Train d’enfer (4)

La belle jeune fille se tenait bien droite, un léger mouvement des hanches lui faisait agréablement tortiller les fesses. La foule de boubous et de pagnes multicolores l’engloutit. Jean-Paul ne voyait plus que le panier en équilibre sur une tête. Il savait que c’était sa belle jeune fille. Un dernier éclair, il remua la main en signe d’adieu. Mais la belle jeune fille ne se retourna pas. Un choc, le train redémarrait. La gare défilait. Le quai disparaissait. Les cases en bois défilaient…
La belle jeune fille n’était plus qu’un douloureux souvenir. Jean-Paul recréait son image dans sa tête. Il cherchait les détails qui l’avaient marqué… Encore une créature qui hanterait ses rêves durant de longues nuits. Les fantasmes succédaient aux fantasmes…

Jean-Paul ne s’était même pas aperçu que son copain Christian avait quitté son refuge. Assis sur le marchepied, il était en grande discussion avec un jeune.
Jean-Paul ressentit un mal aux fesses. Ces sièges en bois n’étaient, en fin de compte, pas si confortables que ça. Il se leva et invita un jeune, debout dans l’allée depuis un long moment, à prendre sa place. Il s’accrocha à la barre centrale, devant les portières ouvertes. A ses pieds, son copain discourait toujours. Le jeune leva la tête vers Jean-Paul. Il se dit être de Lama-Kara :
- Je vous invite chez moi. J’ai donné mon adresse à votre copain.
Jean-Paul ne lui répondit même pas. Alors le jeune rajouta, sans plus de succès :
- Après votre séjour à Blitta, bien sûr…

Les stations défilaient. Jean-Paul ne s’était même pas aperçu que le couple de vieux était descendu. A sa place, une jeune maman tenait son bébé sur les genoux. Leurs regards se croisèrent. La jeune maman lui adressa un sourire. Elle releva son corsage, sortit son sein et donna la tétée à bébé.
A nouveau, Jean-Paul libéra son imagination… Une main sur l’épaule le fit sursauter.
- Nous arrivons à Blitta, dit Christian.
Huit heures de voyage… épuisant.
La jeune maman vis-à-vis se leva. Elle se courba un peu et, d’un geste vif, elle posa le bébé à cheval sur son dos. Elle entoura le bébé d’un grand foulard qu’elle noua sur son ventre. Seule la tête du bébé dépassait. Un autre foulard, beaucoup plus étroit, passa sous les fesses du bébé et recouvrit la partie basse du premier. Noué sur le ventre de maman, il l'empêcherait de glisser.
Jean-Paul l’aida à prendre sa bassine en émail chargée d’ignames. Enfin, il aurait voulu, car c’est à peine s’il arriva à la décoller du sol. Deux femmes le prièrent de se mettre de côté. Sans laisser apparaître la moindre grimace, elles soulevèrent le fardeau et le placèrent en équilibre sur la tête de la maman déjà sur le quai.

Un gars attrapa Jean-Paul par le bras :
- Un hôtel ?
Il était déjà sur le quai. Christian répondit par l’affirmative. L’homme empoigna le sac qu’il n’avait pas encore mis sur le dos. Jean-Paul suivit machinalement l’homme qui bousculait la foule de boubous et de pagnes multicolores. Une couleur bleu attira son attention….
- Tu grimpes ou tu t’endors ? grogna Christian.
Jean-Paul monta dans le fourgon bleu.

* * * 

Une semaine plus tard, on pouvait lire dans un journal local : « Un Européen s’est fait lyncher par la population d’un village du Nord du Togo. Il avait sauvagement assassiné une jeune fille, puis l’avait violé ». Suivaient les détails horribles de ce geste commis par un fou…?

Le 2 avril 1999
(sur la base d’un texte de 1982)

