Bizarre ! Bizarre !

Ardennes (Les vacances)

Nous nous retrouvâmes dans une rue que nous ne connaissions pas. Des gens habillés bizarrement. Des automobiles aussi bizarres. Sur le pignon d’une maison, il y avait des choses écrites.
- Alors, les Mioches, vous êtes perdus ?
Le monsieur devait avoir l’âge de notre pépère. Enfin… Sûr, il était bien plus âgé que notre papa. Et il avait un de ces accents. On voyait bien qu’il n’était pas de chez nous. C’t’homme-là, il devait être de l’Intérieur. Nous avions réussi notre coup, nous étions partis de chez nous. Ne restait plus qu’à trouver la mer.
- Alors, les Mioches, vous êtes perdus ? répéta le monsieur.
- T’es qui, toi ? (l’apostropha ma sœur) Comment t’appelles ?
- Charles. Je suis un de vos lecteurs…
- Un lecteur ?
- Oui, je lis la fiawe « Notre Sotré » tous les jours.
Ma sœur fit une méchante grimace :
- Alôre, t’vâs nous renvoyer dans la fiawe ?
Au lieu de répondre, Charles se mit à rire. Franchement, un rire bien bizarre. Un rire un peu effrayant, comme celui d’un ogre. Ma sœur le laissa se calmer, puis l’interrogea :
- C’est quoi marqué, là, sur le mur ?
- Tu ne sais pas lire ?
- Ben non, j’suis trop piate. Alors, c’est quoi ? (reprit-elle en haussant le ton).
Charles fit la lecture…

 

Cette fresque a été réalisée à l’initiative de la municipalité de Charleville-Mézières pour créer le parcours du poète « Arthur Rimbaud » (né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille).

Lire
Fresques Murales
- Commentaire composé
(Voyelles, Arthur Rimbaud : analyse)

 

Photo Schlauder 
10 septembre 2021

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

 

- C’est toi qu’a écris ça ? (demandai-je).
- C’est un grand monsieur qui l’a écris (fit Charles sur un ton solennel).
Il se mit à rire. Encore ce même rire qui était presque effrayant. Nous commencions à nous demander s’il se moquait de nous ou pas.
- Un grand monsieur qu’a écrit ? Un géant, alôre ?
- Arthur Rimbaud (fit Elisabeth, une dame qui traînait ses oreilles vers nous) Oui, c’était un géant, mais il est mort jeune. Avant il était souple et a eu le temps d’écrire.
- Excusez-moi les Mioches, mais moi, les sonnets inscrits sur le mur m’ont sonnée (intervint une autre dame prénommée Hannah).
- Ah, l’Arthur... génie de Charlestown... (s’emballa Charles) comme moi, pas pour le génie mais pour la ville de Gonzague.
- Chausser ses douze pieds pour comprendre Arthur Rimbaud (rajouta sa voisine prénommée Aïcha) Tirer au sors une voyelle et décrire son ressenti du moment. Arthur Rimbaud l’ardennais, tourmenté, cherche sa place... Charles a la clef...

 

- Comprends rien à ce qu’ils racontent. Viens le Dabo, on se tire.
Nous n’avions pas fait vingt pas que Charles nous rattrapa :
- Je vous emmène au musée.
- Non ! (refusa tout net ma sœur) Emmène-nous à la mer.
Charles essaya d’argumenter. On en apprendrait plus sur la vie et l’œuvre de Rimbaud. Etc. Etc. Et il y avait le fameux Parcours Rimbaud. Tout en découvrant Charleville, on connaîtrait mieux ce poète…
- On s’en fout de ton Rimbaud. Charleville qu’çà s’appelle ici ? (Charles acquiesça d’un hochement de tête) Y’a la mer ? (Charles fronça les sourcils) Nous, on va à la mer !
Sans répondre, Charles nous entraîna… Vers la mer ?

 

 


Musée Arthur Rimbaud
Photo Schlauder
10 septembre 2021

 

 

La rue était bordée de magasins bizarres, C’était comme si nous faisions un rêve tout éveillés. Ma sœur se fit klaxonner parce qu’elle se pavanait sur la chaussée. Un peu plus et elle se faisait écrabouiller. Sur un ton fort agressif, le conducteur cria par sa fenêtre ouverte :
- Tu peux pas faire attention à ta fille !
- Suis pas sa fille espèce de kègne ! (répliqua ma sœur en lui tirant la langue).
Et il y en avait des voitures et des voitures. Bien plus que dans notre rue. Et du monde sur les trottoirs, bien plus que par chez nous. Et certains piétons :
- C’est le Carnaval ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Bâ, i’en a qu’ont des trucs sur la bouche et sur le nez. Comme les masques du Carnaval (rigolai-je).

