Complètement Piqué !

Depuis une paire de semaines, la Sabine me tanne qu’il faut que je me fasse piquer. Et le Gérard en rajoute. D’après leurs dires, ILS ont ouvert des centres. C’est tout nouveau. C’est là qu’on amène les vieux et qu’ILS les piquent. Et chaque semaine, c’est la même litanie : va te faire piquer qu’ils serinent. Tous les vieux vont se faire piquer rajoutent-ils d’un air innocent. Surtout toi avec ton asthme. Je vais t’inscrire sur la liste, me menace la Sabine… Rien à faire que je leur réponds, j’irai pas !
Des centres où on pique les vieux, je connais ça. Dans mon jeune temps, j’ai vu un film là-dessus. ILS avaient créé des centres, les vieux y venaient, ILS leur passaient un film avec des champs de fleurs et, paf, une piqûre et on ne parlait plus des vieux. Enfin si, ILS les transformaient en « Soleil vert ». Alors, tu parles que j’étais pas près d’y aller, me faire piquer !

 

Croyant me convaincre, la Sabine avança que Gérard m’accompagnerait. Le Gérard m’accompagner ! Certainement pas. Je savais trop bien ce qui m’attendait… C’est qu’autrefois, not’ papa était tombé comme ça, d’un coup. Au lieu de le laisser récupérer et reprendre le cours de sa vie, le Gérard avait appelé le SAMU. Vlan ! Not’ papa à l’hôpital. Vlan ! Une piqûre et y’avait pu qu’à organiser les obsèques.
Plus tard, not’ chienne Fofa courait sur la place. D’un coup, elle tomba. Un peu comme not’ papa, sauf qu’elle, elle se releva au bout de quelques instants. Voilà qu’elle fonçait dans les murs, voilà qu’elle perdait l’équilibre. Le Gérard ne lui laissa pas quelques jours, le temps qu’elle se remette d’aplomp. Il l’emmena au docteur pour chiens. Une piqûre et not’ Fofa n’était plus qu’un souvenir.
Pareil pour not’ chatte Mahon. Elle pleurait en pissant. Elle se plaignait lugubrement le jour comme la nuit. Avec le temps, cela se serait passé. Penses-tu ! Le Gérard l’emmena au docteur pour chats. Une piqûre et not’ Mahon n’était plus qu’un souvenir.
Pareil pour not’ maman, soi-disant qu’elle avait attrapé un cancer. Je me demande bien où. Dans le village, j’ai jamais vu d’cancer qui rôdait. Bref, le Gérard, encore lui, appela les pompiers. A l’hôpital, ILS firent une piqûre. Vlan ! Plus de maman.
Tu comprends pourquoi, j’voulais pas que le Gérard m’emmène.

 

J’ai donc consulté mon docteur, un bien brave homme. C’est du moins ce que je pensais jusqu’à ces jours derniers. C’est que lui aussi émit la même sentence : je devais aller me faire piquer. Et ces jours derniers… Les centres de piquage étaient tellement débordés qu’ILS demandèrent aux pharmaciens de s’y mettre. Le Gérard m’inscrivit à la pharmacie de la petite ville tout proche. J’avais plus le choix. Le matin, je profitai une dernière fois du manège des oiseaux sur la place ou dans le jardin. L’heure fatidique sonna. L’âme en peine, je suivis le Gérard. Jamais ces quatorze kilomètres ne me parurent aussi enchanteurs. Voilà, c’était la dernière fois que les voyais… Je les gravai dans ma mémoire.

 

L’accueil à la pharmacie fut chaleureux. C’est que le Gérard avait tout organisé et en bien, selon sa façon de pensée, évidemment.
Je dois reconnaître que la pharmacienne m’a bien eu. Elle me dit comme ça : faites-voir votre muscle du bras. Fermez le poing et mettez-le sur votre hanche. Penses-voir une jolie bacèle qui me dit ça tout de go. Sûr, elle s’intéressait à mon anatomie. J’étais tout fier de lui montrer mon biceps ! Voilà qu’elle me dit respirez un bon coup. Je m’exécute… Je vous ai bien eu qu’elle me dit en ricanant, au bout d’un petit moment. Elle me montra : la seringue était vide…
Voilà, j’étais piqué… ILS m’avaient eu ! La pharmacienne m’invita m’asseoir sur une chaise à côté. Même pas dans un fauteuil confortable comme dans le Soleil vert. Même pas de film comme dans le Soleil vert. Rien que ce mur blanc. Dans ma tête défilait toute l’épopée de ma vie, du plus petit que j’ai été jusqu’à ce maudit jour d’aujourd’hui. Même pas assis confortablement. Et toutes les deux minutes, la pharmacienne qui venait briser le film de ma vie avec ses : monsieur, ça va ? Moi, je ne demandai qu’à faire ma crevaison tranquillement. Alors, je répondais un oui machinal, tout en pensant qu’est-ce que ça peut te foutre puisque tu m’as piqué.

 

Mais, c’est moi qui les ai bien eus, la pharmacienne et le Gérard. Je les ai vus et plus ou moins entendus lorsqu’ILS complotaient au bout d’un quart d’heure. Hé oui, contrairement à ce qu’ILS espéraient, j’étais pas mouru. ILS croyaient se débarrasser de moi, c’était raté… Leur piqure n’avait pas marché. Hé oui, la vieille carne avait déjoué leur plan.
Là aussi, c’est ce que je m’imaginai. La pharmacienne et le Gérard m’expliquèrent que je devais revenir à la fin juin pour une autre piqure. J’interprétai que celle-ci avait foiré, que très vraisemblablement, la prochaine fois, ILS augmenteraient la dose. Mais d’ici là, j’avais le temps de faire mon sac et de me barrer dans un pays plus attentionné pour les vieux. Voilà, je ne deviendrai pas un Soleil vert, ne leur en déplaise.

 

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Le 16 avril 2021

Date de dernière mise à jour : 14/01/2025

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Commentaires

  • Bernard Antoine

    1 Bernard Antoine Le 18/04/2021

    Hé bien bravo! Finalement tu les as tous bien eu. Eux et le covid aussi. Tout n'est pas gagné, mais tu es sur la bonne voie. Bienvenue chez les "piqués".
  • Daniel Schlauder

    2 Daniel Schlauder Le 19/04/2021

    Hé oui, un « That's one small step for [a] man, one giant leap for mankind » (C'est un petit pas pour [un] homme, [mais] un bond de géant pour l'humanité).. Bon n'exagérons pas. Mais, le monde des piqués, c'est pas mal.

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