Lo Mâdi Grâs

L’Oda courait allégrement vers ses vingt ans. A cet âge là, on avait envie de s’amuser et de profiter de la vie. Et pour l’Oda, s’amuser, c’était danser.
C’était la première fois que la famille fêtait le Mardi gras depuis la guerre. Pour l’occasion, elle était descendue chez sa mémère Maria en compagnie de ses neveux. Un peu plus tard, sa mère les avait rejoints. Le nonôn Auguste avait fait le déplacement, ainsi que la Nénète et la petite Sassa.

Ball2

Le lendemain était le Mercredi des Cendres, le début du Carême. Alors, avant d’entrer dans cette période maigre, il était de bon goût de manger très gras. Histoire de faire des réserves. Sous la direction de la mémère Maria, la tante Luluce avaient préparé les beignets. A quatre heures après-midi pétantes, la friture pétillait.
Ils y en avaient des dorés en forme d’oreiller saupoudrés de sucre qu’on appelait les beûgnets allemands. Ils y en avaient des clairs en forme de résistance qu’on appelait les beûgnets français. Tous plus bons les uns que les autres.
La mère de l’Oda s’en était goinfré à s’en faire péter la boudâte. Si bien que sur le coup des cinq heures et demie, elle se sentit si patraque qu’elle décida de remonter. Sa fille Nénète et la petite Sassa l’accompagnèrent.

 

- Alôre Oda, te vas au bal ce soir ?
- Ah oui, nonôn ! Ça fait tel’mant longtemps qu’on a pas fait le Mardi Gras…
Depuis que l’Oda était adolescence, ses parents n’avaient manqué aucun bal du Mardi gras. La guerre et l’exil avaient mis entre parenthèse cette tradition. Mais, ce soir…
- C’est ousque, maintenant que l’hôtel de la Couronne est détruit ?
- A l’hôtel Vallet.
- Et tes parents y vont ?
- Bien sûr !

 

L’Oda et ses neveux entraient dans la Sous-préfecture juste au moment où son père quittait son bureau. Ils montèrent ensemble. Les gamins s’élancèrent.
- Dédé ! Doucement, le Sous-préfet est encore à son bureau.

 

A peine avaient-ils poussé la porte que la mère de l’Oda leur tomba dessus :
- Henri... ça va pas...
- Restez tranquilles, fit-il à l’intention du Dédé et du Titi qui chahutaient, votre grand-mère est malade. Qu'est-ce t’as ?
Elle avait si mal au ventre... Il allait exploser…
- Môman, fit la Nénète, t’as vu tout ce que tu t’es avalé.
L’Oda approuva.
- J’ai mal ! gémit la pauvre femme. Je vais mourir…
- On n’meurt pas pour une indigestion, railla l’Oda.
- Ça s’voit que c’est pas toi ! Henri, j’ai mal…
- C’est bon Berthe, je téléphone à Rivard. Va t’allonger.
- J’ai encore plus mal…

 

Le docteur Rivard arriva en même temps que le Popaul. Le diagnostique fut vite établi :
- Ça fait cinq ans que vous n’avez pas fêté le Mardi Gras, ça vous a énervée…
- Mais non, docteur…
- Madame Capè soyez moins gourmande. Je vais vous donner quelques médicaments.
Aussitôt, le Popaul proposa de descendre à la pharmacie. A son retour, ça chauffait…
- J’ai vint’ ans ! braillait l’Oda.
- T’aurais trente ans que ça changerait rien !
- Oh ! belle maman, vous avez repris du poil de la bête, pouffa le Popaul.
L’heure n’était pas à la rigolade. C’était simple, la mère de l’Oda était bien trop malade. Elle n’irait pas au bal ce soir, donc sa fille n’irait pas non plus !

 

Leur voisine accompagnait sa fille Mimie, l’Oda ne serait pas « lâchée » dans la nature. Alors, avec toute la délicatesse et la diplomatie qu’on lui connaissait, le père de l’Oda intervint :
- Elle est en âge de s'amuser. Elle fait pas de mal.
- Ah ! bien sûr, avec toi !
La Nénète ne mouftait pas, mais son mari…
- Belle-maman, dit le Popaul, vous avez déjà brimé la Nénète, laissez donc’ l’Oda s’amuser.
- Oh ! toi, dévergondé !
Le Popaul éclata de rire en se souvenant de l'époque où il était jeune.
A bout d’argument :
- Bon ! Bon ! L’Oda ira au bal à condition que t’ailles la chercher à Minuit !
Le Popaul accepta pour le plus grand plaisir de l’Oda.

 
 

le 23 mars 2016
(mise à jour le 31 mai 2019)

 

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Date de dernière mise à jour : 14/01/2025

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Commentaires

  • Bernard Antoine

    1 Bernard Antoine Le 21/03/2019

    Chez nous, ma mère faisait des "beignets de carnaval" , en forme d'oreiller comme tes allemands, aussi soupoudrés de sucre… Soixante dix ans plus tard l'eau m'en vient encore à la bouche… Que de souvenirs!
  • Daniel Schlauder

    2 Daniel Schlauder Le 22/03/2019

    Douceurs d'antan... Reste plus qu'à refaire quelques beûgnets en espérant avoir gardé la bonne recette

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