La Bianche-tète

(Le Sotré)

 

Le long couloir traversait la maison. Sombre et étroit, le couloir l’était… Au fond, du plafond, accrochées à des grosses poutres, deux rangées de quatre morceaux de viande…

Un après-midi, ma sœur m’entraîna dans la rue du Beaurepaire. Là, devant une porte en chêne… Une belle grille en fer forgé protégeait la vitre en verre cathédrale. De lugubres grincements. La porte s’ouvrait toute seule. Le long couloir traversait la maison. Sombre et étroit, le couloir l’était. Au fond, du plafond, accrochées à des grosses poutres, deux rangées de quatre morceaux de viande…
Deux petits cercles verts. Des éclairs en jaillirent. Nos ventres grayoutèrent effrontément. Nous étions censément prêts à nous enfuir. Nous étions là, dans ce couloir étroit, sombre, lugubre, angoissant. Un boucan du Diable décampa. Un cri effrayant dérapa. Sur la gauche, juste avant les morceaux de barbaques qui pendaient des poutres, se découpait une ouverture blafarde. Le parquet grognait sous nos pas. Subitement, le brouillard nous enveloppa. Un brouillard à couper au couteau. Les craquements du parquet trahissaient notre prudente progression… Nos cheveux volèrent, le vent s’était levé. Un bruit strident. Une lumière violente. Le brouillard s’ouvrait, nous étions comme aspirés.
Le parquet gazouilla. Une vaste pièce. Au centre, une grande table en bois aux pieds finement sculptés. Autour, pas de chaise, mais un canapé faisait face à deux fauteuils. Contre les murs, des meubles en bois sculpté. Des plantes grasses. Pas une fenêtre.

 

Un macabre cri nous paralysa. Son irruption nous fit sursauter. Ses yeux verts nous sondaient. Il me renifla longuement. Allait-il planter ses crocs blancs ou ses griffes acérées dans ma cheville ? Son corps effleura ma jambe, puis il renifla ma sœur. Satisfait, il se tourna, s’arc-bouta. Un bond le projeta sur un fauteuil. C’est à ce moment-là que nous l’aperçûmes... Le chat noir venait de prendre place sur ses genoux. La lumière du grand lustre découpait un visage fripé, très maigre, blême. Son nez crochu ombrageait sa lèvre supérieure. Son menton avançait. Ramenés en chignon, ses cheveux blancs lui donnaient un air bien effrayant.
La Bianche-tète tout habillée de noir se leva, fit un pas dans notre direction. J’en tremblais aussi fort qu’une poule qui vient d’apercevoir une buse. Je me serrais contre ma sœur. Je dois bien le dire, elle n’était guère plus vaillante. Nous restions comme cloués sur le seuil de la porte. La Bianche-tète s’approcha. De je ne sais où, elle sortit un cornet et… Le cornet bâillait au large, nous invitant à y plonger la main. La Bianche-tète nous offrait des bonbons. Juste à l’entrée du salon, les patinètes attendaient nos godasses. Nous glissâmes jusqu’à…

 

Là, dans l’angle, nous tombâmes en arrêt devant. En bois sculpté comme les autres meubles, bien haut puisqu’elle câlinait le plafond, bien large puisqu’elle réduisait notablement la salle. De jolies vitres décorées de motifs en relief. Ma bibliothèque rigola la Bianche-tète en nous voyant nous pâmer devant les étagères garnies. Elle l’appelait « La Bibliothèque do Dan » sans qu’on en connaisse la raison. Elle ouvrit l’une des portes vitrées, et désigna le rayonnage du haut : « La Légende des Mioches ». La Bianche-tète fit une bonne tête et s’esclaffa : une fiawe. Nous n’étions guère avancés. Alors la Bianche-tète développa. Les fiawes étaient des légendes, des contes ou des fables tirés de la réalité, des histoires vraies très romancées.
Du rayonnage, elle sortit une des choses bizarres et nous fit l’effleurer. Bien sûr, nous connaissions cette chose. Notre maman lisait des romans à l’eau de rose comme elle disait et notre papa des romans policiers ou d’espionnage. Mais les livres de nos parents étaient, somme toute, bien modestes. Jamais nous avions vu et senti une couverture aussi belle, si douce. C’était du cuir avec des dorures. Et des pages à la tranche aussi dorée, aussi fine que du papier à cigarette.

 

Il y en avait des livres. Et des livres. « La Légende des Mioches » racontait les aventures d’une fillette et d’un garçonnet dans les années 1950. A notre grand regret, la Bianche-tète ne pouvait nous lire ces livres. Oh ! Pas parce que nous étions trop petits, non. Ces livres évoluaient sans cesse, remettaient en cause un chapitre, en rajoutaient un. La Bianche-tète nous rassura en disant que nous pourrions les lire lorsque nous serions vieux.
Elle marqua une pause en se raclant la gorge et désigna le rayonnage du dessous : « Les Oiseaux d’Fofa ». Encore un rayonnage plus bas, des fiawes sur le Brésil, l’Afrique, l’Europe… De l’aventure, du rire, du fantastique, de la politique… Encore plus bas : « Le Bourreboyau ». La cuisine de chez nous, s’exclama-t-elle. Etait-ce une de ces histoires que la Bianche-tète allait nous lire ? Au lieu de nous répondre, elle annonça qu’il était onze heures et qu’elle avait le temps. D’un geste souple, elle nous invita à prendre place sur le canapé.

