Purification

(C’est la fête)

 
 
 

Ah ! Not’ Sotré, c’était quand même lui qui m’avait fait venir au monde. Pour comprendre cela, remonte à la mi-janvier 1951, not’ Sotré trouvait que la Mikète était bien seule. Alors, il déposa une petite graine dans le ventre de notre maman. Les jours passèrent. Dire que je désespérais dans cet endroit serait mentir effrontément. Mais, c’est un fait, on ne voit pas grand-chose. En ce mois d’août, il faisait chaud et la Saint-Christophe à Vic approchait. Tout le monde allait faire la fête. Moi, je restais cloîtrer. J’avais déjà raté la Saint-Jean. Ainsi, not’ Sotré m’invita à venir voir ce qu’il se passait dehors. Penses voir, c’était prématuré. Notre bon docteur s’y opposa et m’ordonna de rester en place. Dorénavant, évite de me traiter de résidu de fausse couche. Assurément, je le prendrais mal.
Je sortis normalement un jour de dense brouillard d’automne, vers 15 h, à la maternité. Pour me venger, j’oubliais la délivrance, histoire de créer quelques problèmes à ce bon docteur qui m’avait interdit de fêter la Saint-Christophe. Il y a pourtant une chose qui me turlupine encore aujourd’hui. Rassures-toi, je n’ai jamais contrarié notre maman lorsqu’elle prétendait que notre papa avait déposé la petite graine dans son ventre. Bon, passons là-dessus. Chacun croit ce qu’il veut. Il y en a bien qui s’imaginent que les cigognes apportent les bébés, alors…
Me revint en mémoire une drôle de scène. Cela remontait au 11 novembre dernier. J’atteignais, alors, mes trente-huit jours. Les savants prétendent qu’à cet âge-là, on ne se rend pas compte de grand-chose. Je leur concéderais volontiers. Je n’étais qu’un petit ver qui passait son temps à se tortiller, le plus souvent dans son lit, à vociférer pour réclamer son biberon. Pourtant…

 

Ce 11 novembre brumeux, la famille s’était endimanchée. Oh non, elle ne s’apprêtait pas à aller devant le monument aux morts pour rendre hommage aux pauvres bougres qui s’étaient fait massacrer au cours des guerres. De toute façon, la cérémonie était terminée puisqu’elle avait eu lieu le matin même.
Un petit mot sur notre monument aux morts. C’était un bien bel obélisque en granit. Bien des mois plus tard, notre maman nous avait lu les belles lettres dorées : « Mort pour la Patrie », « 1914-1918 », « 1939-1945 ». Ma sœur avait demandé :
- C’est quoi la Patrie ?
- C’est… C’est ton pays…
- C’est quoi ton pays ?
- Ben… Ben… Ton pays, la France…
- Les monsieurs sont morts pour la Patrie ton pays la France (exulta ma sœur).
- Oui… Enfin, non… Y’en a quelques-uns qui sont morts pour la France. Les autres sont morts pour l’Allemagne.
- Les monsieurs sont morts pour la Patrie ton pays la France, l’Allemagne.
Revenons-en, si tu le veux bien, à ce jour du 11 novembre dernier.

 

Quasiment un groupe, pour ne pas dire un cortège, me fit entrer dans un édifice froid, sombre, immense, lugubre. Je dis « lugubre » parce que la lumière vacillante des cierges faisait danser d’épouvantables ombres. Un mystérieux bon’ôme en robe nous accueillit. Il était flanqué d’un garçon lui aussi en robe. M’accompagnaient mes parents et ma sœur, bien sûr ; notre mémère et notre pépère ; le nonôn Popaul, la tatâ Nénète et leurs enfants ; la tante Luluce ; la tante Yvonne et son mari. Bien essoufflés parce qu’ils avaient courus :
- On arrive à temps ! (s’exclama la Mimie).
- C’est qu’on voulait pas rater ça ! (renchérit son mari, le Mimil’).
Rater ça ? Rater ça ? Rater quoi donc ? Quoique j’aurai dû m’en douter qu’on me préparait quelque chose de pas net. Car, dès notre arrivée au parvis… Ah oui, dans mon énumération des personnalités, j’avais oublié de citer nos cousins de Hayônche. Ah, les Hayônche ! Donc, nous arrivions au parvis de l’église, notre papa et notre cousin de Hayônche empoignèrent ma poussette et lui firent survoler les quelques marches. Sitôt arrivée sur le parvis, notre cousine de Hayônche s’empara du guidon de la poussette. Nous entrâmes dans cet épouvantable édifice par la grande porte et nous arrêtâmes devant une espèce de bassine en pierre juchée sur un socle également en pierres.
Je n’avais aucun à priori contre ce bon’ôme en robe qui baragouinait une langue étrangère. Pourtant, dès qu’on me porta au-dessus de la bassine en pierre, je commençais à brailler. Ce fut une franche panique, ponctuée de hurlements, lorsque le bon’ôme me mit du sel sur les lèvres. Et, encore plus, lorsqu’il me balança de la flotte sur la tronche. Bénite ou pas, l’eau froide en plein novembre, ce n’était pas du meilleur goût. Il me semble que le bon’ôme en robe psalmodiait : « Sotré, sors de ce corps ». Bon, peut-être que ma mémoire me joue des tours ou réinvente l’histoire…

