Le Puits aux Bébés

Le Peût’ôme (9)

 
 
 

Nous avions vu ce que contenait le seau. Le Heurlin n’avait pas été avare en paroles pour nous parler de l’histoire de la Cour des Miracles et de son Puits aux Bébés, ni de celle de la fameuse ruelle des Sorcières. La tête farcie, nous avions rejoint notre papa qui admirait son futur potager. Un spectacle différent, mais tout aussi passionnant…
La visite terminée, en ressortant de la Cour des Miracles :
- Non, franchement, un beau jardin (répétait notre papa) Tu le loues combien ?
- On verra, Milou, on verra. T’inquiètes. Pensez à ce que vous a dit le Heurlin. Nom de Dieu ! Je suis vieux aujourd’hui, j’tiens pas à vous ramassez tous les deux dans la rue (Notre papa haussa les épaules) Soyez prudent, préparez mieux votre grève. J’suis de votre côté, même si j’ai aucun rapport avec le Mièsse.

 

La Bianche-tète avait disparu, même sa chaise s’était volatilisée.
- Dis père Galate, on va voir le truc que t’as dis ?
- Quel truc ?
- Tu sais bien, là ousqu’on met les morts.
Il y avait juste la rue à traverser. Dès qu’elle vit le cercueil, ma sœur s’écria :
- R’garde le Dabo, c’est la longue caisse en bois qui est dans le carrosse de la Licorne.
- J’vois…
- Qu’est-ce qu’y a dans la longue caisse ?
Le père Galate la souleva. Et comme je réclamais pour voir, le Mimil’ me souleva. Il ne fallait pas toucher la longue caisse parce que le vernis n’était pas encore sec. Bâ, alôre ! Il n’y avait rien dans la caisse. Le vide !
- Ousqu’i l’est le mort ?
Le père Galate se lança dans de longues explications. Le mort, en l’occurrence ici la morte était chez elle. Le père Galate et le Mimil’ avec son petit camion allaient porter ce soir le cercueil à la maison de la défunte. Ensuite, ils mettraient la morte dans le cercueil en présence du Fanfan…
- L’Fanfan s’occupe des morts ?
Notre sergent de ville constatait que c’était bien la personne morte et déclarée à l’état-civil qu’on mettait dans le cercueil. « C’est la loi » précisa notre papa.
- Et après la Licorne viendra chercher la morte. On mettra la longue caisse dans son carrosse, nème père Galate ?
- C’est ça. Tu as tout compris (s’adressant à notre papa) Les enfants n’étaient pas comme ça avant. Nom de Dieu ! Tu as de superbes enfants, Milou.

 

La visite était terminée, on allait remonter chez nous.
- Dans deux ou trois heures, c’est bon ?
- Prends ton temps Mimil’, la morte risque pas de se sauver. J’attends que le vernis sèche (Au moment où nous quittions l’atelier, le père Galate rajouta) Pensez bien à ce que vous raconté le Heurlin. Vous savez, il a de l’expérience et il a analysé pourquoi il avait échoué dans la grève à la soudière. Nom de Dieu ! Organisez-vous avant.
- Oui, oui (fit notre papa sur un ton neutre) Tu viens boire une bière ?
- Une autre fois Milou.
Et ils se quittèrent sur ces bonnes paroles. En remontant, le Mimil’ demanda :
- Qu’est-ce t’en pense pour la grève ?
- On fait comme on a dit. Le Heurlin, il vit avec ses souvenirs de trente ans. Tu parles…. Et nous, on veut pas faire la Révolution (rigola notre papa) Et sa Rosa Luxembourg, pfuitt… Juste nos heures supplémentaires, la prime de panier et la paye le samedi matin.
- Way… Way… J’pense comme toi.
La tante Agathe était comme toujours à sa fenêtre :
- Alors, Milou, c’est bientôt la grève ?
- On commence lundi tante Agathe…
- Si vous faites une manifestation, vous passerez par là, nème ? Que j’ai un peu de distraction.
Un camion du Mièsse s’arrêtait, Tonio et Igor en descendirent. Notre papa et le Mimil’ traversèrent. Finalement, tout le camion se vida. Voilà bien une quinzaine de gars en train de tenir meeting.
Nous fîmes le compte-rendu de nos découvertes sur le Peût’ôme, le Puits aux Bébés, la ruelle des Sorcières et la Cour des Miracles. La tante Agathe ponctua notre récit de « hum » et de « sans doute », sans ni confirmer les dires du Heurlin ni les démentir. Elle semblait plus intéressée par ce qu’il se tramait en face que par nos découvertes.

 

Notre maman avait mis la radio, nous la surprîmes en train de danser.
- Alors, vous avez vu le jardin ?
- Oh oui, il est bien grand. Et le papa, il arrêtait pas : là, mes patates ; là, des fraises. Hein Mimil’. Et le Mimil’ faisait une bonne tête et répondait : way, Milou, c’est une bonne idée. Oh ! Tu sais môman qui on a vu ?
- Non, dis voir…
- Le Peût’ôme !
- Vous avez vu le Peût’ôme ? Il vous a pas mis dans son sac ?
- C’est le Heurlin. On croyait que c’était le Peût’ôme (annonça ma sœur).
- Oh ! Le Heurlin, ce haltata ! (tonna notre maman).
- On croyait que c’était le Peût’ôme (insista ma sœur) Et ben, non, c’est pas lui le Peût’ôme.
- Il a l’air sympa comme bonhomme (l’approuvai-je) Il nous a donné de la limonade et on a été dans sa maison.
Nous contâmes nos découvertes.
- Y’avait pas d’sorcières dans la ruelle.
- Elles étaient parties ? (ricana notre maman).
- Non, non. On appelait la ruelle comme ça…
Au temps où la Lorraine était indépendante et que la saline était au centre de la ville, les ouvriers logeaient dans des maisonnettes sans grand confort. La ruelle des Sorcières et la Cour des Miracles étaient les seules qui avaient survécues de cette époque. Elles furent ainsi baptisées par les bourgeois parce qu’elles restaient habitées par les plus pauvres de la ville.
- Et tu sais ce qu’il y a dans le Puits aux Bébés ?
- Vous avez vu le Puits aux Bébés ?
- Le Heurlin nous l’a montré (intervins-je) Et on a même puisé…

