La Louise Schuh

Plusieurs années en arrière…

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Nous étions loin d’être nés et notre maman était une jeune fille qui courait sur ses vingt ans. Occupant ses journées comme elle pouvait, elle se trimballait dans les rues, s’arrêtait avec l’un, discutait avec l’autre. Ce jour-là, elle discourait avec le Guézète, un copain.
- Alôre, quoi de neuf ? demanda-t-elle sur le ton de l’ironie.
- Plein de choses... La quincaillerie va rouvrir.
- Ah bon ! fit sèchement notre maman.
- Oui, c'est les Strèf’ qui reprennent le commerce.
- Vaut mieux ! tonna-t-elle.

 

La Louise Schuh vint à passer sur le trottoir d’en face. Elle adressa un petit signe.
- Tu dis plus bonjour à ta copine ? railla le Guézète.
- Certainement pas !
- C’est de l’histoire ancienne, plaisanta le Guézette en tapant sur le bras de notre maman. Ses parents ont réouvert depuis hier...
- Plutôt marcher pieds-nus que d'acheter des godasses chez eux !
- T’es rancunière Oda. Ils ont choisi le mauvais camp, mais ils n’ont assassiné personne... Ah, avant ! sourit le Guézète.

 

Comme les autres, la rue de Gare renaissait. Ce qui permit au Guézète de mettre fin à la causerie qui fâchait. Il montra une maison où s’affairaient quelques ouvriers.
- ...les Rubenac’ s’installent juste là.
- Pas trop tôt que je retrouve mon coiffeur !

 

Un camion militaire français passa. A l’arrière, on voyait le groupe de soldats emmitouflés dans leur capote vert de gris.
- Les Boches sont toujours là ! remarqua notre maman.
Le commando de prisonniers allemands était logé au Lycée agricole. Dans la journée, on les employait au déminage et à ramasser les divers engins de guerre qui traînaient partout dans la campagne.
- Ils curent la Petite-Seille et le canal du Moulin, expliqua le Guézète.
Il y en avait des vacheries : mines, grenades, bombes, obus…
- Ils sont pas prêts de rentrer chez eux, ricana notre maman.
Un client mit fin à la conversation. Le Guézète l’accompagna dans le salon de coiffure.

 

Remontons encore quelques mois en arrière…

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Ce soir-la, notre maman n’était pas la dernière à encourager les quelques écervelés qui jetaient des pierres sur le magasin. Pourtant, ici habitait la Louise Schuh, une de ses copines d’école... Une copine d’avant...

 

Depuis une demi-heure, trois quarts d’heures, ils étaient une petite centaine, surtout des jeunes, à parcourir les rues. Tout d’abord, ils avaient fait halte devant la maison d’une petite-cousine de notre maman. Pourtant, elle l’aimait bien avant... Pourtant, avec ses parents, elle leur rendait souvent visite avant... Notre grand-mère était même la marraine de leur fille, c’est peu dire.
Puis, la meute avait saccagé le commerce du réparateur de parapluies.
- On va te le faire bouffer ton journal nazi, rigola un jeune.
Toute enseigne en allemand était systématiquement arrachée, piétinée. Maintenant, la meute s’en prenait aux Schuh qui tenaient un commerce de chaussures...

 

A leur tête un petit nerveux d’une cinquantaine d’années vociférait : « Les Boches, on va vous faire la peau ! ». Notre maman comme les autres tonnaient : « Qu’on leur fasse ce qu’ils nous ont fait ».
La situation était tendue, les plus excités essayèrent d’enfoncer la porte. « Ils sont terrés comme des rats dans leur cave » lança l’un. « T’inquiètes, aboya un autre, on va les déloger ces salauds ! ».

 

Jusqu’à présent, les gendarmes avaient observé la meute comme s’ils ne voyaient rien. On aurait même pu dire qu’ils l’escortaient... Mais, là, ils allaient trop loin. Une longue négociation finit par calmer les excités. La meute abandonna l’idée de déloger les « Boches » de leur cave et reprit sa marche vers le marchand de vélos tout proche.
- Mes voisins, s’amusa un jeune en ramassant une pierre.
- Ce sont eux qui ont pris notre logement ! approuva notre maman en l’imitant.
Les cris et les insultes redoublaient.

 

Sur la place du Marché, les Américains étaient en alerte. Les moteurs de deux GMC ronflaient. Un officier vint même aux nouvelles. A son départ, les gendarmes rassurèrent la meute :
- Ils laissent faire... Tant que ça ne dégénèrent pas trop.
Plus loin, d’autres Américains gardaient le dépôt d’essence des Boches. Là, pas question d’entrer, pas même d’approcher. « Ce n’est que partie remise » lança le petit nerveux en entraînant ses ouailles...

 

Remontons encore quelques mois en arrière…

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Notre maman, ses parents, nombre de voisins prenaient place dans les autocars garés dans l’Adolf-Hitlerstrasse. Dans d’autres endroits, nombre d’habitants exécutaient le même mouvement. Dans quelques dizaines de minutes presque toute la ville se retrouverait sur le quai militaire. Là, ils embarqueraient dans le train n° 17 qui les emmènerait vers…
Un collègue de son père traînait sur le trottoir et plaisantait avec l’officier chargé de l’opération. Il s’approcha des parents de notre maman et les invectiva en allemand : « Bon voyage, sales Français. Vous ne reviendrez plus jamais ! ».

 

Les cars s’ébranlèrent… La petite cousine de notre maman était à sa fenêtre, elle leur adressa un discret petit signe, son mari paraissait effondré. Notre maman répondit à son salut.
- Oda ! aboya sa mère. Qu’est-ce que je t’ai dit !
Encore un petit-cousin, le marchand de parapluies riaient et sautillaient sur le trottoir. Il agitait son journal nazi en criant : « Vous voulez un petit souvenir ? ». Les cars entrèrent dans la Bahnhofstrasse… Les Schuh étaient sur le pas de leur porte, ils paraissaient tristes. Apercevant notre maman, la Louise agita fébrilement la main. Notre maman lui répondit avec autant d’enthousiasme.
Presque en chuchotant, mais sur un ton ferme, la mère de notre maman dit :
- On ne fait pas au-revoir aux Boches !

 
Ball2

le 3 août 2017

 
 
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Date de dernière mise à jour : 03/07/2024

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