 

Quatre personnes conversaient sur le bord du trottoir :
- Un Car Naval, ça passe pas par la rue, mais y vogue en mer (fit l’homme prénommé Mohamed).
- Les gens portent des masques pour jouer à cache-cache avec un méchant virus (expliqua Sarah) C’est comme au bal masqué.
- Un carnaval est une distraction joyeuse. Charles ne veut-il pas partager sa vision : une des toiles du Maître Pablo Picasso ''Guernica'' ? (rajouta sa voisine Aïcha).
Pour toutes réponses, ma sœur leva les yeux au ciel.
- Les gens portent des masques pour se protéger, à cause d’une maladie qui s’appelle Covid-19. Elle est très contagieuse. Elle se transmet par les voies respiratoires, comme la grippe en bien plus grave. Il y a beaucoup de gens qui en sont morts (expliqua Hannah, la quatrième larron).
- Comme la poliomyélite ou la tuberculose ? (Personne ne me répondit comme si je devais connaître leur Covid-19…) Mais, nous, on a pas de masque.
Là encore, personne ne répondit. Tiens, c’était comme si je parlais à cette Spatz juchée sur le poteau.

 

Schpatz ou Moinette (Picardie) photo Schlauder (mai 2014)

D’un coup, sans crier gare, voici qu’une musique retentit, presque à nos oreilles. Charles sortit de sa poche une sorte de plaquette, la colla à son oreille et se mit à déblatérer « J’attendais ton coup de fil… ».
- R’grde Mikète. Charles, il cause à son truc (me boyautai-je).
- L’a dû prendre un coup sur la tête (rigola ma sœur) Te causes à ton truc ?
- Chut…
Et Charles continua de discuter comme si une connaissance était juste en face de lui. Et il ponctuait son discours en agitant sa main libre. C’était bien simple, nous étions tombés sur un haltata. Arriva le moment où il lâcha : « Bonne journée. A demain à La Brasserie Ducale, 14 heures… ». Il enfourna sa drôle de plaquette dans sa poche et continua comme si de rien n’était.
- Te causes à ton truc ? (réitéra ma sœur sur un ton comique).
Nous nous mîmes à mimer Charles aves sa plaquette à l’oreille. On en riait aux larmes.
- Il y a fort longtemps (lâcha Elisabeth plutôt amusée par notre réaction) je pensais que plein de gens étaient devenus un peu zinzins car en les croisant je me rendais compte qu’ils parlaient tout seul dans la rue. A force de les regarder j’ai fait comme eux...
- It was a small ipad (intervint Nina).
Voyant notre tête ahurie :
- C’était un petit ipad (traduit Charles. Puis il rectifia) Nina, a modest Samsung...
- Bâ, c’est quoi un aïe-pade ? (interrogeâmes) Aïe-pade ? Aïe-pade ? Sam’-soung’ ? Sam’-soung’ ?
- C’est comme votre tam-tam ou vos ronds de fumée.... (claqua Charles).
Pour toutes réponses, nous lui fîmes un pied de nez.
- Charles, il te manque l’oreillette (badina Hannah).
- Oreillette ? Oreillette ? Charles a de petites oreilles ? (me moquai-je).
- Charles parlait sur son portable (expliqua Hannah) Une espèce d’engin qui a l’autonomie du téléphone fixe de la maison. Et s’il portait une oreillette, c’est encore plus loufoque. En parlant seul, il risque de passer pour un fou. C’est pas du tout marrant de voir une personne seule en train de parler dans le vent.

 

A ce stade de la fiawe, je dois m’arrêter. J’ai déjà entendu parler comme quoi certains personnages échappaient à leurs auteurs et suivaient leur histoire sans s’en préoccuper. Jusqu’à aujourd’hui, j’étais persuadé que cela se passait dans la tête de l’auteur. Eh bien, pas du tout, je viens d’en faire les frais. Un de mes personnages principaux, non seulement se rebelle, mais me menace. Juges-en par toi-même :
«
Pour l’instant, Charles attend... l’occasion de remettre tous ces guignols ricaneurs à leur place. Quant au maraud qui sert de chef à cette cour des miracles ambulante, qu’il sache que l’heure du châtiment va sonner très vite à ses grandes oreilles ! Il saura ce qu’il en coûte de déranger un dérangé, non mais ! ».
Je le dis tout net : je ne céderai à aucune menace… Pourtant, je vais être obligé de négocier. Car aujourd’hui, Charles a refusé d’avancer dans le cours de ma fiawe…

 
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Bizarre ! Bizarre !
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Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus :
Voir le Dictionnaire des Mioches

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 21/10/2023

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