Le Peût’ôme (2)

 
 
 

Tous entretenaient les huttes et le camp. Tous ramassaient, sur le coteau boisé, le nécessaire pour entretenir le foyer. Tous cueillaient les baies et les fruits. Les femmes participaient à toutes ces activités à égalité avec les hommes. Quoique, généralement, c’étaient plutôt elles qui préparaient le repas. Une chance…
Protégée par le Peût’ôme, la jeune fille blonde occupait une place bien trop convoitée. En effet, les autres jeunes filles la jalousaient. Elles la chargeaient des corvées les plus dures, notamment celle de ramener l’eau presque douce. Pour cela, la jeune fille blonde devait remplir une outre faite avec la peau d’un daim. Un beau jour, la jeune fille blonde voulut se venger.
Au lieu de descendre vers les eaux presque douces, elle prit une autre pente et puisa son eau dans le rupt salé. Elle s’imaginait la tête que ferait les membres de la tribu qui, croyant boire de l’eau douce, avaleraient de l’eau salée. Ils allaient cracher, grogner, pester. Elle se réjouissait tant de sa blague que, remontée au camp, elle buta contre une pierre. Toute l’eau salée se déversa sur l’amas de galets brûlants et de cendres ardentes. C’est-à-dire là où on avait enfoui la viande pour la cuire. Les autres jeunes filles la houspillèrent, quelques hommes en rajoutèrent. Toute penaude et fortement vexée d’avoir raté sa blague, la jeune fille blonde redescendit, cette fois, chercher de l’eau presque douce. Tout en remontant, elle se promit de recommencer…

 

Quelle ne fut pas sa déconvenue lorsqu’elle revint au camp. Les membres de la tribu dévoraient la viande à pleines dents. Pire, ils gloussaient de satisfaction. Le Peût’ôme lui trancha un morceau où avait coulé l’eau salée. La viande assaisonnée était délicieuse.
La jeune fille blonde fut dignement fêter pour sa trouvaille. Quant à la vieille Magdaleina, elle aurait pu finir sa vie adulée et honorée si, le lendemain, elle n’avait pas rajouté quelques herbes que la jeune fille blonde avait ramassées. La vieille Magdaleina prétendit que c’était pour donner meilleur goût à la viande. Mais, voilà, le goût en question ne plut pas du tout. Deux hommes et une femme tombèrent malade à la suite du repas. Du moins le crut-on, car notre vieille Magdaleina avait utilisé de la passe-pierre et du laurier. Tout le monde sait bien que ces herbes ne sont pas dangereuses. Au contraire…

 

Au qwâroye de la tribu, le Peût’ôme accusa la vieille de vouloir les empoisonner. Plus d’un s’étonna. Le Peût’ôme, lui l’ami de la vieille Magdaleina, lui qui s’intéressait tant aux coutumes indigènes. Ce n’était pas croyable qu’il agisse ainsi… C’est que le Peût’ôme avait une idée en tête, la tribu n’allait pas tarder à l’apprendre. Ni plus, ni moins, il proposa qu’on exile la vieille. Sur le plateau où, selon la légende, était apparue la Sotrée, le Peût’ôme fit construire une hutte. C’est là qu’on relégua la vieille Magdaleina. Et plus personne ne lui parla, plus personne ne lui rendit visite. Sauf, la jeune fille blonde qui lui apportait régulièrement à manger et les herbes qu’elle ramassait dans la forêt ou dans les marécages.
Et les autres indigènes, donc ? Eh bien, les indigènes ne levèrent pas le petit doigt pour leur vieille. D’ailleurs, plus ça allait, plus les différences physiques et morales entre eux et les Curcellae se gommaient. Bientôt, il ne resterait plus rien des traditions. Enfin, si rien n’était fait.

 

Les traditions remontaient si loin dans le temps que le Peût’ôme se proposa pour veiller à leur respect. Qui d’autres connaissaient aussi bien la langue des indigènes ? Qui d’autres avaient remis au goût du jour les cérémonies en l’honneur du Sotré ? Du Sotré ? Tiens donc ! Eh oui ! Au fil du temps, le Peût’ôme avait réussi à faire croire que la Sotrée était un mâle.
Après un coup pareil, celui d’avoir fait exiler la vieille Magdaleina sans l’ombre d’une protestation, il espérait avoir mis le grappin sur la tribu. Il était bien trop confiant. Des hommes contestèrent ses prétentions. Depuis qu’ils étaient sédentaires, il venait nombre d’idées aux Curcellae, notamment celle de diriger la tribu et de ne plus aller risquer sa vie, ou même se fatiguer à la chasse. Plus d’un rêvait de devenir ce grand prêtre incontesté qui serait exempt de toutes corvées, qui choisirait les meilleurs morceaux, qui mangerait à sa faim lors des famines…
Il s’ensuivit une bagarre générale. Et, ils remirent cela le lendemain. Et le surlendemain. Si bien que plus personne n’alla à la chasse ni à la pêche. Si bien que la tribu vint à manquer de nourriture.

