Une formidable tante

(La tante Agathe)

 
 
 

Du côté maternel, la tante Agathe était la tante de notre pépère. Donc, la grand-tante de notre maman. Donc, notre arrière grand-tante. Elle habitait au rez-de-chaussée de notre maison. Plutôt, c’est nous qui habitions le premier étage de sa maison. La tante prétendait être née ici et n’avoir jamais quitté la maison familiale. Ce n’était pas tout à fait vrai puisque entre novembre 1940 et août 1945, lors de l’épuration ethnique de la Moselle romane, elle était partie en exil. D’abord en Dordogne, puis à la suite de son neveu, notre pépère, à Albi. Et puis, lorsqu’elle était jeune, elle montait à Nancy où elle travaillait chez son frère aîné.
Lorsque nous avions emménagé, je filais sur mes cinq mois, ma sœur sur ses trois ans, nos parents sur leurs 26. Quand à la tante, elle venait de fêter ses 85 ans le 6 février passé (1952). De fait, nous avions toujours connu la tante Agathe bien âgée. Difficile d’imaginer, qu’il y a très longtemps, elle avait été aussi petite que nous.
Ni maigre, ni grosse, elle était de petite taille comme notre maman. Cheveux gris mi-longs, coupés à la Jeanne d’Arc disait notre maman, la coiffeuse venait à domicile régulièrement. Toujours habillée de noir, longue robe, gilet, couverture sur les genoux lorsqu’il faisait froid. Elle ne se maquillait pas parce que « Ce n’est plus de mon âge. J’mets même p’us de sent-bon ».

 

Qui avait construit cette maison ? Je ne saurais le dire. Etait-ce nos arrières arrières grands-parents ? Je sais que le père de la tante Agathe, le François Hyacinthe, et ses frères œuvraient dans la maçonnerie. Toujours est-il que la Nanzigerstrasse, notre rue, fut organisée dans les années 1890. Bien après la naissance de la tante. Une maison sans style particulier, bien semblable à ses voisines. A l’entrée, le gratte-pieds, une petite lamelle en fer qui permettait le décrottage des chaussures. La maison avait été relativement épargnée par les bombardements de novembre 1944. Seules quelques fissures (notamment celle dans notre chambre) en portaient les stigmates. Relativement grande, sa pièce qui servait de salle à manger, de cuisine et de chambre donnait sur la rue. Un large lit, une belle armoire, une petite table accompagnée par trois chaises. Les meubles venaient des Higelin, le Jules et la Marie, des petits-cousins nazis qui s’étaient carapétés à l’arrivée des Américains. « Ils m’ont volé ma maison en 40, je peux bien profiter de leurs beaux meubles » rigolait la tante. Le fourneau faisait parti de cette prise de guerre. Un beau fourneau cylindrique avec de jolies décorations.
Mis à part le mobilier, on ne pouvait pas dire que le logement fut agréable. Le parquet était vermoulu (comme le nôtre) et les papiers peints étaient passés par les années, presque usés et déchirés par endroits. Notre papa avait proposé de retapisser la pièce, mais « C’est très bien comme c’est ! Vous avez autre chose à faire, Milou ».

 

De son lit à la petite table. De la petite table à la fenêtre. Il y a belle lurette que la tante n’avait pas franchit sa porte. Ne serait-ce que pour parcourir ce long et sombre couloir qui traversait la maison. Un couloir bien long, bien sombre (voir la peur de notre maman lorsqu’elle rentre de la veillée de sa grand-mère Maria). La première porte s’ouvrait sur sa chambre. Peu après s’élevait l’escalier qui accédait à notre logement. La deuxième porte s’ouvrait… comment pourrais-je dire ? Bof, disons la cuisine d’été puisque c'est ainsi qu'on la nommait. En face, à l’autre extrémité du couloir, la porte accédait à la cour. Un hangar occupait la majeure partie de la cour. C’est dans celui-ci que notre papa avait installé ses clapiers à lapins et son poulailler. Le long du hangar, il avait aménagé quelques mètres carrés de jardin. Au fond de la cour se trouvait la baraque-chiottes. C’est depuis la cour qu’on accédait au grenier de la maison grâce à une échelle. Une poulie permettait de monter ou de descendre les ballots de fourrages pour les bêtes. Et la cour était notre lieu de festins lors des beaux jours, mais la tante préférait rester dans sa pièce.
La tante n’allait plus dans la cour depuis bien longtemps. D’ailleurs, elle n’allait même plus s’asseoir sur une chaise devant sa maison comme elle le faisait autrefois. Pourtant, notre maman lui avait plusieurs fois proposé de l’aider à se déplacer jusque là. En vain. C’est que la tante n’avait plus ses jambes de vingt ans. Une fois, notre papa l’avait invitée à venir passer la Noël. La tante avait répondu en riant : « Vous seriez obligé de me porter sur votre dos ». De toutes façons, Noël ou pas, la tante se couchait tôt.
C’était notre maman qui, au petit matin descendait son café, préparait ses repas, faisait sa vaisselle et ses courses, vidait son seau hygiénique (il n’y avait pas de toilettes dans la maison) et rechargeait son fourneau. Sauf lorsqu’elle l’oubliait, alors notre papa s’en chargeait le soir. Quant à son ménage, la Catinète y œuvrait deux fois par semaine. La perte d’autonomie était sa frustration majeure. Elle n’aimait pas importuner les autres, mais elle n’avait guère le choix. Pourtant, la tante était gaie, souvent drôle et avait de l’humour. Se moquer du Fanfan, notre sergent de ville, était un de ses jeux favoris.

