Maudit sac

Le Peût’ôme (3)

 
 
 

Notre papa était un vrai baoué. Il faut dire qu’il avait été à bonne école. Lors de la dernière invasion que connut la Lorraine, notre papa habitait Nancy. Je veux parler de l’occupation par l’Allemagne nazie. A l’époque, il n’avait que 14 ans. Il faisait tellement de conneries que son père l’avait envoyé dans une ferme près de Baccarat. Ainsi, il avait prit goût à la culture... Ne manquait plus que l’occasion pour faire le larron.
Bien sûr, la maison de la tante Agathe ne ressemblait en rien à une ferme. A l’arrière, il y avait le hangar. Quelques planches, du grillage, voici une batterie de clapiers pour les lapins. Quand aux poules qui nous fourniraient des œufs tout frais, la cour était suffisamment grande pour qu’elles puissent détendre leurs pattes.

 

Le Peût’ôme et son maudit sac à enfants désobéissants veillaient… Ce matin, ses braillées résonnaient. Une grosse araignée noire se pavanait dans le couloir. Dès notre approche, elle accéléra le pas et s’infiltra sous la porte de la tante Agathe.
Tapis dans le couloir, nous attendions. Nous avions poussé la porte pour qu’il ne nous voie pas. Même le Fofo retenait sa respiration. La créature venait de dépasser notre maison, là, sur le trottoir d’en face. En rasant la façade, nous le suivîmes à distance.
- Vous dîtes pas bonjour, aujourd’hui ?
- Plus tard tante Agathe (répondit ma sœur à voix basse) On viendra après notre enquête.
Elle ne comprit pas de quoi il en retournait, mais elle souhaita :
- Bonne enquête et v’nez me raconter.
- Oui (chuchota ma sœur).
Le Peût’ôme descendait la rue tout en vociférant.
La mère Kélère profita de notre passage pour toquer à son carreau et agiter un doigt menaçant. Pourtant, nous marchions à pas feutrés sur la double-porte, le Fofo toujours sur nos arrières.

 

Vis-à-vis, la vieille femme aux cheveux blancs, tout habillée de noir, était assise sur une chaise juste à l’entrée de la Cour des Miracles. Elle passait pratiquement toutes ses journées là, aux beaux jours. Le Chanoire ronronnait sur ses genoux. Le Peût’ôme échangea quelques paroles avec elle tout en poursuivant son cheminement. Le Chanoire leva la tête, la tourna vers nous et miaula. Nous encourageait-il ? Nous menaçait-il ? Il se dressa d’un coup.
Hurlement épouvantable ! Nous fîmes un brusque écart en nous bousculant. Le vacarme provenait de la raboteuse électrique. Le père Galate s’attaquait à une interminable planche. Il ne nous remarqua même pas tellement il était absorbé par son ouvrage. Rassurés, nous reprîmes notre marche.

 

- R’garde ! (cria presque ma sœur alors qu’elle réclamait le silence auparavant).
- L’Sotré ! (m’effarai-je).
- C’est pas l’Sotré !
- C’est pas l’Sotré ? (Je haussai les épaules en signe de désapprobation) Lorsqu’il a attaqué not’ Fofo sur la cave de la mère Kélère, t’as dis que c’était le Sotré.
- C’est le Grilou, j’te dis !
L’histoire du Grilou remontait dans les temps anciens. Cela la Bianche-tète nous en avait parlée. La Sotrée régnait alors sur nos coteaux et le Grilou hantait nos marécages. C’étaient la guerre entre eux…
- Oui, mais t’m’avais dis…
- J’m’avais trompé. C’est le Grilou !
Ouârée de Mikète ! Elle arrangeait les choses à la sauce qui lui convenait. C’était bien elle qui disait que le Sotré se transformait en Grilou pour faire peur aux automobilistes dans la côte de Delme ! C’était bien elle qui avait parlé de l’attaque du Sotré contre notre pauvre Fofo sur la cave de la mère Kélère.

 

Le Peût’ôme s’arrêta d’un coup. Son vélo vacilla lorsqu’il se tourna pour faire face au Grilou. Il hurla si fort que nos ventres en graouilloutèrent effrontément. Le Grilou se figea, grogna. Le Peût’ôme hurla de nouveau. Le Grilou se ramassa sur lui. Son ventre touchait presque les pavés. Le Chanoire sauta sur le trottoir. Nous retenions notre souffle. Le Fofo grognassait derrière nos jambes.
Le Peût’ôme hurla à nouveau et menaça le Grilou d’un poing agressif. Sans demander son reste, le Grilou rebroussa chemin et se réfugia dans une maison mitoyenne de la Cour des Miracles. Le Peût’ôme reprit sa marche. Le Chanoire lui emboîta le pas. Quelques mètres plus loin, le Peût’ôme fit une nouvelle halte. Un scintillement vert nous indiqua que le Chanoire s’arrêtait à son tour.
- Fofo reste-là, le Peût’ôme va t’repérer.
Son vélo appuyé contre sa hanche, le Peût’ôme farfouilla dans sa poche. Le vélo vacilla. Le Peût’ôme le rattrapa juste à temps. De sa poche, il extirpa une boîte d’allumettes. Il ralluma sa cigarette roulée et reprit son chemin. La cigarette au bec ne l’empêchait nullement de brailler son charabia. Le Chanoire lança un miaou, redémarra.
- Va encore nous faire du mal çui-là !
- Mais, non.
Je me répète, mais là encore, ma sœur avait changé sa version. Autrefois, le Chanoire était une sorte de complice du Sotré. Et puis, comme ça, d’un coup de baguette magique, le Chanoire faisait avec nous. Il allait même nous guider et nous aider dans notre filature. T’avoueras, quand même ! J’avais de plus en plus de mal à la suivre.
- Bon, tu te grouilles. Au lieu de rêvasser ! (aboya-t-elle).

