La pièce du Castor

Tourilli (xxx)

 

Je me dressai dans mon lit :
- Mikète ! Mikète !
- Quoi ? (grogna ma sœur).
- On est dans not’ chambre. Y’a p’us l’Canada.
- C’est passque t’m’as réveillée trop tôt !
La porte s’ouvrit :
- Alors, bien dormi ? (arriva notre maman, le Fofo sur ses talons).
- Non ! (brailla ma sœur en s’enfouissant sous la couverture).
A peine posai-je les pieds sur le sol que j’eus droit à un sérieux débarbouillage. Puis le Fofo se précipita vers le lit de ma sœur. Il eut beau couiner, il n’arriva pas à la faire sortir de son lit. En allant vers la fenêtre, notre maman lâcha :
- Allez Mikète, debout !
- J’retourne au Canada !
- T’iras un aut’ jour. Allez, lève-toi !
Nous nous retrouvâmes tous les trois à la fenêtre pour faire coucou à Fanny.
- Bonjour madame Chlodère. Mikète est malade ?
- Pensez-vous. Elle boude.
- Ce n’est pas bien (rigola Fanny).

 

Ma sœur finit par se lever et direction la cuisine où café au lait et tartines nous attendaient.
- Y’avait plusse avec Bernard !
- Bernard ? Bernard ?
- Çui qui nous a emmenés en traîneau, pardi.
- Tu m’en diras tant (souffla notre maman en levant les yeux au plafond).
- Les chiens, is tiraient le traîneau. Y’avait Blue… Skip… Whisky… Les aut’, me rappelle p’us.
- Inouk ! C’est mon chien, Inouk ! T’sais môman (rajoutai-je) le traîneau l’était grand, mais grand. Plusse qu’le traîneau du pépère. Notre maman haussa les épaules et entama son ménage comme si nous venions de parler de la pluie et du beau temps. Alors, ma sœur s’adressa au Fofo :
- Me rappelles p’us d’la sorte, mais c’étaient pas des corniauds comme toi. Is étaient plusse gros.
Le Fofo la regardait d’un air interrogatif. Alors, ma sœur mit la main à la hauteur de la table pour montrer la taille. Le Fofo jappa un coup et hocha la tête de bas en haut pour montrer qu’il avait compris.
- Is étaient plusse fort (Le Fofo aboya méchamment) Mais is avaient peur du Sotré (Là, le Fofo remua la queue, j’avais réparé ma maladresse).

Notre maman était affairée dans son balayage, nous dégringolâmes l’escalier. Le Fofo fut le premier devant la porte de la tante Agathe. Ma sœur ouvrit, la tante sursauta :
- J’vous ai pas entendu descendre l’escalier.
- Tu deviens sourde (rigola ma sœur).
Selon la coutume, la tante était postée à sa fenêtre. Selon la coutume, elle sortit le cornet de bonbons et nous en offrit.
- T’sais ousqu’on a été ?
- Dis voir ? (demanda la tante).
- Au Canada !
- Bâ, dis-donc ! L’Fofo avec ?
Le Fofo protesta par un jappement.
- Bâ non ! Y’a trop d’neige là-haut. Et pis, les chiens, is tirent le traîneau. L’Fofo l’aurait pas pus.
Le Fofo couina en inclinant la tête.
- Evidemment. Evidemment.
Dehors résonnait les « Peaux d’lèpins ! Peaux d’lèpins ! ».
- On t’racontera après not’ ballade, nème !
- J’veux tout savoir (rigola la tante).

 

Lorsque nous mîmes les pieds sur le trottoir, le Heurlin descendait la rue. Il adressa un grand bonjour à la tante qui, bien sûr, ne lui répondit pas.
- Alôre les Mioches, ça getse ?
- Ça getse pas trop…
- Quèce vous arrive, donc’ ?
- On voulait rester au Canada…
- Rester au Canada… (rigola le Heurlin. Mais comme nous lui répondîmes par une manre bouille, il demanda) Vous avez été comment au Canada ?
- Bâ, en avion !
- Evidemment, suis-je bête. On va au Canada en avion.
En passant, nous tapâmes des pieds sur les portes en fer.
- Vous pourrez p’us l’embêter, la mère Kélère.
- Quand elle reviendra de l’hôpital, on s’entraîne (rigola ma sœur).
- Elle est morte cette nuit…
- Alôre, t’vas creuser son trou ?
- Bâ, oui.
Voilà, la mère Kélère allait partir pour la Suisse des Morts. Bien fait, ce ne serait pas la Licorne qui l’emmènerait. Puisque la Licorne avait pris sa retraite et que, maintenant, c’était une longue voiture noire et vitrée qui emmenait les morts à la Suisse.

