Retour vers le passé

Joyeux Noël

Et revoilà l’animatrice avec son truc à la main. Ça devenait une habitude. Elle me fourra son truc dans l’oreille droite. Lorsque j’étais arrivé ici, elle avait mis son truc dans mes deux oreilles. L’une après l’autre, pas les deux en même temps, nème ! Depuis, elle ne s’intéressait qu’à mon oreille droite. A n’en pas douter, j’avais un problème à cet endroit. Qu’est-ce qu’elle a mon oreille droite ? Votre oreille droite ? fit semblant de ne pas comprendre l’animatrice. Vous entendez encore du bruit ? Ça fait plusieurs fois que vous regardez dans mon oreille droite. L’animatrice me dévisageait comme si je venais de tomber de la Lune. Je répétais mon propos et rajoutais : c’est donc que mon oreille gauche va bien, mais que mon oreille droite a un problème. Votre oreille n’a pas de problème. Je ne regarde pas dans votre oreille, je prends votre température. Ma température ? Ma température ? Oui, je peux même vous dire que vous êtes à 37,2. Quand je suis arrivé, vous avez regardé dans mes deux oreilles ! insistai-je. C’était pour vérifier que la température correspondait. Maintenant, une seule me suffit. Si ça vous fait plaisir, la prochaine fois, je prendrai la température dans votre oreille gauche. Et elle repartit en riant.

 

Et les chefs animateurs revinrent faire un bilan. Toujours les mêmes questions : Allergies ? Asthme depuis quand ? Le chef Urgences mit les écouteurs à ses oreilles et ausculta mon dos. Cette fois, j’entends ! dit-il avec satisfaction. Vous vous sentez mieux ? Bâ alôre, oui ! Cela faisait plus de deux heures que j’étais là et on m’avait donné deux fois trois quarts d’heure d’oxygène. Ça ne pouvait qu’aller mieux.
Vous voulez rentrer chez vous ? Et le réveillon ? Ils voulaient se débarrasser de moi. Ils voulaient me priver des bonnes choses à manger ! Je protestai vivement : je veux réveillonner, moi ! C’est ce je vous propose. De réveillonner avec votre famille. Mais, je suis venu avec le camion rouge des Schtroumfs. Les deux chefs me regardèrent bizarrement. Une étincelle et ils comprirent que je parlais de l’ambulance des pompiers. Ce n’est pas un problème. Il y a quelqu’un chez vous ? Bâ oui ! fis-je comme si cela devait être évident pour eux, ma sœur et mon frère précisai-je. Eh bien, vous pourrez réveillonner avec eux. Il n’y a pas de réveillon ici ? Ma réflexion les fit rire presque aux larmes. Ce n’est pas le genre de la maison, pouffa le chef SAMU qui scanda : Pas de homard ! Du canard !
Jusqu’à maintenant, j’avais pensé que ma sœur et mon frère m’avaient offert un beau voyage dans un parc d’attractions. Eh bien, pas du tout, ces radins avaient pris la formule à bas prix. Même pas de réveillon ! Même pas de retour à la maison ! On vous renvoie réveillonner chez vous, insista le chef Urgences sans doute pour me consoler.

 

Rentrer chez moi pour réveillonner, c’était bien beau. La grosse horloge indiquait deux heures moins le quart. Avec ma sœur et mon frère, nous avions commencé le réveillon vers neuf heures du soir. Sûr, quatre heures et demie plus tard, ils ne devaient plus être en état de conduire. Je n’allais quand même pas rentrer à pied en pleine nuit. 14 km…
Ne vous inquiétez pas pour ça, j’hésite entre le SAMU et une ambulance pour vous raccompagner. Tout dépend s’il faut appareiller, approuva le chef SAMU. L’autre lui répondit par un oui énigmatique, on verra la situation dans une demi-heure. Le chef SAMU en profita pour scander : Pas de homard ! Du canard !
Le chef Urgences pinça les lèvres et lâcha une sorte de pouf avec la bouche. Je ne crois pas à l’allergie aux œufs de homards. Pour moi, c’est une crise d’asthme sévère. Lorsque vous étiez enfant, on vous emmenait à l’hôpital ? Bâ oui, même que mon père me transportait à toute vitesse sur son vélo. On vous mettait sous oxygène ? A chaque fois. Eh bien, aujourd’hui, c’est pareil sauf que vous ne vous souvenez plus comment c’était. A cette réflexion, j’aurais dû comprendre dans quel établissement je me trouvais. Borné comme je l’étais, j’en restais à mon parc d’attractions. Le chef Urgences remarqua mon doute, car il rajouta : une simple crise d’asthme. Une crise sévère, mais juste de l’asthme. On se revoit dans une demi-heure.

