Pas de homard ! Du canard !

Joyeux Noël

Je n’eus même pas le temps de remercier les Schtroumpfs pour leur voyage que déjà les animateurs du parc me prenaient en charge. La femme avait écris dans le dos Urgences Infirmier, l’homme SAMU Infirmier. Six lits s’alignaient dans la vaste salle. Ceux-ci étaient un peu plus larges et avaient de plus grosses roulettes à leurs pieds. On me transféra dans l’un d’eux, à peu près au milieu de la salle. Avec satisfaction, je constatai qu’il était plus confortable que ne l’était l’étroit lit des Schtroumpfs. Les festivités pouvaient commencer.
Votre nom, votre date de naissance, votre âge. Et voilà, ça recommençait. Les animateurs parurent satisfaits. En un rien de temps, ils me soulagèrent du reste de mes vêtements. Ah non, il me restait encore mes socquettes et mon slip.
L’animateur s’empara de mon bras gauche et y planta une aiguille, un cathéter qu’il me dit. Ça va, vous n’avez pas mal ? Ben, dis-donc, je ne suis pas douillet à ce point. Il y brancha deux poches pour la perfusion. Deux ? Il faut bien ça, me répondit-il sur un ton laconique. Ça sert à quoi ? Vous vous sentirez mieux. M’est avis que c’était une sorte de drogue pour rendre les participants plus ou moins euphoriques.

 

Pendant ce temps, l’animatrice passait un brassard à mon bras droit. Sous prétexte de prendre ma tension, elle gonflait, elle gonflait. J’eus à nouveau cette détestable impression que mon bras allait éclater. Heureusement, elle arrêta avant que le désastre ne se produise. Puis, elle s’intéressa à mes oreilles en les examinant avec un petit appareil sans doute équipé d’une loupe. Normal, déclara-t-elle à l’intention de son collègue. Qu’est-ce qu’elle croyait y trouver ? Je n’ai pas pour coutume de loger des bestioles dans mes oreilles ! Puis, elle me coinça un doigt dans une sorte de pince reliée à un cadran. 83, annonça-t-elle en faisant une grimace. Je pose le masque.

 

Je commençai à me sentir mieux, à réguler ma respiration… Ah ! L’oxygène, qu’est-ce que c’est bon. Presque aussi bon qu’un chlouke de mirabelle. D’un coup, les animateurs enlevèrent le drap. J’étais nu comme un ver. Pas tout à fait puisque mes pieds étaient toujours garnis de mes socquettes et que mon slip masquait mes attributs de mâle déclinant.
Voilà-t-il pas qu’ils me collèrent de gros confettis blancs avec une perle argentée au centre. Sur mes jambes, sur mes bras, sur ma poitrine, je n’osais imaginer ce qu’ils avaient en tête. Ça, non ! Ils rêvaient ! Je ne ferai pas les attractions déguisé en sapin de Noël. Je m’emballais pour rien, car ils déroulèrent un fatras de fils et les branchèrent, un à un, sur chaque perle argentée.
Je ne compris pas grand-chose aux explications. La science, ça évolue. A mon avis ces capteurs comme ils les appelaient allaient m’envoyer, tout au long des attractions, des impulsions. Eh oui, de nos jours le relief et la 3D étaient dépassés, on en était à envoyer des sensations aux spectateurs. C’est beau le progrès, quand même. J’avais hâte de ressentir cela. Faut vivre avec son temps, comme dirait l’autre.

 

