Panne sèche ?

La croisière diabolique (Ardennes)

Le lendemain, Charles retrouva les Mioches à l’hôtel. Il les emmena dans une cafeteria toute proche où ils se goinfrèrent de croissants, de schnecks et de pain au chocolat. Charles déclara sans préambule qu’il les renvoyait chez eux, dans la Légende des Mioches afin de poursuivre leur histoire, la fiawe « Not’ Sotré ». Les Mioches ne l’entendirent pas de cette oreille :
- Tu nous as promis de nous emmener à la mer !
- Ce n’était pas vraiment une promesse. Votre auteur vous réclame à corps et à cris (Charles sortit son téléphone, le tapota et leur montra l’écran) Regardez…
La Mikète haussa les épaules et rigola :
- On sait pas lire.
Charles argumenta et argumenta, prenant par moment une grosse voix pour imposer son point de vue : les Mioches devaient retourner dans la fiawe « Not’ Sotré ». Il n’y avait pas d’autre alternative. Les Mioches fulminaient, grognaient, vociféraient. Sans crier gare, la Mikète lança le chausson aux pommes qu’elle venait d’entamer. La viennoiserie s’éclata sur le front de Charles. Dégoulinant, la compote de pommes lui fit cligner des yeux. Aussi rageusement, le Dabo imita sa sœur. La tasse de café de Charles vacilla, se renversa. Le café coula sur la table et finit par goutter sur le pantalon de Charles. Il bougonnait, vociférait, menaçait de les ligoter et de les jeter au fond d’un camion qui les ramènerait chez eux. La Mikète saisit un schneck, leva le bras, ajusta son tir en visant cette fois le nez. Un petit effort… Son bras fut stoppé net. Telle une tenaille, une main paralysait son mouvement.
- Hé ! Hé ! Ce n’est pas un chamboule tout ici !
Alerté par les cris, le serveur s’était précipité pour venir à la rescousse de Charles.
- Lâche-moi, toi !
- Si tu me promets de manger ton gâteau au lieu de le jeter…
- Manre kègne ! (pesta la Mikète).
- Ils auront ma peau (gémit Charles).

 

Finalement, Charles négocia un armistice. Rassuré, le serveur retourna à son service après avoir apporté un nouveau café et des serviettes en papier afin que Charles se nettoie le visage. Il croyait en avoir fini. Pas du tout ! La Mikète l’apostropha d’un air hautin :
- Is sont pas bons tes chnècks ! Et pis sont tout petits !
- Mes chnèques ? Mes chnèques ? C’est quoi ça ?
La Mikète désigna le seul schneck qui restait dans la corbeille. Le serveur s’esclaffa :
- C’est un pain aux raisins. Il est très bon, il vient de la boulangerie d’à côté.
- C’est d’la queutze ! Chez nous, sont plus gros et plein de crème. Et les raisins de caisse sont meilleurs !
Le serveur repartit en haussant les épaules. Charles reprit son téléphone et tapota longuement son écran. Il levait les yeux au plafond lorsqu’il cherchait le mot le plus précis. De temps en temps, il essuyait sur son visage un reste imaginaire de compote. Il reposa son téléphone et tambourina sur la table à en énerver ses jeunes voisins. La Mikète souffla longuement pour lui signifier que cela avait assez durée.

 

Une petite sonnerie annonça l’arrivée de la réponse. Après lecture :
- Votre auteur vous accorde un jour de plus. Mais, après, vous rentrez !
- On va à la mer ! (s’écrièrent ensembles les Mioches).
Après s’être gratté l’arrière de la tête en faisant des mimiques nerveuses, Charles proposa :
- Je vais emprunter une barque à un copain. Nous ferons une ballade sur la Meuse.
- Elle va à la mer ta Meûse ?
Charles accentua ses grimaces. Il trouva la solution :
- La Meuse se jette dans la mer.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Charles les emmena à l’embarcadère. Un homme un peu plus âgé les accueillit chaleureusement.
- Ah ! Les Mioches. Ça gètse ? Alôre, voulez pas retourner dans vot’ fiawe « Not’ Sotré » ? (la Mikète bougonna, mais ne répondit pas) Charles va vous emmener voir le château de Montessor.
- C’est quoi ça ?
- La Légende des "Quatre Fils Aymon", la légende des Marionnettes (précisa Charles) Un château sur une hauteur.
- Comme au théâtre des Marionnettes ? On va voir le Géant ?
- Moult mieux ! (s’esclaffa Didier).
- Super ! (s’écrièrent les Mioches).
- Ça vous branche, ça (railla Charles).