 

On se revoit dans une demi-heure, le chef Urgences ne croyait pas si bien dire. Tutt ! Tutt ! Encore cette vacherie d’alarme. Pas d’affolement, je savais comment y remédier. Tutt ! Tutt ! Je replaçai mon doigt dans la petite pince. Tutt ! Tutt ! Oh ! Je trifouillai la pince. Tutt ! Tutt ! Bon sang ! Je maintins la pince avec ma main gauche et j’enfonçai mon doigt du plus fort que je pouvais. Tutt ! Tutt ! Vinrats, j’avais cassé la pince… Tutt ! Tutt ! Non, ça pinçait comme avant.
Me voyant me débattre avec cette satanée pince, le chef Urgences vint à mon secours. Il fit signe à l’animatrice qui nous rejoignit aussitôt. Alors, fit-elle, sans plus chercher, je commande SAMU ou ambulance ? Ni l’une, ni l’autre, il est tombé à 84, la crise est repartie de plus belle. On le garde, remettez-lui l’oxygène.

 

Me revoici donc avec le masque à oxygène sur la bouche et le nez. Les équipes d’animations avaient leur langage codé, ainsi le participant était surpris par les rebondissements. Je m’explique. Les chefs animateurs m’avaient fait croire qu’ils me renvoyaient chez moi, autrement dit que les festivités étaient terminées. J’étais tombé dans le panneau. Faut reconnaître que leur sketch était bien amené. Des pros ces gens-là !
Voilà que, soutenu par l’animatrice Urgences et l’animateur SAMU, entra un homme qui chancelait. Sur le coup, je ne compris pas que les animateurs avaient organisé un petit spectacle en faisant entrer en scène un comédien. L’homme fut dirigé dans une chambre un peu à l’écart de la vaste salle où je me trouvais. Et le comédien se mit à donner de la voix. Des Au secours ! Au secours ! de détresse. Puis des Docteur ! Docteur ! nerveux. Pour finir par des A boire ! A boire ! revendicatifs. A tout bout de champ.
Ce devait être une animation dite d’angoisse. Franchement, ces braillées ne me divertirent qu’un court moment. D’autant qu’il serinait toujours la même chose. Ça devenait lassant. Les animateurs s’en rendirent compte, car au bout d’une demi-heure, le comédien cessa son numéro. Déjà se mettait en place le sketch suivant.

 

Deux hommes entrèrent en poussant un petit lit à roulettes. Un petit lit du même style que celui qui m’avait amené ici. Un peu plus bas me semble-t-il. Sur le lit était allongée une dame. Les hommes n’étaient pas déguisés en Schtroumpfs, quoique leurs pantalons fussent tout pareillement bleus. Mais leurs blousons étaient blancs avec une inscription : Ambulance Montdidier. Les animateurs installèrent la dame dans le lit à côté du mien et dressèrent un paravent afin que je puisse profiter du sketch sans le voir. A n’en point douter, c’était un remake de mon arrivée. C’est ainsi que la dame déclara avoir eu sa crise d’asthme après avoir mangé. Des œufs de homards ? lui demanda le chef SAMU. Non ! répondit-elle sur un ton cassant. Je plaisantais, s’excusa le chef SAMU. Je plaisantais… Une mauvaise plaisanterie.
Et il repartit en lâchant à ma hauteur son sempiternel : Pas de homard ! Du canard ! tandis que le chef Urgences s’arrêtait. On va vous transférer dans une chambre. Vous serez plus à l’aise pour vous reposer. On vous redonnera de l’oxygène avant midi. Et ne vous inquiétez pas, c’est une crise d’asthme, plus sévère que les dernières, mais comme celles que vous faisiez lorsque vous étiez enfant. Depuis, vous avez oublié…

 

