Ça balance

Ardennes (Les vacances)

Revenu à de meilleurs sentiments, Charles n’affichait plus son air bougon. Il ressortit son téléphone de sa poche et nous fit défiler tout son répertoire.
- Ça t’sers à quoi ?
- Lorsque je veux appeler quelqu’un, j’appuie ici (ce qu’il fit. Il mit le haut-parleur, une sonnerie étouffée vibra, quelqu’un parla. Tout simplement magique !) Excuse-moi, je me suis trompé de numéro (mentit-il à son correspondant).
- Oh (nous ébahîmes-nous. Et, dans un parfait ensemble) Téléphone à not’ môman.
- Votre maman, elle est dans les années 1950. Là, nous sommes en 2021.
- Ah ! (réagit ma sœur) J’me rappelais p’us.

 

La rue débouchait sur une grande avenue.
- La mer, c’est là ?
- Vous la verrez bientôt…
Charles nous avait écoutés. Ce n’était pas trop tôt. Bien simple, pour voir la mer, il suffisait de traverser cette avenue. En vérité, l’opération s’avérait bien délicate. Il y avait plein de voitures qui filaient sur la chaussée. Ça n’arrêtait pas. Pire que des colonnes de fourmis. Et dans un sens, comme dans l’autre. Et sur deux voies dans chaque sens. Nous écarquillions les yeux en nous demandant comment nous allions bien pouvoir passer de l’autre côté. Charles nous jeta une œillade amusée, s’esclaffa et, sans piper mot, appuya sur le bouton rouge d’un poteau. Fantastique ! Un bref instant, toutes les voitures s’arrêtèrent.
- T’es magicien !
La rue traversée, un parterre de pelouse franchit… Ça ! Ça ne ressemblait pas à la mer, mais plutôt à « la Meuse et l’Ile du Vieux Moulin » précisa Charles.

Bref, de mer, il n’y en avait point. C’est ce que fit remarquer ma sœur en se fâchant presque :
- Elle est ousque la mer ?
- Tu suis la Meuse et tu y arrives.
Encore des bobards ! Notre mémère avait bien raison quand elle disait : « Il ne faut pas faire confiance aux gens de l’Intérieur. Ils nous racontent des bobards et, après, ils nous laissent kimpés ». Elle faisait, bien sûr, allusion aux deux fois où les Français nous avaient vendus aux Allemands. Evidemment, Charles n’allait pas nous vendre aux Allemands, mais il nous menait en bateau en nous laissant croire que nous allions voir la mer.
Nous retraversâmes l’avenue. Sauf que cette fois, ma sœur se précipita pour appuyer sur le bouton rouge du poteau. « Moi aussi, j’suis magicienne ! ». C’est qu’elle avait repéré la manœuvre. Pas folle la guêpe !
Nous remontâmes vers le centre par une rue différente. Aux oubliettes, la mer ? Pas si sûr…

 

L'église Saint-Rémi (construite vers 1860)

Aux 3 Balais  (Rue du Petit-Bois)

- T’vâs à la messe ? (demanda ma sœur à la hauteur d’une église).
Vu la moue que Charles afficha, on en déduisit que ce n’était pas sa tasse de thé. S’il ne répondit pas à ma sœur, c’était tout simplement parce qu’il ne voulait pas la froisser.
- Moi, j’vâs quand i’a une fête. Comme la Pâques (pavoisa-t-elle).
- Moi (me distançai-je) j’âs allé une fois. Mais, comme je parlais tout le temps, la môman, elle a dit : « C’est la première et dernière fois qu’on l’emmène. Tout le monde nous regardait ».
- Te fais des discours des fois ? Déjà monter là ?
Charles regarda ma sœur en fronçant les sourcils au point d’en rider son front. Il se demandait où elle voulait en venir. Nous lui racontâmes certaines de nos discussions avec le Heurlin. Lui ne prenait pas de gants pour vilipender les curés et leur religion.
- « A coups de balai qu’on les chassera, les bons’ômes en robe ! » (cria ma sœur) I dit ça le Heurlin (elle désigna la chaire) Le Heurlin quand il ira à l’église, ce s’ra pour monter là.
- Pour quoi faire ?
- Comme le bon’ôme en robe, pardi ! Mais, lui, il causera de la Révolution. C’est ce qu’i a dit. La Révolution ! (Son cri résonna dans toute l’église. Le peu de monde qui visitait l’édifice la regarda effaré) Te vois, ça résonne bien (Elle mit les mains sur ses hanches, afficha une moue qui se voulait convaincante) C’est bien pour faire un discours, nème ?
Charles regarda la chaire avec intérêt, je dirais même avec un nouvel intérêt. Sans doute s’imaginait-il monter l’escalier, prendre appui sur la rambarde et haranguer la foule. Mais, voilà, ce n’était pas la Révolution, l’église et sa chaire restaient la chasse gardée des curés.

Nous avions reprit notre ballade.
- C’est quoi qu’a là-haut ?
- Là-haut ? Là-haut ? (répéta Charles en cherchant au ciel quelque chose de remarquable).
- Bâ, là ! T’es beûlou ?
- Beûlou ?
- Te comprends rien ! Beûlou, c’est quand on voit pas. T’es miro, quoi ! R’garde là-haut ! Au bout de la rue.
- C’est le musée de la marionnette de Charleville...
Nous n’étions plus qu’à une trentaine de mètres lorsque le rideau rouge se ferma.
- Pourquoi z’ont fermé ! (protesta ma sœur. La quelque quinzaine de personnes assemblées commençait à se disperser) Y’avait quoi ?
Une dame qui venait de voir le spectacle nous expliqua qu’il s’agissait d’un automate, un géant aux doigts agiles. Il contait, des épisodes de la légende des quatre fils Aymon qui entrèrent en rébellion contre l’Empereur Charlemagne. Le géant s’animait toutes les heures…
- Une heure ! (s’exclama ma sœur. S’adressant à Charles) C’est longtemps, nème ?
- On va faire un tour et on reviendra après.