Votre nom, votre date de naissance, votre âge. Cette fois c’était le chef animateur Urgences. Leur numéro ne devait pas être au point. Que ce soit les Schtroumfs ou les animateurs, ils ne savaient pas comment commencer. L’autre chef animateur, celui marqué SAMU, se joignit à la conversation.
Vous êtes venu en septembre par vos propres moyens… La crise était moins grave… Il se foutait le doigt dans l’œil. Le chef animateur Urgences avait beau lire son dossier, je savais bien que je n’avais jamais été dans un parc d’attractions. Mis à part, il y a bien longtemps, au Parc Astérix. Il devait me confondre avec quelqu’un d’autre. Mais, je ne le contredis pas, on ne sait jamais si cela me donnait des bonus. Autant en profiter.
Asthme depuis quand ? Je sais bien, ça m’handicape pour les épreuves physiques. Mais, ça ira… Asthme depuis quand ? insista le chef Urgences. Ah ! Depuis 21h30. Le chef Urgences porta la main à son front, soupira longuement. Le chef animateur SAMU vint à la rescousse : il vous demande depuis quand vous avez des crises d’asthme. Vos premières crises d’asthme, à quel âge ? Ah ! Depuis tout petit. Allergies ? Poils de chats, poils de certains chiens, brouillard, poussières… Comme tous les asthmatiques, conclut le chef Urgences. Aliments ? Ben non ! Dis-donc, il n’allait pas me priver des bonnes choses à manger. C’est que c’était le réveillon de Noël aujourd’hui. Aux médicaments ? Non, plus ! Vous avez pris votre Ventoline ? Oui ! Combien de bouffées ? Oh, dix ou quinze schpritz en une demi-heure. Quand même ! souffla le chef Urgences.

 

Le chef Urgences mit les écouteurs dans ses oreilles, me plaqua le micro dans le dos. Et ici… Et ici… Et ici… J’entends rien, finit-il par articuler. Tu es devenu sourd, le railla l’autre chef. Je n’entends rien, je te jure. Il mit le micro sur ma poitrine, rien ! Il trifouilla le flexible qui reliait le micro aux écouteurs. Tout paraissait normal. Tu es sourd ! rigola de plus belle le chef SAMU. Il remit les écouteurs, me plaqua le micro dans le dos. Rien. Il mit le micro sur sa poitrine et lâcha : moi, je suis vivant, j’entends. Un nouvel essai sur moi ne fut pas plus concluant. On verra ça plus tard, il n’est qu’à 85. Et les chefs animateurs partirent vaquer à d’autres tâches.
Tutt ! Tutt ! Régulièrement, l’animatrice ou l’animateur passait prendre de mes nouvelles. Souvent, ils remettaient en place la pince qu’ils m’avaient coincée au doigt. Ils avaient donc peur que je l’esquinte leur pince ? Ou alors que je leur vole ? Tutt ! Tutt ! Son dossier à la main, le chef Urgences vint me voir. Et il déroula la liste de mes allergies. Tutt ! Tutt ! Cette fois, ce fut le chef Urgences qui tripota la pince que j’avais au doigt. Et il répéta : allergies ? Il changeait de chanson, finis les nom, âge, etc.
Maintenant, il me bassinait avec ce mot qui devait, à n’en point douter, servir de laissez-passer pour accéder aux attractions. Sans le laisser paraître, j’égrenai la liste : poils de chats, poils de certains chiens, brouillard, poussières… Et aux aliments ? Ma parole, il avait dans l’idée de me priver des bonnes choses du réveillon. Non, mais ! Alors, je répondis fermement : à aucun aliment. Le chef SAMU intervint : les pompiers ont noté œufs de homard. Je n’y crois pas répondit le chef Urgences. Enfin, je ne suis pas allergologue. Pour moi, c’est une crise d’asthme provoquée par je ne sais quoi. Le chef SAMU en tira la conclusion : Pas de homard ! Du canard ! Pas de homard ! Du canard ! Et tout au long de la nuit, à intervalle régulier, il scandera : Pas de homard ! Du canard !

 