L’animatrice Urgences débrancha tous les fils qui me reliaient à la machine. Y compris cette satanée Tutt ! Tutt ! Pas trop tôt, j’allai pouvoir me dégourdir les jambes. Oulala, restez tranquille. Je ne tiens pas à vous ramasser. L’animateur SAMU vint lui prêter main forte. Il pousserait mon lit tandis qu’elle suivrait à ma hauteur en poussant la potence où étaient accrochées mes perfusions. Tiens, on avait changé les poches car celles-ci étaient quasiment pleines. Je ne m’en étais même pas aperçu.
Je reviens dans cinq minutes m’avertit l’animatrice. Cela faisait plus de cinq heures que j’étais là, mais l’idée ne m’avait même pas effleurée. C’est ainsi que l’envie de pisser me prit. Je n’avais plus de fil qui me reliait à la satanée machine, juste mes perfusions. Pas de problème, j’avais déjà vu des gens baguenauder avec leurs perfs. Comme s’il promenait leur chien. Pourquoi pas moi ? De plus les toilettes étaient proches puisqu’elles donnaient dans la chambre.
Je me levai avec peine, j’agrippai la potence des perfs et en avant. Ça vacille, ça chancelle… par deux fois, je faillis me retrouver le nez sur le sol. L’animatrice réapparut au moment où je ressortais. Vous n’avez pas de chance, vos toilettes sont privées d’électricité. Pas très gênant vu que j’avais laissé la porte ouverte afin de ne pas rater ma cible.
Elle entreprit l’inventaire. Des bijoux ? Des objets de valeur ? De l’argent ? Juste dix €uros dans mon portefeuille. Des cartes ? Carte d’identité… Permis de conduire… Carte Bleue… Carte Vitale… Ah oui, ma carte pour que mon cerveau soit envoyé à la Fondation Alzheimer de la Salpêtrière. Vu que j’étais à Montdidier, il serait envoyé à Amiens. Ce n’est pas sur la situation géographique que l’animatrice tiqua. C’est sur le fait qu’on me prélève mon cerveau… Bon passons.

 

Vous avez une crise d’asthme comme vous en aviez en étant enfant. Le diagnostique du chef Urgences résonnait dans ma tête. Il avait même rajouté : vous ne vous souvenez plus, mais c’est de l’asthme. Je comprenais, enfin, le but de ma sœur et de mon frère. Ce n’était nullement un voyage et un séjour dans un parc d’attractions qu’ils m’avaient offerts.
Est-ce à ce moment ou plus tard, je ne saurais le préciser, que j’entendis celui que j’avais pris pour un comédien. Il se plaignait à l’animatrice : On ne s’occupe pas de moi ici ! Vous êtes venu comment ? L’animatrice n’obtint pas de réponse, alors elle insista : Votre maison était en feu ? Ah bon, ma maison était en feu… Et les pompiers vous ont amené ici parce que vous étiez brûlé ? Ma maison en feu… Brulé… balbutia l’homme. Non, monsieur, vous faisiez du tapage. Vos voisins ont appelé la gendarmerie. Les gendarmes vous ont amené chez nous vu votre état. Les gendarmes… Oui, monsieur. Vous avez même tapé sur un gendarme. Dans la mêlée, vous êtes tombé et vous vous êtes fêlé une côte. On vous repassera une radio dans la matinée et, après, vous pourrez rentrer chez vous.

 

J’étais donc allongé dans mon lit, un lit bien plus confortable que le précédent. Loin de l’animation de la vaste salle, la perfusion coulait dans mes veines et apportait son bienfait dans mon corps. L’animatrice ne m’avait rebranché que trois capteurs, ceux du cœur. Plus personne ne venait me pincer les pieds pour vérifier que je n’étais pas en route pour un autre monde. J’étais serein, l’esprit on ne peut plus clair.
Dire que j’avais imaginé que ma sœur et mon frère m’avaient offert un voyage dans un parc d’attractions. Quel con, alors ! Vous ne vous souvenez plus de vos crises d’asthme lorsque vous étiez jeune. Voilà l’explication, bien simple en somme, évidente même. Ma sœur et mon frère m’avaient offert, pour la Noël, un retour vers le passé. Ce centre était spécialisé dans ce genre de voyages. Je m’endormis paisiblement.

 
 

Les Schtroumpfs
Pas de homard ! Du canard !
Retour vers le passé
Froid de canard

 

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Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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