 

Dans les anciens temps, l’eau courante n’existait pas. Les gens puisaient ici leur eau. Au début, il n’y avait pas de protection autour du puits de la Cour des Miracles. Si bien que plusieurs piats enfants étaient tombés dedans. A force, les gens avaient construit une margelle en pierres haute d’une quarantaine de centimètres autour de l’ouverture. Et ainsi éviter aux enfants d’y tomber. Pour oublier tous ces malheurs, on avait prétendu puiser les nouveau-nés ici. C’est pour cela qu’on l’appelait le Puits aux Bébés.
- Mais y’a toujours de l’eau, môman (affirmai-je) Le Heurlin a puisé un seau. Comme ça le Fofo a eu à boire. Il était bien content !
- Nous, on croyait qu’il allait remonter un bébé ! Mais, c’était de l’eau.
- Ben dis-donc, vous avez bien fait d’aller là-bas (admira notre maman).
Nous étions un peu déçu par cet immense trou, pardon ce profond trou. Mais, nous l’avions vu et nous pouvions en parler en connaissance de cause.

 

Leur réunion improvisée au cul du camion dispersée, notre papa et le Mimil’ revinrent à la maison bien remontés. Quelques bières gonflèrent l’ambiance. C’était décidé : ils lançaient la grève lundi. Tous les gars, enfin la petite quinzaine qui était dans le camion, étaient d’accord.
- T’as vu le Dani ? (attaqua le Mimil’ en affichant un mauvais regard).
- Pas très enthousiaste…
- C’est le moins qu’on puisse dire. J’l’ai jamais senti celui-là.
- C’est un fou la merde (surenchérit notre maman) Rappelles-toi Milou, les histoires aux bals.
- D’ici à ce qu’il nous joue un tour en vache, y’a pas long feu (insista le Mimil’ en serrant les dents).
- On verra bien… On a besoin de tout le monde (temporisa notre papa).
Leur plan était simple. Lundi matin, il se pointait tôt à l’entrepôt. Du moins, bien avant le départ des équipes vers les divers chantiers. Ils harangueraient leurs camarades pour les inciter à la grève. Si ça ne marchait pas, le Mimil’ mettrait son petit camion en travers.
- Igor, Tonio et le Nano seront là, c’est sûr (avança notre papa) Le Dani, ceux de Gérard d’Alsace, il y des chances… Ça fait déjà pas mal… Demain, on fait le tour des chantiers. Il y en a quatre ou cinq dans Nancy et sa banlieue.

 

Ils discutèrent de choses et d’autres. Vint au Mimil’ l’idée d’imite la chouette et l’hibou. « Ououuh ; Ououuh ; Ououuh », le Fofo leva la tête, l’inclina à droite. « Ouuuuu… ou... ou ou ou ou ; Ouuuuu… ou... ou ou ou ou ; Ouuuuu… ou... ou ou ou ou », le Fofo inclina la tête à gauche. De quoi déclencher une franche rigolade. Et leur conversation fila vers la prochaine venu du bébé de la Mimie et du Mimil’, l’état du Robi, des nouvelles de leurs parents respectifs. Au milieu de la conversation, sans doute parce que ça lui passait dans la tête, notre papa lâcha :
- Madame Spritz est décédée, on l’enterre vendredi.
- Oh ! J’l’aimais bien madame Spritz. C’est à quelle heure ?
- Fais comme moi (rigola le Mimil’) lis le journal du Guézète. A dix heures trente à l’église.
- Va donc à la levée du corps (se moqua notre papa).
- Merci bien pour que je la vois dans le couloir comme la mémère Maria l’aut’ fois. Moi, les morts j’aime pas ça. L’église ça me suffit !
Le Mimil’ et notre maman parlèrent du couple Spritz qui dansait à merveille la valse. Tout le monde les admirait. C’est tout juste si la piste de danse ne leur était pas offerte. Bon, sans doute, qu’ils embellissaient leurs souvenirs.
Le Heurlin tomba au centre de la discussion.
- La République soviétique et socialiste d’Alsace-Lorraine. Jamais entendu parler d’ça ! (s’exclama notre maman)
- Moi, non plus (confirma le Mimil’).
Tous trois tombèrent d’accord pour dire que le Heurlin n’était qu’un vieux fou. Quand à la fameuse Rosa Luxembourg… Le Mimil’ et notre maman connaissaient une famille Luxembourg qui habitait à l’époque la rue de l’Homme des Salmuires. Notre maman compléta :
- Un frère de mon père s’est marié avec une fille Luxembourg. Il n’en parlait pas… C’est peut-être elle, sa Rosa.
- J’vâs aller. J’ai le cercueil du père Galate à emmener là-haut. Bonne soirée, à demain.

 
 
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La suite :

Le Peût’ôme (10)
Epaule démise

 
 
 

Date de dernière mise à jour : 27/05/2025

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