 

A peine son petit déjeuner avalé, la tante s’installait à la fenêtre et jouissait de l’animation de la rue. Sa première attraction était le passage du facteur. Elle n’avait qu’à ouvrir sa fenêtre, à récupérer le courrier et/ou à discuter. De même lors du passage de madame Zeitung, la porteuse de journaux. Bref, la tante passait la majorité de son existence à sa fenêtre, une pratique courante chez les personnes âgées. De toute façon, elle n’avait rien d’autres à faire. . Faut bien le dire, notre rue était plutôt calme. Les automobiles étaient peu nombreuses. Pourtant, nous étions situés sur l’axe qui reliait Nancy à l’Allemagne en passant par Sarreguemines.
Comme nous n’étions pas très loin de la sortie de la ville, les passants ne se bousculaient pas. Quelques personnes montaient pour se rendre qui dans leur jardin, qui dans leur verger, là-haut aux Rouges-Terres et aux Blancs-Rayeux. Celles et ceux, qui comme la Mélie, montaient à la Suisse rendre visite à leurs morts, faisaient une halte bavarde. Notre rue n’était pas commerçante pour un sou. Il y avait bien le photographe un peu plus bas vis-à-vis, c’était tout. Tiens le photographe en question était un copain de notre maman. Il était photographe d’art et œuvrait à Nancy où il tenait un studio. Mais, chez nous, il n’ouvrait que les samedis où il immortalisait les grands événements tels les mariages et, deux dimanches par an, pour les communions.
En résumé, notre rue était paisible sauf lorsque les troupes de l’OTAN, surtout des Américains, la traversaient à grand fracas avec des convois interminables.

 

Lorsque notre maman allait faire ses courses ou lorsque nos parents s’absentaient, la tante Agathe nous gardait. Elle tirait les chaises vers la fenêtre. Elle s’installait sur l’une, moi sur ses genoux, tandis que ma sœur et le Fofo grimpaient sur les autres chaises. Ainsi nous profitions de la rare animation de la rue. Selon la température extérieure, la fenêtre était ouverte ou pas.
La tante aimait bien nous garder. Cela lui faisait une distraction. Nous aimions bien sa compagnie. Elle aussi rigolait de nos rêves et de nos quêtes. Elle ne croyait ni au Sotré, ni à la Bianche-tête, et encore moins au Grilou. Pourtant, le Sotré mettait le feu dans la poêle où grillait un steak (Dès lors, notre maman prépara ses repas). Elle essayait de compléter notre savoir en la matière, voire rectifiait nos erreurs. Elle était plutôt réaliste : un cheval avec un plumet n’est pas une licorne ; le truc qui chmèkait, pardon qui fiârait était un encensoir ; la Gling’-gling’, la clochette ; etc. Mais, elle finissait toujours par entrer dans notre jeu.
A chaque fois, elle demandait à notre maman de ramener des bonbons qu’elle distribuait au Fofo (toujours le premier servi), à ma sœur et à moi.

 

Vu son état physique, la tante n’allait plus à l’église. Sans être une fervente catholique, le bon’ôme en robe venait lui ramoner l’âme tous les trois mois. La confesser si tu préfères. Faut bien le dire, elle ne craignait pas Dieu : « Il a bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper de ma carcasse » disait-elle en riant.
La tante ne jalousait pas les hauts-bonnets, ces grippe-sous qui en voulaient toujours plus et qui craignaient qu’on ne les vole. Ce qu’elle possédait lui permettait largement de vivre. C’est-à-dire, la maison que lui avait laissée ses parents, les maisons et terrains de ses frères sans descendance. Elle louait les terres, cela lui suffisait. Lorsque sa goyotte maigrissait par trop, elle vendait une terre ou une maison.
La tante n’avait pas spécialement d’idées politiques. L’un ou l’autre, c’était du pareil au même. Du moment qu’il n’y avait pas de grand chamboulement, cela lui convenait. Quant aux élections : avant les femmes n’y avaient pas droit, alors aujourd’hui, « ils » pouvaient se passer d’elle. Ce qui ne l’empêcha pas de se passionner pour la grève de notre papa. Et même de l’encourager.
Elle vouvoyait tout le monde et tout le monde la vouvoyait, sauf notre pépère, nos cousines et cousins, nous et… la Mélie. Chacune et chacun ou presque, lui donnait de la « Demoiselle Agathe ». Bien sûr, au sein de la famille, elle était la « tante Agathe ».

 
 
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Date de dernière mise à jour : 11/09/2024

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