Terminus

Tourilli (Québec)

 

Par Bernard Antoine

 

André lança le dernier départ. Maintenant l’attelage se dirigeait vers le chenil. Le vent s’était levé, qui faisait osciller doucement la cime des sapins. Devant nous on voyait la piste blanche se prolonger en un long ruban d’argent et toujours avec le même entrain, les chiens gambadant allègrement, la queue roulée sur le dos et le Dabo excité qui criait :
- Go! Inouk, go! Répétant à tue-tête les mots que criait André.
- Go! Blue, go! Reprenait la Mikète qui voulait, elle aussi, encourager son amie à quatre pattes.
Le chemin du retour se faisait en douceur le long du cours sinueux de la Sainte-Anne, coulant au fond d’une large vallée. Les ballons des Laurentides de notre randonnée, faisaient place maintenant à de simples bosses aux forêts moins denses. À un carrefour, André fit prendre le chemin de gauche à ses chiens. Peu de temps après, au sommet d’une petite côte on vit apparaître les bâtiments du chenil. Cette belle aventure venait de se terminer.
Dans la grande cour, Jean-Yves et Mathieu, le fils d’André, 17 ans, s’affairaient à décharger la surfaceuse. À la demande d’André, il répondit :
- Nous venons d’arriver. Il nous a fallu près de quatre heures, à deux, pour dégager l’éboulis. Il faudra attendre une nouvelle chute de neige qui recouvrira la terre, les résidus de branches et la sciure, avant de reprendre ce trajet.
Jean-Yves avait une voix légèrement éraillée. Il parlait lentement, comme s’il eut compté ses mots. Revenant à l’attelage, André annonça :
- Les Mioches, vous avez passé de longues heures assis, confinés dans un espace restreint, voici le moment de vous dégourdir les muscles, c’est la récréation. On détache les chiens et on les laisse courir à leur guise. Jouez avec eux pendant qu’on bâche le traîneau sous le porche.
- Hourrah ! Cria le Dabo détachant Inouk.
Le chien, dans sa joie, lui bondit sur la poitrine lui faisant perdre l’équilibre. Voilà notre Dabo étendu dans la neige, sur le dos, Inouk lui léchant la figure malgré ses protestations, peu convaincantes il faut le dire, et ses gestes pour se dégager.
Blue sautillait, le corps pris de convulsions tant elle était heureuse de l’approche de la Mikète. Libérée de son harnais, dans sa démonstration de joie, Blue bouscula la jeune fille qui tomba sur le dos elle aussi. Elle eut beau se débattre, la chienne trouva le moyen de la lécher copieusement, provoquant des éclats de rires indescriptibles. Mathieu et Bernard, après avoir libéré les quatre autres chiens attirés par les cris et les rires, se sont joints à la mêlée. Pauvre Dabo, dès qu’il réussissait à se remettre debout, involontairement un chien, dans l’excitation du moment, le faisait trébucher. Ce débordement d’activités et de bruit a attiré Marianne, l’épouse d’André.
- Qu’est-ce que c’est que tout ce boucan… ! Bernard, te rouler dans la neige… ! à ton âge…! Tu ne vieilliras jamais, toi… !

 

Protestations

Imperceptiblement, lentement, le sablier se vidait. Dans une bonne poignée de main, Bernard en était à ses au revoir avec André.
- Tu nous as fait vivre une belle aventure. Avec ta compétence, ton audace, ta détermination, les chiens avec leur ardeur, leur vivacité, leur entrain, pendant ces quelques heures, nous avons formé, tous ensemble, une équipe du tonnerre. Tous ces bons moments, ces émotions partagées, la beauté sauvage des paysages, tout cela s’est imprimé dans la mémoire des Mioches et durent-ils vivre cent ans, jamais ils ne l’oublieront.
- J’ai bien senti qu’ils ont été impressionnés. Dans mon cas, il y a une bonne part de routine, mais chaque randonnée est une aventure. Chaque jour on apprend des choses. On apprend toujours quelque chose en travaillant avec les chiens. S’exclamât-il.
À voir le plaisir qu’ils ont avec les chiens, ça ne sera pas facile de les séparer d’eux, pensa Bernard.
- Les Mioches ! Il commence à se faire tard. Faut maintenant penser à rentrer.
- Déjà…? S’exclama la Mikète essoufflée. On r’tourne faire une autre randonnée demain, hein ! Dis ?
- Bâ oui, alôre. J’â bien aimé la « run » pis i’a plein d’sentiers qu’on a pas vus ! Plaida le Dabo les vêtements couverts de neige.
- J’ai bien peur que ce ne soit pas possible, vous devez rentrer chez vous, votre auteur me le demande avec insistance.
- On s’en fout d’not’ auteur ! I peut attendre ! J’veux r’voir Blue et jouer avec elle, c’est mon amie !
- Moi ‘si j’veux rester avec Inouk et André, nème. Même si j’aime bien not’ Fofo. C’est ben l’fun ici. Dis-i qu’on veut pas rentrer maintenant… encore quèqu’jours.
- Écoutez-moi bien. Demain sera un autre jour, on ne sait pas de quoi il sera fait. On verra en temps et lieu. Pour l’heure il faut rentrer chez moi, on nous y attend. Allez, on dit au revoir à André, on lui fait un gros câlin, sans oublier les chiens à qui on doit beaucoup.