 

Machinalement, je mis la main dans ma poche. J’en ressortis :
- Oh, Mikète, r’garde !
- La pièce que Bernard t’a donnée !
- Ousqu’t’as trouvé ça (s’intéressa le Heurlin).
- Bâ, c’est Bernard qui m’la donnée.
- Le Bernard qui travaille à la Lorraine Agricole ?
- Bâ, non ! Le Bernard là, l’est Canadien.
- Evidemment… Salut Galate, coment k’c’est ?
Le père Galate fumait sa cigarette sur le pas de sa porte, il répondit par un vague « ça getse mol ».
- T’as rien à mamayer qu’traîne comme ça sur le trottoir ?
- J’prépare ma r’traite (rigola le père Galate) J’es en train d’faire un placard pour le Rhin & Moselle.
- T’voles le travail du Milou ?
- Que nâni. C’est pour le Milou qu’je mamaye ça. J’lui f’rai juste payer l’bois.
- T’vâs avoir du boulot. La mère Kélère est morte c’te nuit.
- M’étonnerai qu’ses enfants m’prennent…
- Va savoir…
- Alôre (s’esclaffa le père Galate) j’lui f’rai un cercueil avec plein de trous à cette kègne. Que les vers la bouffent plus rapidement.

J’étais toujours avec ma pièce que je tournais et retournais dans ma main. Le père Galate s’y intéressa :
- T’as une bien belle pièce. Montre voir.
Le père Galate l’examina sur tous les angles. Il lut :
- 5 cents… Canada… 1954… C’est quoi cette bestiole ?
- Un castor (fis-je fièrement, heureux de lui apprendre quelque chose) Et là, c’est des feuilles d’érable.
- Ousque t’l’as trouvé, ta pièce ?
- C’est Bernard que m’la donnée.
- L’Bernard d’la Lorraine Agricole ? (Le Heurlin rigolait) Pourquoi te marre manre vaurien ?
- Pour rien… Pour rien…
- Bâ, non. C’te Bernard-là, il est canadien.
- Evidemment. T’sais le Heurlin, j’â une sœur qu’est partie au Canada quand les Français sont revenus chez nous en 18…

 

La sœur du père Galate s’était mariée, là-haut, au Canada. Ils avaient entretenu un temps une correspondance. Tout ce que se souvenait le père Galate, c’est que sa sœur avait eu des enfants et qu’elle avait prénommé un de ses fils Bernard pour honorer leur père.
- Il avait quel âche vot’ Bernard ?
- Un vieux comme toi.
- Scheiße ! (rigola le père Galate) Alors, c’est pas mon n’veux.
- Dommage (renchérit le Heurlin) T’aurai pu avoir des nouvelles de la famille.

 
 

L’arrivée
Tourilli
La pièce du Castor
Rennes et Reines

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.
Voir le Dictionnaire des Mioches
Voir le Lexique quebecois

Date de dernière mise à jour : 04/11/2023

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Commentaires

  • Bernard Antoine

    1 Bernard Antoine Le 12/04/2022

    Merveilleuse suite. Ce texte m'a fait rire plusieurs fois. Tu es vraiment un as et te félicite ! J'ai hâte de voir quelle sera la réaction de nos lecteurs.
  • Bernard Antoine

    2 Bernard Antoine Le 13/04/2022

    C'est pas très gentil de traiter son Fofo de corniaud... C'est pas gentil et ça n'se fait pas... le Fofo c'est tout de même un ami d'enfance. Oui, y'en a des plus gros, des plus forts, mais ce Fofo là c'est un ami à vie, les aut', les plusse gros sont pu là... c'était un rêve... un beau rêve mais... pfuittt... parti, envolé, évaporé. Le Fofo lui est toujours là, docile et aimant !
  • Daniel Schlauder

    3 Daniel Schlauder Le 16/04/2022

    Oulala not’ Fofo n’est nullement vilipendé : « Le corniaud est un chien né du fruit du hasard et dont on ne parvient pas à déterminer les races qui sont intervenues dans sa création. Rien à voir avec le chien de race pour lequel on connaît ses origines et ses ancêtres ».
  • Bernard Antoine

    4 Bernard Antoine Le 19/04/2022

    On pourrait dire un chien batard
  • Bernard Antoine

    5 Bernard Antoine Le 19/04/2022

    Merveilleuse suite. Ce texte m'a fait rire plusieurs fois. Tu es vraiment un as et te félicite ! J'ai hâte de voir quelle sera la réaction de nos lecteurs.
  • Bernard Antoine

    6 Bernard Antoine Le 19/04/2022

    C'est pas très gentil de traiter son Fofo de corniaud... C'est pas gentil et ça n'se fait pas... le Fofo c'est tout de même un ami d'enfance. Oui, y'en a des plus gros, des plus forts, mais ce Fofo là c'est un ami à vie, les aut', les plusse gros sont pu là... c'était un rêve... un beau rêve mais... pfuittt... parti, envolé, évaporé. Le Fofo lui est toujours là, docile et aimant !

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