Un livre par jour

Jour 0

- Voilà, j’âs rempli le défi qu’m’avait lancé le Charles Noël. J’âs publié mes dix lifes ! C’est qu’i croyait m’avoir le Charles ! Non, mais, i m’prenais pour qui, comme si j’connaissais pas dix lifes ! Y’a pas qu’lui qu’est sévant…
Aussitôt, mon frère Gérard accouru pour vérifier mes dires. Ainsi, il me fit défiler mes publications. C’est qu’ils en avaient, en veux-tu, en voilà. Enfin, j’atteignis la première, il s’écria :
- Tu es savant, tu es savant, répéta-t-il en secouant la tête. Mais bougre d’idiot, tu n’en as publié que neuf ! Tu as commencé au jour 9…
- Mais, non…
- Mais non ! Mais non ! reprit-il de plus belle. Tu as commencé au « jour 9 ».
- Bâ alôre !
- Bâ alôre ! Il t’a demandé de publier dix livres, pas neuf ! 
- Bâ oui… Lui l’avait commencé « Jour 10 », moi j’ai suivi avec « Jour 9 »…

 

Le Gérard prit la tête dans ses mains. Après un long soupir, il reprit :
- Tu as commencé au jour 9 et tu as fini au jour 1.
Et il égrena une par une toutes les publications en les comptant sur les doigts :
- Ça fait neuf livres, pas dix !
Je devais me rendre à l’évidence : je m’avais trompé. J’aurai dû commencer au jour disse au lieu du neufe. Mais :
- Tu parles, le Charles l’en saura rien. Il pensera que c’est bon. Que j’â relevé l’défi !
- Faut pas prendre les gens pour des idiots ! Tu dois honorer ton défi ! Faut que tu en publies encore un, aujourd’hui.

 

Le Gérard m’empoigna. Comme ça d’un coup, il m’arracha de ma chaise et me traîna devant la bibliothèque. Oh ! une bien belle bibliothèque. En chêne vrai de vrai et sculpté avec ça. De l’art qui v’nait d’not’ Lorraine, du XVIIIe siècle m’avait dit la tante Agathe qui me l’avait donné en héritage. Autrefois, il y avait de belles portes vitrées, mais je les avais démontées afin d’atteindre plus facilement les rayonnages. Bref…
Le Gérard ignora la dernière étagère, celle du bas, celle où la chienne Fofa rangeait ses peluches et autres jouets. Il délaissa l’étagère suivante où ronflaient comme des locomotives le Chanoire et la chatte Mahon. Il délaissa les trois autres, celles où était entassé un fatras de papiers. Aussi bien mes anciennes fiches de paie que des factures d’électricité ou des papiers ousque j’avais gribouillé des choses que j’appelais des fiawes. Il s’arrêta à la plus haute des étagères, pas parce que il ne pouvait plus monter plus haut, mais parce que, ici, étaient alignés mes beaux livres. Il commença à égrener :
- Vagabond du rail, tu l’as déjà publié… Clochemerle, déjà publié…
Ainsi, il passa en revue tous mes beaux livres. Arrivé à la fin de la file, il s’écria :
- Ben, tu as tout publié. Et il n’y en a pas d’autres. Ah ! tu pavoisais en disant avoir relevé le défi… Mais, mon pauvre vieux, tu n’as rien relevé du tout, il te manque un livre.
- Ben, on va bien en trouver un…
Tout simplement pas possible :
- Regarde tu n’as que neuf livres et il n’y en a pas ailleurs !

 

Et il sortit, un à un, chaque livre en les comptant. Je devais bien me rendre à l’évidence, j’avais que neufe lifes. J’étais perdu. J’étais déshonoré. Vinrats ! J’avais perdu mon défi. Tout le Fesse du Bouc allait se moquer de moi.
- C’est quoi ce colis, posé à côté de tes livres ?
- Sait pas… Arrête un peu de m’aspouiller !
Le Gérard secoua la poussière du carton et lu ce qui était marqué :
- SCHLAUDER Daniel… C’était bien pour toi… Editions Serpenoise… Ah, le cachet de la Poste : Metz, 6 décembre 1996…
Il arracha le carton, enfin presque tellement il était énervé. Moôn ! Mes amis, vous m’croirez si vous voulez, dedans le carton, tout neufs, tout rutilants, trois livres. J’étais sauvé.
Alôrs maintenant, qui ose prétendre que j’âs pas rempli mon défi ! Et le Charles l’aura beau faire le mâlin, y pourra pas dire le contraire.

 

Le 26 avril 2020

 

Date de dernière mise à jour : 28/12/2023

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