 

Le village

En entrant dans son village par le nord, Bernard emprunte la rue du pont qui enjambe la rivière Sainte-Anne et tourne à droite sur la rue Principale et ses premières maisons qui accuse un lent virage vers la gauche. La rue descend doucement et malgré le panneau annonçant une limite de vitesse à 50 Km/h, jamais il ne dépasse les 40. Les enfants sont assis sur la banquette arrière, mais, curieux, les deux visages sont appuyés sur le dossier des sièges avant.
- Y’est bizarre ton village. toutes les maisons sont isolées des autres. Chez nous à Chété-Salins, sont toutes hautes et collées les unes aux autres… et d’la neige… moôn !
- Dis donc, jeune fille, te voilà à présent à rouspéter sur la quantité de neige alors que pendant ces deux derniers jours tu n’as cessé de l’aimer et t’y vautrer ! Oh ! Là… sur la droite, regardez bien, je vois un chevreuil qui traverse la rue!
- Oui, je l’vois. Moôn qu’i est beau ! L’vois-tu l’Dabo ? Pointant l’index en direction de l’animal.
Bernard ralentit puis stoppa la voiture à environ deux mètres du chevreuil qui a continué son chemin sans trop se presser, passa entre les maisons du côté opposé et s’évanouit dans le boisé en arrière fond. Prudent, Bernard garda la voiture arrêtée lorsqu’un autre chevreuil se présenta, suivi de deux autres et de deux autres encore. Six chevreuils, presque un derrière l’autre.
- Bâ ça alôre… ! Y’en a beaucoup. I’ont pas peur ! Te vois l’Dabo, nème !
- Ousque vont comme ça ? ‘Vont s’faire écraser ! Questionna le Dabo visiblement intrigué.
- Ils reviennent d’aller boire à la rivière et s’en retourne dans les bois pour la nuit. Ils ne sont pas rares par ici. Ce sont des femelles, il est interdit de les chasser, elles sont donc moins effrayées par la présence des humains. Mais ne se laissent pas approcher outre mesure pour autant elles gardent une distance sécuritaire.

ChevreuilsUne mère et ses deux petits (le deuxième on ne lui voit que les oreilles, à droite).

Trois maisons…

Bernard a fait bâtir sa maison dans un nouveau développement à environ deux kilomètres du village. Sa rue, tracée dans un domaine boisé, intrigue les enfants, habitués à vivre en ville. Une longue allée, bordée de pins et d’érables débouche sur une grande cour avec, sur fond de pins géants, une maison, sa maison.
- Moôn ! C’est tranquille ici. Tu vis en plein bois… Y’a des arbres partout ! S’étonna la Mikète.
- La paix, la tranquillité, tu dis ! Y’en a partout ici, tellement qu’on s’enfarge* dedans. C’est pour cette raison qu’on est venu s’installer ici.
En montant l’escalier qui donne sur la grande galerie, le regard du Dabo est attiré par une petite plateforme couverte d’un toit, perchée sur un long tuyau qu’il pointa du doigt. Devançant la question, Bernard dit :
- C’est une mangeoire pour les oiseaux. Certains jours, près d’une centaine d’oiseaux viennent s’y nourrir.
- Tu leur donnes quoi ?
- Des graines, surtout du tournesol, ils adorent le tournesol.
- C’est quoi la p’tite maison là, au bout d’l’entrée ? Demanda la Mikète curieuse.
- C’est le garage pour l’auto.
- Bâ dis donc… T’as trois maisons ?
- Où vois-tu la troisième ?
- Bâ là… pour les oiseaux ! T’es comme Cadet Roussel, t’as trois maisons.
- Si tu veux, mais la chanson dit qu’il y en a une pour nourrir les hirondelles. Ici c’est la forêt. Les hirondelles préfèrent les champs où il y a de l’eau. Mais pour conserver la rime, il y a tout plein de tourterelles. On remplace les hirondelles par les tourterelles…
- Not’papa il aimait taquiner ses bons amis en changeant des mots de la chanson. Tiens, comme ça, le Dabo va répéter :

Tonton Bernard a trois maisons, (bis)
Qui n’ont ni poutre, ni chevron, (bis)
Tonton Bernard est militaire,
Y’aime les femmes y’en voit pu clair.
Ah ! Ah ! Ah ! Oui vraiment,
Tonton Bernard est bon enfant !