 

Nous arrivâmes sur une grande place.
- Oh, c’est beau ! Nème Charles, c’est beau ?
Des stands tout pimpants abritaient des marchands. Un peu comme notre marché, mais bien plus beau. Et, ici, nous ne connaissions personne. Si bien que nous croisions beaucoup de gens sans même les saluer, sans même discuter. C’est vrai, il en était ainsi depuis notre arrivée.
- Y’a que des trucs de bouffe sur ton marché. Pas de camelot, pas de vêtement, pas de chaussure…
- C’est un marché du terroir (l’arrêta Charles) Chaque deuxième vendredi du mois jusqu’en novembre. Il n’y a que des produits de la région. Des produits bio ou presque.
- Ils sont bien biaux (l’approuvai-je en respectant son accent).
Charles sourit, sans doute n’avait-il pas envie de nous expliquer ce qu’étaient les légumes, jus de fruit, confiture, etc. produits sans engrais chimique. Sur un étal, il y avait plein de verrines, sur un autre des bouteilles. Il y avait même un sanglier, un faux nème !, installé sur l’étal d’un boucher. Plein les yeux, plein les narines.

 
 
 

Ma sœur se planta devant un étal de fruits et de légumes. De la secousse, Charles et moi restions à quelque distance. Ma sœur suivait attentivement les moindres faits et gestes du marchand qui, après avoir servi une cliente, fini par :
- Tu veux une pomme ?
Elles étaient bien rouges, bien appétissantes.
- J’veux bien. Et pis une pour mon frère. Et pis une pour Charles.
Le marchand fit la moue. C’est à ce moment-là que Charles s’avança :
- Je vais vous acheter un kilo.
- Comment te fais pour faire un kilo ?
- Sur ma balance…
- T’as pas de balance (rigola ma sœur).
Et elle expliqua, de long en large, ce qu’était une balance. Du moins, une balance moderne. Avec une grande aiguille, rouge et noir, qui filait sur le cadran au fur et à mesure qu’on ajoutait des pommes sur l’un des plateaux. Pour peser plus d’un kilo, il suffisait de placer un poids sur l’autre plateau. Le marchand l’écoutait avec intérêt tout en souriant. C’était un jeune gringalet d’une trentaine d’années. Pour sûr, il était bien trop novice dans le métier pour savoir ce qu’était une balance moderne.

 

- Viens par là… Ma balance est encore plus moderne.
Ma sœur fit le tour de l’étal. C’était comment dire, une sorte de plaque. Elle comprit tout de suite que le marchand la badinait. Il y avait bien ces petits cadrans où s’affichaient de drôles de choses.
- Tu vois 0000. Ça fait zéro kilo (fit le marchand en réajustant son masque anti-Covid sur sa bouche et son nez).
Ma sœur fit une moue dubitative. Le marchand plaça une pimpante cuvette argentée sur la sorte de plaque. Les petits cadrans s’animèrent…
- Tu vois, ma cuvette fait 150g.
- Y’a pas d’pommes. Ça sert à rien ! (fit ma sœur en haussant les épaules).
Le marchand appuya sur un bouton et magie :
- 000 (fit ma sœur, tout en croquant sa pomme).
- Tu as bien retenue la leçon. Maintenant je vais mettre les pommes.
- Elle est bien bonne ta pomme. Bien plusse que chez nous.
- Elles viennent du verger de Jean-Michel, c’est mon père. Ce sont des pommes bio.
- Oui (fit ma sœur d’un air suffisant comme si elle savait ce que veut dire « bio »).

 

Le marchand plaça une pomme dans la cuvette argentée, un petit cadran frétilla. Et le marchand ajouta une pomme, le petit cadran s’anima. Et encore une pomme, le cadran s’agita. Et encore une pomme…
- C’est comme l’aiguille de la balance (constata ma sœur d’un air entendu) Ça bouge quand on met les pommes. Comment tu fais pour faire plusse d’un kilo ? Ousque t’mets le poids ?
- Regarde : 1.075, ça fait plus d’un kilo. Avec ma balance pas besoin de mettre un poids.
Ma sœur lâcha une rafale de « C’est bien… » tout en regardant partout sur l’étal. Elle finit par demander :
- Ousqu’il est ton cahier pour faire l’addition ?
Le marchand s’esclaffa tout en appuyant sur un autre bouton. Un petit bruit, un petit papier sortit de la balance. Voilà, c’était la balance qui faisait l’addition. C’était pour cette raison que le marchand n’avait pas de crayon coincé sur son oreille et qu’il n’avait pas de cahier.
- C’est compliqué ta balance, mais c’est rudement bien (admira ma sœur).
Ma sœur dégustait toujours sa pomme. Ah, la bougre, elle savait faire durer le plaisir.
- C’est cadeau ? (fit-elle sur un ton finaud lorsque le marchand distribua deux pommes supplémentaires, une pour Charles, une pour moi).
- Pour que tu reviennes le mois prochain (plaisanta le marchand).

 

Autrefois, la pesée des légumes se faisait bien autrement. Voir

la balance
de chez nous

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Bizarre ! Bizarre !
Ça balance
Multifonction
Carte Bleue
Le Verso

Photos Schlauder, septembre 2021

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus :
Voir le Dictionnaire des Mioches

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 21/10/2023

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