 

Ah, les Hayônche ! Non seulement ils avaient été les complices de cette infamie. Bien pire, ils avaient arrosé celui-là même qui m’avait martyrisé. En plus de la traditionnelle bonbonnière, ils lui avaient refilé de l’argent. Et à la fin de la cérémonie, en ressortant sur le parvis, ils avaient distribué des dragées à tout va. Sans même m’en offrir ! Depuis, et bien que je ne sache pas encore parler, je devais les appeler parrain et marraine. D’après ce que j’ai compris, ce serait eux qui se substitueraient à mes parents en cas de malheur. Très bien ce truc. Mais, dans la plupart des cas, à quoi pouvaient-ils servir ? Simple, ils offraient des cadeaux à leur filleul. C’est-y pas une fin bonne idée, çà ? Faut lavouer, à l’âge où on me porta sur les fonds baptismaux, me faire des cadeaux aurait été une pure folie. Aussi, mes parrain et marraine m’offrirent-ils une chaîne en or et une croix aussi en or… Des ustensiles pour refouler not’ Sotré.
Et voilà, j’étais baptisé. C’est comme qui dirait que mes parents et toute la famille m’avaient remis entre les mains du Bon Dieu et de son P’tit Jésus. Je pouvais mourir dans l’heure ou dans dix ans, j’irai tout droit au Ciel. Enfin, ils le racontaient. Avec ma sœur, nous étions bien décidés à les laisser discourir. Mais croyaient-ils vraiment à leurs sornettes ? Nous en doutions fortement, car vois-tu, sitôt la cérémonie expédiée, toute la famille, toujours flanquée du Mimil’ et de la Mimie, toute la famille avait pris le chemin de la maison de la mémère Maria. Le cortège jusque là-haut avait été tapageur. Les grandes personnes discouraient, riaient, ils en avaient oublié ce qu’ils venaient de me faire subir.

 

La mémère Maria fut fort contente de notre arrivée. C’est que, la mémère Maria était bien âgée et qu’elle ne sortait plus de chez elle. A part sur le trottoir où la tante Luluce lui installait une chaise devant sa porte. Les femmes s’affairèrent à la cuisine pour préparer le café et servir les gâteaux. Et les hommes ? Ben, les hommes, ils sirotèrent leur café et s’activèrent à réduire le niveau de schnaps dans les bouteilles. De temps en temps, ils sortaient sur le trottoir pour fumer leur clope, le verre à la main.
- Encore un que j’aurai vu naître (s’était extasiée la mémère Maria).
- C’est le septième, mémère (avait rétorqué le nonôn Popaul).
- Et c’est pas fini (avait renchérit notre papa en lançant une œillade moqueuse au nonôn qui avait aussitôt répliqué).
- Ça sera peut-être toi !
- Deux, ça suffit ! (s’en était mêlée notre maman).
Et chacun y alla sur ses prouesses réelles ou supposées à limiter les naissances. Bâ dis-donc, heureusement que ça ne leur avait pas pris quelques mois plus tôt cette histoire. Pour le coup, je ne serais pas né.
Et voilà, c’était ma première fête. Je te le dis tout net, ce n’était pas vraiment une réjouissance. Après tout ces évènements, j’avais une de ces envies de pioncer, mais leur vacarme m’en avait empêché. Vivement que je sois grand, que je puisse moi aussi m’amuser. Le soi-disant goûter s’était prolongé jusqu’à l’heure de l’apéro. Là, la tante Luluce qui vivait avec sa mère, déclara qu’il n’y avait rien de prévu et que chacun aille prendre l’apéro chez lui. Penses voir, les jeunes ne voulaient pas en rester là, ils plantèrent les anciens, c’est-à-dire la mémère Maria, ses trois filles et ses deux gendres. Et au lieu de rentrer chez nous, voilà que le nonôn Popaul invita la cantonade à monter prendre l’apéro chez lui. Et l’on rameuta même le Félix et la Domi qui étaient penchés à leur fenêtre, juste en face.

 
 
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La suite

Soirée épouvantable

Et les supplices n’étaient pas finis…...

(C’est la fête)

 

Le Sotré
~ Purification
~ Soirée épouvantable
La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur dépasse ses 2 ans 1/2, notre maman 25 ans 1/2, notre papa 25 ans, la tante Luluce 56 ans, la mémère Maria 82 ans, le Mimil' 25 ans et la Mimie 24 ans, le nonôn Popaul 35 ans et la tatâ Nénète 28 ans

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 20/10/2023

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