Le Peût’ôme, enfin

Le Peût’ôme (15)

 
 
 

La Mimie voulait fêter la fin de la grève. Ainsi, elle avait organisé un apéro dans notre cour (chez ses beaux-parents, là où elle habitait, ce n’était pas possible). En plus de nos parents, y avaient participé Igor et la Mélie, Tonio et la Catinète. « On est tous foutu à la porte » avaient déploré les hommes. Pour chacun, le Mièsse avait dressé une liste.
Tous, constat de l’huissier à l’appui, ils avaient empêché les ouvriers de travailler en bloquant l’entrée du dépôt. Notre papa était désigné comme le meneur. Le Mimil’ avait utilisé le camion de l’entreprise à des fins personnelles, tel le transport des marchandises du père Galate. Igor s’absentait, souvent les samedis, pour travailler pour le compte du père Galate. Tonio avait volé du ciment pour faire la terrasse dans notre cour. Bref, chacun en avait pour son grade, le Nano avait bien fait son boulot de délateur. Pas étonnant que le Mièsse le fasse passer chef d’équipe.

 

Pour la Mimie, malgré son mari et ses camarades licenciés, la grève était victorieuse. Maintenant, le Mièsse payait les heures supplémentaires, même si la paye arrivait toujours avec quelques jours de retard. Et les ouvriers avaient plus de sécurité sur les chantiers. Et puis leur grève avait réveillé les consciences des autres qui commençaient à discuter entre eux. Le mot « grève » revenait fréquemment. Le patron de la scierie comme les fabricants de remorques avaient, du coup, décidé que les heures supplémentaires seraient payées en totalité. Bon, ils leur escroquaient bien quelques heures sur les mois précédents.
- Et à la chaiserie un jour de grève… (s’emballa la Mimie).
Le soir même, le patron de la chaiserie annonçait que toutes les heures effectuées dans la semaine seraient payées avec le salaire hebdomadaire. De plus, pour « ses » ouvrières et ouvriers qui venaient des villages, il allait aménager un réfectoire afin qu’elles et ils puissent manger dans de bonnes conditions.
- Moi, je suis fière de votre grève ! Même si c’est dur (rajouta la Mimie en voyant la mauvaise tête de notre maman) T’sais Oda, moi aussi, je fais appel à mes parents et à ceux du Mimil’…
Nous avions enfin compris ce que voulait nous montrer le Heurlin : « Le Peût’ôme est sous votre nez, cherchez mieux ». Oui, le Peût’ôme était sous notre nez. Le lendemain, il nous conforta dans notre conviction et déclara :
- Votre papa et ses camarades peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait. Ils ne se sont pas couchés devant leur patron. Au contraire. Et vot’ papa n’est pas un con, c’est un homme bien. Son seul tord, c’est de ne pas s’être plus appuyé sur ses camarades. Vous verrez la prochaine fois, il réussira. Tant que les ouvriers n’auront éliminé, une bonne fois pour toutes, tous les Peût’ômes… (rajouta-t-il).

 

Quelques temps plus tard. Le Tonio et le Mimil’ avaient lancé leur petite entreprise de maçonnerie. Ils s’étaient achetés un petit camion d’occasion et recherchaient avec bien du mal des clients. Et le Mimil’ était enfin devenu papa, notre maman avait promis de nous emmener voir la nouvelle née un de ces jours. Le père Galate avait embauché Igor en attendant sa retraite d’ici à un ou deux ans. Il lui payait ce qu’il pouvait pour son salaire. Mais, depuis le début mois, Igor s’était fait embaucher par une grosse entreprise de menuiserie. Il s’agissait de celle qui fournissait fenêtres, portes, etc. au père Galate. Igor était sur un chantier chez nous, celui du Collège d’Enseignement Général.
Quant à notre papa… Au début, il montait à Nancy tous les jours, en vain. Le père Galate lui avait conseillé de se mettre à son compte. Il lui prêterait son atelier gratuitement et « Petit à petit, je te refile mes clients. Moi, je suis en retraite dans trois ans ». Notre papa n’avait pas osé se lancer. Restait le jardin pour se requinquer. Restaient les crédits sur la radio et la gazinière à honorer. Heureusement, les beaux-parents étaient là, la tante Agathe n’était pas en reste, ni la tante Luluce. Ne voyant pas d’issue, il avait fini par suivre le conseil du père Galate et s’était mis à son compte.
- Il s’est débarrassé des patrons (rigola le Heurlin).
- Comme ça il a du travail et des sous ! (affirmai-je) Il s’engueule p’us avec la môman…
- Sauf que la môman râle passque c’est elle qui va réclamer l’argent (grogna ma sœur. Les grandes personnes éclatèrent de rire) Tu vois le pharmacien là qui joue les riches, eh ben, il a toujours pas payé mon papâ. Ça fait bien trois fois que la môman va réclamer !
On répétait ce qu’on entendait à la maison…

 

Le père Galate raconta que le Mièsse ne donnait toujours rien pour la prime de panier. Et le gendre du Mièsse prenait un malin plaisir à infliger des amendes parce l’un était arrivé en retard au passage du camion, prit une pause trop longue ou avait fait une erreur dans son travail. De quoi récupérer de l’argent sur les heures supplémentaires qu’il payait presque normalement.
- Les ouvriers doivent se mordre les doigts de pas avoir suivi vot’ papâ (dit le Heurlin).
- Mon papa l’écrasera avec son vélo s’il voit le Mièsse ou le gendre dans la rue (dit fièrement ma sœur).
Les grandes personnes éclatèrent de rire sans doute en imaginant notre papa en train d’écraser les Mièsse avec son vélo.
- Vous l’avez trouvé vot’ Peût’ôme ! (rigola Heurlin).
- Oui ! Le Mièsse, c’est lui le Peût’ôme

 

Epilogue

Bien des dizaines d’années plus tard, je m’étais assoupi sur mon fauteuil. Pourtant, il n’était pas très tard. Je fus réveillé par des aiguilles qui me transperçaient les cuisses et un effrayant cri. Le Chanoire était dressé, le dos arc-bouté. Il crachait, miaulait méchamment, me labourait les cuisses. J’en échappais mon livre : « Le Peût’ôme ».
Un éclair zébra mon cerveau. Là ! Là, devant moi, dans la petite lucarne… Là ! Le Peût’ôme.
Le Chanoire l’avait reconnu. Il ne s’appelait plus Mièsse. Je n’ai pas bien retenu le nom : Bettencourt, Arnault, Peugeot, Dassault, Saputo, Dangote ou je ne sais… A ce que je compris, il annonçait des profits record pour cette année, malheureusement son groupe prévoyait de fermer trois usines… et de licencier en masse. Les actions du groupe venaient de s’envoler dans les bourses de la planète.

 

La suite :

Le Peût’ôme (16)

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La suite :

Destins sabotés

 
 
 

Date de dernière mise à jour : 16/05/2025

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