 

Cela ne pouvait plus durer, une jeune fille se détacha de la mase. C’était, justement, la jeune fille blonde. Elle proposa que l’on retourne à la chasse et à la pêche. Les autres femmes la suivirent sans hésiter. Mais, les hommes… Eh bien ! Les hommes, ils continuaient à se battre. Lamentable ! Si bien que certains hommes commencèrent à rejoindre le clan des femmes. Si bien que le Peût’ôme se retrouva bien seul à prétendre au titre de gardien des traditions. Si bien que le jour où, repue, la tribu se retrouva en qwâroye, tous ou presque désignèrent cette jeune fille blonde qui avait permis à la tribu de survivre.
Devant une telle unanimité, le Peût’ôme se soumit au verdict. Mais, il mit au défi la nouvelle prêtresse de guérir deux enfants qui souffraient d’un mal au ventre.
Sur les conseils de la vieille Magdaleina, la prêtresse partit deux longs jours à travers forêts et marais. A son retour, elle prépara des décoctions avec des herbes mystérieuses et les donna à boire aux enfants. Trois jours plus tard, ils couraient dans le camp et la prêtresse reconnue en tant que telle par tous.
Mais, la prêtresse ne s’arrêta pas là. Elle fit bouillir des feuilles de lauriers pour aromatiser racines et tubercules. Le Peût’ôme l’accusa de droguer la tribu. Autrement dit, de faire ce que la vieille Magdaleina avait fait autrefois. Il proposa d’exiler la prêtresse et de prendre sa place. Cette fois, personne ne l’écouta. Beaucoup dégustaient avec une joie non dissimulée cette nouvelle cuisine.
Les rares railleurs furent dévorés par le Grilou. En réalité, il n’y eut qu’un homme et un enfant. D’ailleurs, ils s’étaient égarés dans les marais… Mais, le Peût’ôme prétendit que la prêtresse avait passé un pacte avec le monstre. D’ailleurs, elle s’y promenait seule et sans arme. N’était-ce pas une preuve ? La prêtresse répondit qu’elle était la descendante du Sotré. C’est pour cette raison que le Grilou se tenait à distance. Jusqu’au jour où le Peût’ôme entra dans une rage massacrante, il donna même un coup avec son couteau en os. La joue de la prêtresse blonde en garderait le souvenir.

 

Ah ! La prêtresse n’était pas à une affabulation près. Crois-moi. Elle se prétendait vierge. Tous écarquillèrent les yeux, car nombre d’hommes la connaissaient intimement. Mais, personne n’osa la contredire. Le Peût’ôme ironisait, mais personne ne l’écoutait.
Bien sûr, on croyait tout ce qu’elle racontait. Bien qu’on se demandât comment tout cela était possible. Mais, on se gardait d’en parler tout haut. C’est que la prêtresse, de ses promenades solitaires, ramenait des herbes secrètes qui pouvaient aussi bien guérir un malade que tuer un bien portant.
Vint le jour où son ventre fut gros. Enfin, les imbéciles s’apercevraient qu’elle était une femme comme une autre, se moqua le Peût’ôme. La prêtresse prétendit qu’elle devait se recueillir là où le Sotré était apparu, là-haut sur le plateau où avait habité la Magdaleina. Le Peût’ôme rata l’occasion de se distinguer. Bien lui en prit en vérité. Car l’homme qui la suivit fut dévoré par le Grilou.
La prêtresse redescendit seule. Que soit entendu sans l’enfant qu’elle aurait dû mettre au monde. Plusieurs fois, son ventre redevint gros. A chaque fois, elle redescendait seule de la Magdaleina. On racontait que là-haut, le Sotré lui parlait, la conseillait, lui donnait des armes magiques.
Mais, cette fois, la prêtresse resta longtemps, trop longtemps. Ce qui permit au Peût’ôme de fanfaronner. Ni plus, ni moins, il prétendit l’avoir suivi dans sa retraite. Pourquoi le Grilou ne l’avait-il pas dévoré ? C’était bien simple, le Sotré le protégeait, lui, le Peût’ôme. La prêtresse était comme tout un chacun. Si son ventre grossissait, c’était parce qu’un homme avait couché avec elle ! Au début, personne n’avoua avoir commis un tel sacrilège. Et puis, au fil des jours, voyant que la prêtresse ne s’en revenait point, les langues se délièrent. Si bien qu’on apprit que tous les hommes, à un moment ou à un autre, avaient servi d’étalon, sauf… le Peût’ôme. Il s’en offusqua… Les autres le raillèrent en lui disant qu’il était vraiment trop vilain.

 

Et la prêtresse blonde ne revenant toujours pas, le Peût’ôme prétendit qu’à chaque fois la prêtresse accouchait. Mais, comme, jusqu’à ce jour, elle n’avait eu que des garçons, elle les avait tous tués ! De quoi écœurer les mâles de la tribu. Conviens-en. Le Sotré a mis fin au désordre ! fanfaronna le Peût’ôme. Dans un rêve, le Sotré lui aurait même confié les rênes de la tribu.
Ce qu’il se passa là-haut, personne ne le sût vraiment, vu que personne n’osa y aller. Toujours est-il que, par un jour de brouillard, descendit de la Magdaleina… Eh oui, on avait oublié que la vieille Magdaleina y avait vécu. Sans se souvenir pourquoi, on appelait le plateau où était apparu le Sotré, la Magdaleina. Bref, une forme étrange descendait de ce lieu encore plus étrange. Croyant à une apparition du Sotré, la tribu se prosterna jusqu’au moment où une femme reconnut leur prêtresse blonde. La tribu se mit en mouvement d’un seul coup et l’accueillit par des cris de joie. Celle-ci portait dans les bras, un bébé. Elle dit que le Sotré lui avait envoyé une fille et que cette fille, appelée la Bass, lui succéderait.

 
 
Flech cyrarr

La suite :

Le Peût’ôme (3)

Date de dernière mise à jour : 05/09/2024

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