 

Un peu plus loin, une camionnette immatriculée dans les Vosges stationnait. Les manches de sa chemise vert-pomme retroussées, Monsieur Goupil discutait avec le chauffeur. Un rouleau de tissus dépassait par les portes grandes ouvertes.
- Vous allez où, comme ça ?
- On piste le Peût’ôme (répondit ma sœur à voix basse).
- Et il est où, votre Peût’ôme ?
- Là ! De l’aut’ côté d’la rue.
Monsieur Goupil éclata de rire. Sa cravate marron en rebondit sur son bedon. Il dit deux trois mots au chauffeur qui lui aussi se mit à rire, puis :
- Vous restez de ce côté de la rue, nème !
- Oui, Monsieur Goupil.
- Et vous ne dépassez pas la place du Marché. Attention, je vous surveille !
- Oui ! (râla ma sœur).

 

En passant la double-porte de la cave de la Mélie et de Igor, je faillis chuter.
- Moins d’bruit !
- J’avais pas vu (La marche était trop haute).
Juste en face, la Sous-préfecture. Un regard inquiet vers le dernier étage nous rassura : la mémère n’était pas à sa fenêtre.
A l’approche du Peût’ôme, le père Schnapsidee se leva, le salua presque chaleureusement, palabra un moment. Le Peût’ôme appuya son vélo contre l’ancienne vitrine, salua la mère Schnapsidee. Méticuleusement, il détacha son sac en toile du porte-bagages et le mit sous son bras. Donc, il était vide. C’était le même sac que ceux qu’utilisait le Claudi pour livrer son charbon. Si ça se trouvait, le Peût’ôme l’avait volé. Nous en parlerions au Claudi la prochaine fois que nous le verrions. Il entra dans la maison à la suite du père Schnapsidee. Depuis le temps que celui-ci clamait « Te la kraine pour le Peût’ôme ». Sûr, il venait de vendre ses petits-enfants. La mère Schnapsidee était restée sur son banc. Pour sûr, elle ne voulait pas se rendre complice de cette infamie. Une fois, alors que le père Schnapsidee tonnait son sempiternel « Te la kraine pour le Peût’ôme », elle avait répondu : « Allez, fâ, on est kand même kontent te les afoir ».
Bien dix minutes, si ce n’est pas plus, le Peût’ôme ressortit. Son sac…
- Oh, les p’tits-z’enfants du père Schnapsidee sont d’dans !
- J’vois… (frémis-je. Le sac était bien pansu).
- On va l’suivre, i descend encore…

 

Une forte voix nous figea…
- Qu’est-ce faîtes là ?
Remis de notre sursaut :
- R’garde Lolote, le Peût’ôme emmène les p’tits-z’enfants du père Schnapsidee !
- Ousque ? (Un camion nous cacha la vue un bref instant. Le Peût’ôme arrivait à la hauteur de la boulangerie de la Dédée. La Lolote s’esclaffa) Ah, oui. Ce matin, y z’étaient pas sages. Alors, le père Schnapsidee les a donné au Peût’ôme. Et si vous ne r’montez pas illico chez vous, c’est moi qui vâs vous donnez au Peût’ôme. Hoplà gaïsse ! Direction la maison.
- J’veux voir ousqu’i va le Peût’ôme ! (trépigna ma sœur).
- C’est comme ça (Ma sœur tapa des pieds. La Lolote tapa dans ses mains et meugla) Peût’ôme ! Peût’ôme ! Ici, y’a deux enfants qui sont pas sages !
Ma sœur devint livide. Moi, guère mieux. Le Fofo rangea sa queue entre ses cuisses… La Lolote m’attrapa la main, attrapa celle de la Mikète. Hoplà gaïsse !

 

Bien avant d’arriver, nous aperçûmes notre maman sur le trottoir. Cela allait barder pour nos matricules, crois-moi. Même Fanny avait traversé la rue. La Mélie qui redescendait de la Suisse des Morts s’était arrêtée. La tante Agathe se contorsionnait à sa fenêtre. Et ça discourait. Et ça gesticulait.
- Oda, j’te ramène tes Mioches (s’égosilla la Lolote) J’les ai récupérés par chez moi.
- J’allais descendre vous chercher !
- Un peu plus et j’appelais le Fanfan pour vous retrouver (fit Fanny).
Ma sœur haussa les épaules.
- La prochaine fois qu’vous barrez, j’vous fous une raclée. Vous allez voir de quel bois j’me chauffe. Même la tante Agathe s’inquiétait.
- On l’avait dit. Hein, tante Agathe, on t’avait dit qu’on faisait une enquête.
- Oui… (bafouilla la tante) J’pensais pas que vous partiez si loin…
- Petits enfants, petits maux ; grands enfants, grands maux. Vinrats d’vinrats ! J’sais de quoi je parle, Oda (prophétisa la Mélie).
La Lolote rapporta ce qu’elle savait de notre filature du Peût’ôme. Elle termina par :
- C’est qu’avec ce haltata, on ne sait jamais. Nème, Oda ! Faut qu’j’aille. Le Bébert va râler si j’arrive trop tard au restaurant.

 
 
Flech cyrarr

La suite :

Le Peût’ôme (4)
Immense trou

 

Date de dernière mise à jour : 22/05/2025

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