- C’est l’Eugène, mon frère aîné qui m’a dénoncé.
- Le salaud ! (tonna ma sœur).
- C’était un patriote français…
La tante, était Lorraine ; Karl, officier de l’armée d’occupation. Cela faisait plus de vingt ans que la Lorraine était allemande. Et la tante était allemande depuis l’âge de quatre ans. Et pourtant la famille refusait l’annexion. L’Eugène avait migré en France dès qu’il avait pu, c’est-à-dire quelques années après que la Lorraine fut annexée par les Allemands. Il n’était pas question que sa jeune sœur fréquente et encore moins se marie avec un ennemi.
Bien des gens dans son entourage la dénigraient, même ses plus proches amies faisaient pression pour qu’elle renonce à ce Prussien (qui en fait n’était pas Prussien puisqu’il était Bavarois). Mais, l’Eugène était le plus acharné contre Karl. Ainsi, pour empêcher sa jeune sœur de fréquenter son bien-aimé, il l’avait fait venir à Nancy.
- Il habitait Nancy ? (la tante fit oui de la tête) Alôres, comment l’a su ?
- Son copain Louis lui a dit.
Malgré la différence d’âge, une huitaine d’années, le Louis avait des vues sur la tante. De plus, le Louis était facteur, le facteur de notre rue. Le manège entre Karl et le père de madame Schnapside l’avait intrigué au point de subtiliser une lettre, de l’ouvrir et d’en informer l’Eugène du contenu. Chaque fin de semaine, le frère de la tante descendait chez nous. Cette lettre, ni les suivantes, la tante ne les avait jamais vues puisque son frère les avait brûlées. Il lui avoua longtemps plus tard, bien dix ans après.
- T’avais quel âge quand t’as parti à Nânci ?
- Presque 23.