita... La Louise le tira. Il se débattit et se libéra du bras qui le retenait. Il voulait retourner sur ses pas. Il voulait encore boire. D’un coup, il rebroussa chemin. La Louise le rattrapa, saisit son bras. De l’endroit où elles étaient, l’Adolphine et sa mère ne voyaient que des silhouettes, n’entendaient que des cris. Ceux de la femme qui exhortait son mari à rentrer chez eux. Ceux de l’homme qui vociférait.

 

Il leva le poing, frappa. Le deuxième coup s’annonçait... La rue est bien étroite à cet endroit. La Louise s’échappa vers la fontaine... Le Drouin bondit.
- J’ai vu son couteau…poursuivit Adolphine…

L’Adolphine et sa mère eurent eu beau crier comme des perdues, rien n’y fit. Le Drouin frappa.
- Dans la gorge…
A ce moment, la Louise était sur le côté gauche de la rue, près de la fontaine. Le sang gicla en flots épais. Elle porta la main à la blessure. Elle criait. Elle chancela. Elle retraversa la chaussée comme un automate. Elle s'écroula dans le caniveau devant la maison Muller.
Quand l’Adolphine et sa mère arrivèrent, Muller était dehors… Debout, au milieu de la rue, le Drouin avait l’air comme hébété : « On vient de tuer ma femme ! On vient de tuer ma femme ! ». Les pauvres femmes ne savaient que faire, que dire... Elles n’osaient bouger.
- Son couteau ensanglanté à la main… Je ne regardais que ça…
Le gros couteau en forme de poignard, genre catalan... La virole qui le transformait en cran d’arrêt... La poignée en corne noire… La pauvre Adolphine bredouillait comme si le Drouin était encore devant elle.

Le Drouin bafouilla : « Voyez comme on a arrangé ma femme ». Heureusement, l’Edmond Doré de chez les Bazin et un autre homme arrivèrent.

 

Justement, l’Edmond venait aux nouvelles…

 

 

 

 

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Sale type !
Un dimanche à Nancy
J’étais pas au courant
Et blablabla
C’était trop tard...
~ Son couteau ensanglanté
~ Toujours sur le plancher ?
~ Tu prends bien soin de lui !
~ Capables du pire comme du meilleur
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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023

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