On sentait les chiens heureux de courir à nouveau sur une surface solide. L’équipage voguait à bonne allure depuis une demi-heure sur la piste durcie lorsqu’un loup se mit à hurler dans la montagne. Un autre lui répondit et bientôt nous eûmes l’impression d’entendre hurler dans toutes les directions. Nous avons tous senti notre sang se glacer dans nos veines.
- Les Grilous, éructa le Dabo. Vont nous bouffer.
- Vinrats ! lui répondit la Mikète. T’vâs voir, Blue et ses copains vont bouffer les Grilous. Pas vrai Bernard ?
- Le Grilou, i s’cache dans les virages pour faire peur aux conducteurs.
- On est en traîneau ! Alôre, on s’en fout, nème Bernard ?
Que pouvions-nous faire d’autre, sinon continuer notre chemin en espérant que les loups ne se rapprochent pas. Personne n’appréciait cette compagnie, même si, par la présence de quatre humains et six gros chiens, il y avait peu de chance qu’ils se jettent sur nous, mais nous faisait tout de même mourir de peur.
Après ce long calvaire, nous atteignîmes au crépuscule notre campement. Nous voilà tous à l’œuvre. À commencer par dételer les chiens, ajouter de la paille fraîche dans l’appentis muré et muni d’une grande porte, aménagé pour leur confort. Le traîneau y avait sa place. Il leur a été servi un copieux repas, de l’eau et, bien sûr, une bonne ration de caresses.
- Dis voir, André, on pourrait pas garder Blue avec nous dans le chalet…? Hein dit… tu veux! supplia la Mikète, le Dabo ajoutant les siennes.
- Comment te refuser ça? Entendu, on la garde cette nuit, elle sera notre gardienne.
Pendant ce temps, Bernard avait allumé un bon feu dans le poêle. Deux fanaux au propane éclairaient la grande pièce de dix mètres sur dix. Au mur de gauche était installé l’escalier de meunier qui donnait accès à la mezzanine, le dortoir où s’étalaient à même le plancher quatre matelas. Un mur complet fait d’immenses fenêtres, du plancher jusqu’à la pointe du toit, donnait une vue superbe sur l’immense lac gelé. En quelques minutes l’endroit nous parut accueillant et chaud. Les chiens bien nourrit et à l’abri, se fut à notre tour de passer à table. Jean-Yves avait tout prévu, jusqu’à la bière.
- Je viens de me rappeler que c’est un soir de pleine lune. La première de l’année que l’on appelle « la Lune des Loups ». Voilà qui explique en partie ces hurlements lugubres que nous avons entendus. Sûr qu’ils vont rôder alentour cette nuit. Blue va certainement nous le confirmer.
La soirée s’est passée à se remémorer les bons moments de cette journée au grand air, sans oublier le troublant passage sur la glace. Éreintés, mais ravis, le sommeil n’a pas été long à surprendre la maisonnée. Couchée aux pieds de la Mikète, Blue a effectivement grondé, les babines retroussées, les crocs bien en vue, lorsqu’un peu avant minuit, des loups en quête de nourriture ont rôdés autour du chalet.