A bas le curé !

C’est à l’école que j’eus ma première révolte contre l’autorité. A cette époque, j’étais en fin d’études, une filière qui n’existe plus. Durant trois ans, j’allais ressasser le même programme en attendant de pouvoir être livré aux bons soins d’un patron... Heureusement, mon instituteur était quelqu’un d’ouvert et qui, malgré les circonstances, essayait de faire évoluer ces gamins qui n’avaient rien à faire des études. Mais, mon propos n’est pas là.

Au temps de la séparation de l’église et de l’État en France, l’Alsace-Lorraine était allemande. Cette séparation n’a donc pas lieu chez nous. Les Allemands n’avaient guère envie d’en rajouter contre ces « Français » qui rechignaient à devenir de bons citoyens allemands. Au retour à la France, l’Alsace-Lorraine garda son statut spécifique. Les Français n’avaient guère envie d’en rajouter contre cette population qui se sentait un peu différente des bons français. Ces phrases sont parallèles, hein ?
Ainsi curés, pasteurs et rabbins devinrent fonctionnaires français. Ainsi l’école resta aux bonnes sœurs de la Doctrine chrétienne de Nancy. Il faudra attendre l’après 1945 pour voir des institutrices laïques à l’école primaire. Juste en passant, les bonnes sœurs régnaient sur l’école maternelle, elles tenaient l’hôpital d’arrondissement, la maison de retraite...

 

Alors qu’on apprenait à l’école que la France était une République « une et indivisible », nous vivions sans avoir les mêmes lois que les autres Français (ceux que nous appelons de « l’Intérieur »). Les instituteurs et institutrices étaient laïcs, soit. Mais, dans le même temps, le curé venait discourir, très officiellement, sur les « affreux révolutionnaires de 1789 » qui pourchassaient la valetaille en soutane....
Donc, nous avions droit à deux heures de religion obligatoire par semaine. Je ne parle pas du catéchisme qui était enseigné en dehors des heures d’école, à la sacristie derrière l’église. En était dispensés ceux dont les parents déclaraient, par écrit, qu’ils refusaient cet enseignement pour leurs enfants. Personnellement je n’en connu aucun. Nous étions en majorité catholiques et c’est la classe dans son ensemble qui se retrouvait face à l’abbé, un beau malabar.

 

Un jour quelqu’un frappa à la porte. L’abbé interrompit son prêchi-prêcha et sortit dans le couloir pour s’entretenir avec son (ou sa) visiteur(se). C’était l’époque où on achetait des petites grenouilles en matière plastique de couleur rouge, verte... On devait les trouver dans des sachets de bonbons, je crois. La grenouille était creuse et en dessous était fixée une lame de ressort. On appuyait sur la lame, on la relâchait... Non, non, elle ne faisait pas « croa-croa », mais « clap clap ». Ceux qui n’avaient pas de grenouille imitèrent le bruit avec la bouche.
Tant et si bien que l’abbé, excédé, revint pousser une gueulante. Les « clap clap » ne s’arrêtèrent pas pour autant. Son interlocuteur(trice) parti(e), notre abbé exprima son amour du prochain à coups de règle en fer. Et « pan », et « pan », et « pan », pas un n’échappa aux foudres de l’Envoyé de Dieu.

 

Arriva le moment où la sonnerie électrique nous libéra. Que cet homme pieu nous frappe comme on frappait une vache qui s’égarait de son troupeau, nous ne pouvions le supporter. Même si quelques-uns partirent en catimini, les esprits étaient échauffés. Nous devions montrer que nous étions des hommes. Et voilà, vingt ou vingt-cinq gamins qui se ruent sur les buissons et les arbustes environnants. On arrachât des branches.
Et voilà que nous marchions en brandissant les feuillages et en criant « A bas l’abbé ! ». Peut-être que certains criaient « aux chiottes » ou même « A mort ! », je ne pourrais l’affirmer.
Nous descendîmes la rue des Écoles, parcourûmes la rue du général de Gaulle. Au carrefour avec les rues général Bernard et Clemenceau, je m’éclipsai. De son premier étage, ma tante Marthe n’avait rien vu, mais elle crût entendre la radio d’un voisin... « Encore une manifestation pour l’Algérie française », pensa-t-elle. Alors que la guerre était finie depuis un an...

 

Lorsque j’arrivai à la maison, c’était mon père qui s’occupait de nous puisque ma mère était à la maternité avec le petit dernier. Bien penaud, je racontai l’épopée... Je m’attendais à une raclée.... Au moins à des récriminations.... Avec toutes les réserves d’un chrétien, mon père me donna raison !
Fort réduite, faute d’écoliers, la manifestation avait atteint le Presbytère sur la place de la République. La 2 CV de l’abbé était garée là et, comme d’habitude, les portes n’étaient pas fermées à clé. Feuillages, branches et autres furent entassées dedans. Le toit en toile fut même ouvert pour accueillir les plus longues. Ainsi l’abbé comprendrait qu’il devait nous respecter.

 

L’après-midi, le Petit Gris (le Directeur des Ecoles) nous attendait de pied ferme. On nous rassembla dans la cour, on nous fit aligner comme à l’armée. Véritable général en proie à une mutinerie, le Petit Gris demanda que les meneurs se dénoncent. Beuglements effrayants, joues pincées, oreilles tirées, je n’ose dire plus de peur d’extrapoler, mais la répression allait nous mater.
Que les meneurs se dénoncent ! Personne ne moufta ou quelqu’un parla ? Je ne men souviens plus. Toujours est-il que quelques-uns furent désignés. Notre révolte se termina par une punition, une phrase idiote à recopier je ne sais combien de fois, nos heures de détente empiétées par une retenue aussi imbécile.
Force restait à la loi. Mais, notre abbé ne nous ferait plus jamais subir le supplice de la règle métallique !

 
 

le 17 juin 2007
(mise à jour le 6 juin 2019)

 

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 30/12/2023

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