- Maintenant il est temps de rentrer, une surprise vous attend.
- Encore une surprise ! S’écria le Dabo rayonnant de joie.
- Un bon repas qui se terminera par la dégustation d’un gâteau aux bleuets.
- Des bleuets ! S’étona la Mikète. C’est-i quèqu’ chose qui s’mange?
- Ah ! J’oubliais, ce qu’on appelle des « bleuets » ici, sont des myrtilles chez vous. Des myrtilles « sauvages », on les récolte par dizaines de kilos dans les bois, autour de la maison.
- Chez nous on dit aussi des brimbelles, ajouta la Mikète.
- Moi j’aime bien les tartes ou les gâteaux à la brimbelle de la tante Luluce, ajouta fièrement le Dabo.

*Enfarger (s’) = Au Québec le verbe a le sens de «faire tomber» de «trébucher», de se prendre les pieds dans…, d’être entravé. S’enfarger dans les fleurs du tapis = s’empêtrer, se laisse arrêter par de menus obstacles ou par des difficultés imaginaires.

Le dodo

Le repas a été des plus animé. Les Mioches n’ont cessés de se remémorer les évènements des derniers jours. Rien n’a été oublié, les animaux empaillés du musée de Wendake, les vêtements des Hurons, leurs chants et leurs danses. Le Dabo a même fait allusion au morceau de castor qu’il a mangé. Le clou de la conversation s’est évidemment porté sur la balade en traîneau.
C’est à qui, de la Mikète ou du Dabo, commenterait le plus et le plus fort. Ne parlons pas d’exagérations, disons toutefois qu’il y eu quelques débordements dans la description de certains faits…
- Ça n’a pas l’air d’avoir été très jojo votre randonnée. Vous avez failli noyer les enfants sous la glace et fait attaquer par des loups…! S’indigna ma femme le regard courroucé.
- N’exagérons rien, la glace a cédé, mais ils ne se sont même pas fait mouiller et quant aux loups, on les a entendu hurler, pas plus. J’avoue que ces deux incidents ont été inquiétants, nos cœurs ont battus la chamade, mais il y a eu plus de peur que de mal.
Quelques temps après le repas, les Mioches ont eu droit à un bon bain chaud, chacun à leur tour. Une chambre pour chacun dans l’entre sol. Ce que je vous dis là, je m’en souviens très bien, c’était hier soir, donc encore bien présent dans ma mémoire. Je me souviens de leur avoir raconté l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, y mettant beaucoup d’emphase aux endroits stratégiques lorsque le Grilou à bondit sur Blanquette…
Je me souviens encore que ma femme et moi leur avons donné de gros câlins, les avons bordés, et donné de gros bisous… Et comme au temps où nous couchions nos enfants, avant d’éteindre la lampe, prononcer la formule magique…
- Bâ ça alôre… T’as une formule magique pour dormir ? S’étonna la Mikète.
- De la pure magie, elle me vient de ma maman, on la récitait ensemble pour éloigner les mauvais esprits, les mauvais rêves, les cauchemars. La formule magique est très simple, c’est celle-ci :

Bonne nuit, bons rêves,
Sans puce, ni punaise.

Fait étrange, incompréhensible, au matin lorsque je suis allé les réveillés pour le petit déjeuner, les chambres étaient vides. Draps et couvertures bien tirés, comme si personne ne les avait dérangés. Les Mioches s’étaient envolés, évanouis. J’ai compris, comme vous, lecteurs, lectrices, qu’ils étaient retournés dans leurs « fiawes », l’auteur avait d’autres aventures à leur faire vivre.

 

Texte de Bernard Antoine
Le 16 mars 2022

 

GLANURES HITORIQUES DE MON VILLAGE

Terre sacrée

 

Tourilli (Québec) :
L’arrivée 1 (L’aéroport)
L’arrivée 2 (Kabir Kouba)
Tourilli 1 (Le chenil)
Tourilli 2 (Les moteurs)
Tourilli 3 (Nature indomptable)
Tourilli 4 (Le défi)
Tourilli 5 (Le secteur des caps)
Tourilli 6 (Terminus)
La pièce du Castor
Rennes et Reines

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.
Voir le Dictionnaire des Mioches
Voir le Lexique quebecois

Date de dernière mise à jour : 04/11/2023

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