Tutt ! Tutt ! Cette vacherie d’alarme s’était encore déclenchée. Un Tutt ! Tutt ! bien désagréable, bien stressant. Ils ne pouvaient donc pas l’arrêter ? L’animatrice Urgences vint me voir. Elle farfouilla la pince sur mon doigt. Son truc à la main, elle examina mon oreille droite. Cela faisait bien trois fois qu’elle inspectait mon oreille droite, que mon oreille droite… Celle que j’entends le moins. Sûr, il y avait quelque chose qui clochait dans cette oreille. Tutt ! Tutt ! Ça recommençait. La machine à penser s’activa. Mon oreille droite… Tutt ! Tutt ! Cette alarme. Ça coulait de source… Ce que j’avais cru être une alarme n’était, en fait, que des acouphènes. Des acouphènes dans mon oreille droite, d’où la nécessité de la surveiller.
Tutt ! Tutt ! Et si cette alarme faisait partie d’une animation ? Justement en parlant d’animations, la vaste salle était plutôt calme. Pour un parc d’attractions, c’était triste. A part un pincement à un de mes pieds ou le tripotement de la pince à mon doigt, il n’y avait rien. Du moins pour l’instant. Un pincement au pied, un tripotage de la pince au doigt… En forme, prêt à faire un 100 m ? Je répondis un timide oui qui voulait dire non. C’était l’animateur SAMU, il rajouta : on mettra des haies pour corser l’épreuve. Et l’animateur poursuivit son chemin.
100 m haies ! Je ne m’en sentais pas capable. Enfin, si c’était nécessaire… Hé oui, ce parc d’attractions ressemblait de plus en plus à Fort Boyard. Si ça se trouvait, j’étais même filmé pour une émission genre la caméra invisible… Va savoir ce que ma frangine et mon frangin avaient concocté pour ce cadeau de Noël !

 

Tutt ! Tutt ! Tout en tripotant la pince sur mon doigt, l’animatrice Urgences me demanda si ça allait. Que répondre ? Dire que son collègue SAMU avait vendu la mèche en disant que j’allais participer à l’épreuve du 100 m haies ? Il valait mieux la laisser croire que je n’avais aucune idée sur ce qui m’attendait. Et, pourtant, il y avait une chose qui me turlupinait : pourquoi regardait-elle régulièrement dans mon oreille droite ? Et seulement dans celle-ci.
Innocemment, je lâchai : A part mon oreille droite… Qu’est-ce qu’elle a votre oreille droite ? J’entends du bruit. Du bruit ? s’exclama-t-elle. Quel genre de bruit ? On ne me l’a fait pas, l’animatrice avait pour consigne de ne rien dévoiler, les animations devaient surprendre les participants. Oh, j’avais bien compris que c’était un de ces capteurs, qu’elle et son collègue SAMU m’avaient collés sur tout le corps, qui m’envoyait cette sensation. Quitte à passer pour un imbécile, je prétendis que j’entendais comme une alarme, j’imitais même le Tutt ! Tutt !
Vous l’entendez en ce moment ? Non ! Cela la fit rire comme si elle se moquait de moi. Ce n’est pas dans votre oreille, c’est une vraie alarme. Une vraie alarme ? C’est énervant, ne trouvai-je qu’à répondre. C’est vous qui déclenchez l’alarme, m’accusa-t-elle. Moi ? Je n’ai touché à rien ! Je ne suis pas descendu de mon lit ! Elle prit ma main, enleva la pince du bout de mon doigt. Tutt ! Tutt ! La voilà votre alarme, je l’entends moi aussi. Plus de contact avec mon doigt, plus d’information, la machine alertait. Elle replaça la pince sur mon doigt, aussitôt l’alarme s’arrêta.
Pour le coup, j’étais refait. Je lâchai malgré moi : je vais faire le 100 m haies. Vous avez raison, rigola-t-elle, mais un autre jour. Et elle repartit en riant et en secouant la tête.

 

Tutt ! Tutt ! Aussitôt j’enfonçai la pince dans mon doigt, enfin je veux dire le contraire. J’avais pris le coup et, maintenant, je stoppais net cette alarme stressante. Les animateurs comme leurs chefs étaient taquins. J’étais là, allongé sur mon lit, un drap sur mon corps dénudé. Enfin, pas tout à fait, puisque mes pieds toujours chaussés de mes socquettes dépassaient du drap. Souvent, animateurs ou chefs passaient à proximité et de temps en temps, l’une ou l’autre me pinçait un pied. Au début, je trouvais cette animation drôle. Une fois, deux fois, trois fois… à force, on se lasse. Un nouveau pincement de pied me fit sursauter. Ah ! Vous dormiez ! C’était le chef SAMU. Je me relaxais ! protestai-je. Pas grave, le principal c’est que vous soyez toujours avec nous. Quelle réponse à la con, où voulait-il que je me barre avec tous ces tuyaux et fils qui me reliaient à leur machine ? Satisfait de sa blague, il repartit en scandant : Pas de homard ! Du canard !

 
 

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Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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