- Que se passe-t-il ? Demandèrent ensemble Marcel et Denis que ce brusque arrêt inquiétait.
- Je ne suis pas sûr, je crois avoir déterré des os, dont un crâne selon toute vraisemblance, je veux m’en assurer.
Armé d’une pelle, Michel commença à vider le godet lorsque son outil buta contre quelque chose de solide. Ça ne pouvait pas être une pierre, le son produit était trop sourd. Il redoubla d’effort et mit à jour deux ou trois os bruns.
- Félix ou son père ont peut-être enterré un mouton ou une chèvre… Ça doit dater de longtemps, juste à voir leur couleur. Commenta Denis se voulant rassurant.
Un examen plus minutieux du contenu du godet révéla, à la grande surprise de tous, un crâne humain dont on trouva la mâchoire inférieure quelques secondes plus tard. Pendant un instant, les bras ballants, nos trois compères demeurèrent silencieux, plongés dans des pensées morbides. Ils avaient la sensation de choir dans un abîme sans fond, hors de l’espace. Les actions réfléchies, l’enthousiasme, tout s’envolait, comme autant de ballons soudain réduits à néant. Revenu à la réalité, Denis se leva et se mit à secouer ses mains comme pour se débarrasser d’invisibles entraves.
- Il faut bien se rendre à l’évidence, il ne s’agit pas d’ossements animal mais humain et quel que soit leur âge, il faut appeler la police, ce n’est plus de notre ressort.
Pouvez-vous imaginer quel état d’anxiété et de curiosité peut subitement tomber sur la population d’un petit village comme Chavigny, où, règle générale, il se passe peu d’évènement d’envergure ? Une voiture de patrouille, à demie cachée dans la cour du centre sportif, contrôler à l’aide d’un radar manuel la vitesse d’automobilistes au pied un peu trop lourd sur l’accélérateur, on le voit à l’occasion. Mais le déploiement de trois autopatrouilles, gyrophares allumés, et du car de l’identité judiciaire, tous dans et devant l’entrée de Denis Dragon, soulève l’étonnement et l’inquiétude des voisins immédiats, puis en peu de temps, celui de tous les villageois solidaires les uns envers les autres.
Le premier à arriver chez Denis est Germain, le rembourreur, son voisin d’en face, intrigué par un si important déploiement policier. En quelques minutes le village au complet s’était rassemblé, ressemblant à une petite fourmilière désordonnée dont les habitants s’agitaient en tous sens. Des gens, partout des gens curieux, comme une cohue. Ces visages, joyeux ou soucieux, ces yeux, ces voix. Pas un morceau d’espace sans êtres humains. Les policiers avaient bien tenté d’interdire l’entrée du site, mais les curieux arrivaient de partout, à pied, par les champs alentours.