 

La Bianche-tète vacilla en se mettant à joke. Ma sœur était sur le point d’accourir pour la soutenir. La Bianche-tète était bien plus souple que nous ne l’imaginions et bien plus alerte que les vieilles personnes que nous connaissions. Comme les autres, le rayonnage tout en bas contenait des livres, et des livres. Son doigt un peu crochu parcouru l’alignement. Un Ha ! de satisfaction, elle sortit l’ouvrage convoité. Tranquillement, presque au ralenti, elle rejoignit le fauteuil juste devant l’horloge aussi immense que bizarre.
Son livre à la main… D’une grosse voix, elle gronda : Pas les pieds sur le canapé, vous allez l’abîmer ! Ou, alors, ôtez vos chaussures. Elle s’installa confortablement dans le fauteuil et posa le livre sur ses genoux. Les mains longues et fripées réajustèrent le châle sur ses épaules. Elle s’appuya contre le dossier, reprit son livre. Aussitôt, le chat noir revint sur ses genoux, se coucha, ronronna. Un médaillon de poils blancs garnissait sa gorge et son oreille droite était trouée. Il s’endormit, disparut comme ça, d’un coup.

 

Nous étions bien calés sur le canapé, la Bianche-tète prit un air mystérieux. Elle ouvrit le livre… Les ténèbres s’emparèrent de la pièce. Une lumière aveuglante jaillit. Pire que celle de l’appareil photo du Guézète. La lumière se brisa, se fragmenta. Comme l’explosion d’une fusée du feu d’artifice. La Bianche-tète s’amusait avec un nuage de poussière. Le nuage tourbillonnait, rebondissait, s’étirait, se concentrait, s’élargissait. La Terre ! Comment ma sœur avait-elle reconnut notre planète ? Je ne saurais te l’expliquer. Ce qu’elle me montrait, entre les mains de la Bianche-tète, n’était qu’une boule de poussière et de gaz. Elle nous propulsa dans la boule. Le manège des Kiener, c’était de la gnognotte à côté de ce que nous vivions. Nous tourbillonnions. Et nous tourbillonnions…

 

 

 

la suite : Terre !

Version longue

Nos Légendes

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La suite

Version courte

La magie de la Bianche-tète nous émerveille...

(Le Sotré)



 

~ La Bianche-tète
~ Terre !
~ Une Légende !
~ La Suisse des Morts
~ La Grotte
~ Sorti du feu

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot. Ou alors...

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Musée du fantastique

Sarah Warsama
La légende des mioches est l’une des plus belle et des plus mouvantes histoires que j’ai lu ❤
Ce qui est vrai, c’est que pour écrire, chaque auteur à son style. Chez Daniel, on aime la manière dont son imagination fertile et sa sensibilité artistique nous présentent les écrits qu’il conçoit.
Longs ou courts, tous ses récits sont colorés de détails précieusement divertissants, amusants, expressifs et animés de lieux existants ou irréels, quand ce n’est de personnages aux noms évocateur, qui relèvent de la magie. Par d’autres fois, ils sont puisés de la mémoire d’un passé vécu ou tout simplement sortis de son inspiration ardente. C’est le cas pour ses Fiawes où il parvient admirablement à rendre présent l’imperceptible et le merveilleux.

On aime ses réflexions personnelles (lorsqu’il exprime ses pensées en nous faisant sentir les variétés et les nuances les plus subtiles de son dialogue au timbre incomparable, ses flash-back et ses expressions (lorsqu’il veut nous mettre au parfum) telles que : « Que je t’explique, c’est comme qui dirait que…… ».
Quelle que soit la forme utilisée, ces tournures de phrases s’articulent merveilleusement et fusionnent avec les mots en patois lorrain qu’il affectionne et qui ont cette puissance et cette sonorité qui ravivent notre esprit au point de nous plonger irrésistiblement, dans son monde.
J’adore aussi ces interventions après chaque épisode. C’est un moment d’échanges et de dialogues chaleureux où nous pouvons nous lancer à cœur joie pour donner nos impressions et nos hypothèses pour la suite, sans le ménager et en toute confiance, tandis lui, suivant nos réactions, nous fait rire , nous oriente avec ses réponses évasives qui brouillent les pistes ou qui restent en suspens… une façon de faire planer le doute dans nos déductions et faire prolonger le mystère. Je pourrais en dire plus, mais c'est tout cela et bien plus qu'on retrouve dans ses écritures. Je suis fan des mioches et de tous ses récrits, qu’ils soient réels ou fictions.

le 17 mars 2022


Hannah Adan
Sarah Warsama moi aussi. J’attends avec impatience l’épisode de chaque jour. Même ses histoires que j’ai déjà lu me fascinent et me font rire autant comme si c’était la première fois. Ils sont indémodables ❤

le 17 mars 2022

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Date de dernière mise à jour : 29/11/2023

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Commentaires

  • Bernard Antoine

    1 Bernard Antoine Le 03/05/2021

    Quelle imagination tu as! Fantastique conteur, au fur et à mesure de ma lecture, des images prenaient place dans mon cerveau, des images colorées, illustrant ton récit et comme au cinéma, des sons, des musiques emplissaient mes oreilles. C'était tout simplement magique.
  • Daniel Schlauder

    2 Daniel Schlauder Le 03/05/2021

    Merci pour le compliment. Je vais essayer de tenir le rythme.

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