 

L’homme sortit une bouteille de derrière les fagots et servit deux schloucks. Il trempa deux sucres dans son verre et les tendit.
- Didier ! Ce sont des enfants (protesta Charles).
- Bâ, cheûz nous, ç’ot la coutume ! Ça va leur donner des forces pour la croisière (rigola-t-il).
C’était de la mirabelle aussi bonne que celle de leur pépère. Charles et le Didier trinquèrent.
- Elle est forte ! (grimaça Charles).
- C’est de la vraie de vraye. Elle vient d’chez moi.
Ils en étaient à leur deuxième verre lorsqu’un superbe bateau à deux étages, « Le Pays de Liège », passa. Il descendait la Meuse et retournait dans sa ville d’origine. Il croisait une péniche battant pavillon néerlandais.
- Charles vâ pas m’frâler mon bateau, nème ?
- T’inquiètes Didier. J’en prendrai soin. Aussi soin que la prunelle de mes yeux.
Didier parlait de son bateau comme si c’était un yacht. En fait, ce n’était qu’une grande barque avec un moteur.
- J’â fait le plein ce matin.
Et Charles grimpa dans la barque et invita les Mioches à s’installer sur la planche du milieu, celle que Didier nommait : le banc des dignitaires. Tandis que Charles prenait place à l’arrière. De là, il conduirait. Cette opération était simple, il suffisait de tenir le manche. A l’extrémité, une poignée permettait d’accélérer ou de ralentir. Pour tourner, il suffisait de mettre le manche d’un côté ou de l’autre, moteur et gouvernail suivaient le mouvement, et la barque virait de bord.

 

Fier comme Artaban, Charles lança le moteur. Didier, lui, restait à quai. Quelle bonne sensation que de glisser ainsi sur l’eau. La Meuse s’infiltrait dans les Ardennes par des méandres. Et ces pentes boisées qui dégoulinaient vers le fleuve. Autant dire que Charles leur offrait un beau voyage. « Le Pays de Liège » était en vue. Ses gros moteurs traçaient un V boursoufflé. Dès qu’il l’atteignit, le nez de la barque pointa vers le ciel, le Dabo retint son souffle. La barque passa la vague, ça gargouilla dans le ventre, le Dabo lança un « Moôn » angoissé, la Mikète tapait dans ses mains, Charles se gonflait de vanité. Le nez de la barque retomba dans l’eau en provoquant des éclaboussures pour la plus grande joie de la Mikète et de Charles. Tandis que le Dabo braillait : « Vâ s’noyer ! ». Et on recommença. Charles s’amusait à slalomer sur les boursouflures.

 

Ils étaient à peu près au milieu du fleuve, dans le sens de la largeur, lorsque le moteur se mit à toussoter.
- Allez mon vieux (l’encouragea Charles) les Lorrains, ça ne calent pas en cours de route.
Mais le moteur ne l’entendit pas de cette oreille, il s’étouffa. Et les voici à la dérive…
- Il n’a pas fait le plein, ce n’est pas possible (bougonnait Charles) On ne peut pas faire confiance aux Lorrains (lança-t-il en pointant du doigt les Mioches comme s’ils étaient responsables de ce malheur).
Charles ouvrit le bouchon au-dessus du moteur. Ben non, il y avait de l’essence. Il tira une cordelette, le moteur balbutia, mais ne redémarra pas. Il répéta l’opération neuf ou dix fois sans plus de succès. Hou, il était en pétard Charles. Il se leva de son siège, ordonna sèchement : « Allez vers l’avant, sur l’autre banc ! ». Il jura parce qu’ils n’allaient pas assez vite et vint vers eux en grognant. Il n’allait quand même pas les foutre à l’eau !
Comme si elle avait fait cela toute sa vie, la Mikète changea de place. Quant au Dabo, il marchait pas à pas en se tenant au bord de la barque comme s’il s’agissait d’une rampe.
- Tu te grouilles !

 

Charles avait saisi les rames et les tenait prêtes à fendre l’eau. A peine le Dabo atteignit-il le banc que les rames claquèrent dans l’eau. Pour le coup, le Dabo se retrouva assis. Par trop énervé, Charles n’arrivait pas à coordonner ses mouvements, si bien que la barque fit trois tours sur elle-même.
- T’es pas un champion (railla la Mikète).
- Tu vas voir, je vais vous mettre aux rames et vous fouetter comme sur les galères.
Valait mieux ne plus rien dire. Vu son excitation, Charles aurait bien été capable de mettre en œuvre sa menace. Un klaxon rugit. « Le Pays de Liège » les rattrapait et arrivait droit sur eux. Charles s’excitait, les rames claquaient dans l’eau. Le bateau belge klaxonna longuement, esquissant un contournement de la barque. Mais «  Le Pays de Liège » était un trop gros bateau, bien difficile à manœuvrer sur une courte distance. Charles redoublait d’efforts. Son visage était cramoisi et de grosses gouttes coulaient de son front. Tant et si bien que le bateau belge, certes les évita, mais passa à même pas deux mètres d’eux. Les boursoufflures du sillage les secouèrent rudement, affolant, cette fois aussi bien le Dabo que la Mikète et Charles.

 

Sur une idée de Bernard Antoine

 

 

Panne sèche ?
Un bon bain
Rocroi

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus :
Voir le Dictionnaire des Mioches

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 24/10/2023

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