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Quoi qu’il en soit, je pense que si on ne l’avait pas lynché, il allait être un tueur en série, tout simplement à cause des pensées qui le hantaient sans arrêt. Finalement il a franchit le cap et passé à l'acte. Pour assouvir ses pulsions, il a eu le courage de tuer de sang froid.
Ses penchants et son instinct meurtrier l'ont conduit à sa mort.
Je repense au regard vide d'expression qu’il portait sur la jeune fille. Puis à ses silences pesants, la froideur affective qu' il affichait, ses pensées et visions obscènes dans lesquelles il s'enfermait, la lenteur et le manque d'entrain qu' il montrait devant ceux qui lui marchaient dessus ou le charriaient, bref tout cela était annonciateur de sinistre presage. C'était clair que ce mec était instable.
J'avais compris vers la fin qu'il y avait en lui quelque chose de dérangeant, sans pour autant le nommer. Ça m'a écœuré lorsqu'il n'a pas dit au revoir ni même merci, (au départ) de cette fille qui a été si gentille avec lui. Son regard froid et figé qu’il a braqué dans les yeux de la fille avant qu'Elle ne tourne les talons pour ne plus se retourner, m'avait sidéré et dégoûté.
Mais je dois avouer que j'avais pris cela pour de l'indifférence ou du mépris, voire du rejet...
En fait, je pense qu’il était muet de frustrations et se torturait en ruminant son impuissance à passer à l'acte. Qu''est ce qui a déclenché sa folie ? on ne saura jamais...... Au moins je ne regrette pas de l'avoir traité de goujat et de crève-cœur. Hi hi à savoir s'il avait un cœur...
Encore une fois Bravo Daniel Schlauder. tu as créé le parfait psychopathe.
Et Christian ?
Je me demande quel rôle il a joué dans dès le départ, dans cette histoire ? Connaissait-il vraiment son ami ? Enfin...... C'est suffocant comme histoire.

Sarah Warsama le 22/12/20

Train d'enfer est né et sorti tout droit de l'imagination de son auteur. Le choix du titre qui illustre l'histoire est bien choisi. Dès les premières lignes, on est happé et pris par l'histoire. C'est sur un ton jouant sur les sentiments et le mental, que le rythme prend les rails pour ne plus s'arrêter.
Tout au long des épisodes qui s'enchainent, on va de rebondissements en rebondissements et on se demande ce qui va se passer ou dans quelle direction l'auteur veut nous mener... On est pressé et impatient (voire frustré) de retrouver l'extrait qui sera publié le jour d'après. Le récit est bien monté. J'adore les détails et les descriptions qui animent chaque épisode, pour nous décrire les scènes, l'ambiance, et les personnages bien campés et haut en couleurs. Tous ont un rôle spécifique dans l'histoire. Des bavards, des curieux, des comédiens, des méchants, ils sont différents des uns des autres. À tour de rôle, ils m'ont stimulé, attendri, énervé, ou fait rire.
A chaque halte du train d'autres passagers tout aussi originaux arrivent pour souffler le chaud sur les humeurs ou les sentiments. Il n'y a pas de répit et on ne s'ennuie pas une seconde. Mais dans cette atmosphère un peu brumeuse, on distingue bien les pensées hallucinatoire de Jean-Paul, du reste du flux des paroles (des passagers) et du récit. Jusqu' à la fin le héros subjugue, reste insondable et intrigue. On se prend même d'affection pour lui, jusqu'au...
Jusqu'au dénouement ou l'on découvre, que le Silencieux charmeur a fait tomber son masque, et s'est changé en un tueur impitoyable qui frappe sans la moindre émotion. Et là c'est l'horreur et la consternation, quand on apprend les atrocités qu’il a infligé à sa victime avant de lui ôter la vie. Puis c'est le choc, lorsqu'on apprend que les villageois lui ont ôté la vie, juste après et sur place. Pur hasard ou pas, mais son destin a été expéditif et son karma l'a mené droit dans l'enfer du crime. La mort de cette inconnue, (même si on l'a devine en la personne de la belle jeune fille en bleu) s'ajoute au mystère qui l'a conduit sur les lieux de son forfait. Tourmenté qu'il était par un esprit infecté de fantasmes, je lui souhaite d'avoir eu l'orgasme qu’il recherchait, lors de son lynchage.
Curieux tout de même que l'histoire commence sur ses fantasmes et se termine par une décharge orgasmique. Daniel Schlauder, merci de nous avoir épargné les détails du viol, du lynchage ainsi que celle de la scène de la tuerie, qu’on imagine fort sanglante. Le petit plus c'est, le fait que l'histoire se passe en Afrique. (étant moi-même africaine,) j'ai retrouvé des sensations, des situations et des goûts que j'ai connus. C'est tellement bien décrit qu’on se croirait en voyages dans ce train fou, sans pour autant avoir l'envie d'en descendre. J'ai même demandé des nouvelles de Christian, l'ami qui accompagnait ce prédateur de Jean-Paul, histoire de prolonger le récit. Ce serait le fun de lire la suite...
« Train d'enfer mérite d'être édité ». Daniel Schlauder encore bravo. J'espère que tu écriras d'autres récits de ce genre.

Sarah Warsama


Tu as raison Sarah Warsama. Plusieurs histoires de Daniel Schlauder sont toutes prêtes pour être publiées. Les plus longues feront un trop beau livre. Comme la Sotrée et d'autres. Je crois que Daniel Schlauder n'est pas pressé pour ça.
Hannah Adan

Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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