Soirée épouvantable

Purification (suite) - (C’est la fête)

 
 
 

Et les supplices n’étaient pas finis…
Nous étions donc en bas de l’immeuble où habitaient la tatâ Nénète et le nonôn Popaul. Un bien bel immeuble, soit dit en passant, avec un superbe balcon et sa grille en fer forgé à l’angle de la rue. Vers 1900, l’Ackerbrau Kaffee (le Café de l’Agriculture) occupait le rez-de-chaussée. Un bien joli café avec une terrasse qui empiétait le trottoir. Après 1918, le Café de l’Union lui avait succédé. Aujourd’hui, c’était un marchand de meubles. Son atelier de menuiserie-ébénisterie était un peu plus haut dans la rue. Notre papa y avait travaillé trois ou quatre mois. Mais, comme la paie était insignifiante, notre papa avait quitté ce patron trop pingre.
En face, avant 1945, se dressait une belle fontaine avec sa colonne en pierres flanquée d’un réverbère. La modernisation de la rue les avait remisés au musée des souvenirs. L’appartement du Félix se trouvait un peu plus bas, juste au-dessus de la SANAL.

 

Le temps que les grandes personnes discourent, le Félix et la Domi nous avaient rejoints :
- J’apporte les munitions ! (s’exclama le Félix en montrant les trois bouteilles de Martini et celle de whisky dans son sac).
- Fallait pas (protesta mollement la tatâ Nénète).
- Tu parles, ça ne lui a pas coûté cher.
- Dis-donc Popaul (fit semblant de se vexer le Félix) Le whisky, c’est de l’écossais qu’i m’a dit. Il me l’a échangé contre trois Martini.
- T’vâs avoir des ennuis à voler toujours comme ça ton patron (fit notre maman sur un ton de reproche).
- Penses-tu. Tout le monde le fait. Ça s’appelle le complément de paie. Nème Milou !
- Les patrons nous volent assez (approuva notre papa).
Le couârail s'éternisait. C’est que je commençais à avoir faim. C’est que ma marraine m’avait sorti de ma poussette et qu’elle me tenait dans ses bras. Mes cousins et cousines étaient montés depuis longtemps. Ils avaient entraîné ma sœur. Et les grandes personnes péroraient. A dire des blagues qui ne faisaient rire qu’eux. J’avais faim, moi ! Histoire de les activer, je poussai deux trois hurlements.
- C’est bon. T’vâs avoir ton biberon. Tiens, pour une fois, notre maman avait compris mes désirs. Ou elle les avait interprétés. Va savoir. Toujours est-il que les grandes personnes se mirent en branle et attaquèrent d’un bon pied l’escalier. Un seul hic, notre maman gara ma poussette dans le couloir. Et j’allais dormir où ?

 

Cette histoire avait commencé dès notre arrivé chez la mémère Maria. Les adultes s’étaient lâchés. Histoire de les remettre à leur place, j’avais protesté en braillant. Aussitôt, notre maman avait mis fin au carnage : « La journée a été dure. On va le laisser se reposer ». Et tout le monde avait bruyamment approuvé. Comment aurai-je pu me reposer avec leurs bavardages, leurs rires, leur vacarme ? Et voilà que ce soir, ça recommençait. D’abord, on me passa de main en main. Et l’une me farfouillait les oreilles. Et l’autre les pieds. On me trifouillait partout.
- Il a les yeux de son père (affirma le Félix).
- De visage, c’est toi Oda (renchérit la Domi).
- Il sera blond comme sa sœur (prédit ma marraine).
Tu parles, je n’avais même pas un poil sur la tête. Je devais à chaque fois sourire, voire rire, sous menace qu’on me triture le menton. Et chacun s’ingéniait à faire des « arreuh, arreuh » comme si j’étais un demeuré. Ils ne pouvaient donc pas me parler normalement. C’est comme qui dirait que c’était ma fête. Mais de cette fête-là, moi, je n’en voulais pas. Hé, je ne suis pas un jouet, foutez-moi la paix ! Buvez votre apéro et laissez-moi tranquille.

 

Le summum fut atteint après mon biberon et mes trois rots rituels. Mon parrain m’attrapa. Je ne sais ce qu’il lui passa dans la tête, voilà qu’il me « projeta » vers le plafond. Et une fois ne lui suffit pas, il recommença, et il recommença. Ma parole, ce con-là, il voulait me faire dégueuler. C’en était de trop ! Je me mis à brailler, mais à brailler.
- Ça lui fait peur (l’arrêta ma marraine).
- Ta cousine, elle aime bien quand je la lance au plafond.
Sa fille avait trois mois de plus que moi. Elle avait bien de la chance d’être restée avec les anciens chez la mémère Maria. Au moins, elle échappait au délire des grandes personnes. Je te jure. Bon, tu me mets dans mon lit. Cela ne calma pas pour autant mon parrain. Il me relança vers le plafond. C’en était de trop ! J’ouvris en grand la bouche. Vlan ! une giclée. Crois-moi, cette fois, cela le calma pour de bon. Il me confia aussitôt à notre maman qui me déposa dans le lit que la tatâ Nénète m’avait préparé. Mon parrain n’avait plus qu’à aller se débarbouiller.
Le reste de la soirée, mis à part leur tapage, fut plus calme. Enfin, cette soi-disant fête se termina. Pas trop tôt. La fête suivante, c’était la Saint-Nicolas. Mais j’étais bien trop piat pour l’apprécier à sa juste valeur. Tiens, je vais plutôt te parler de…

 
 
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La suite

Le sapin

Les préparatifs…

(La Noël // C’est la fête)

 

Le Sotré
Purification
~ Soirée épouvantable
~ La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des FiawesDimanche 11 novembre 1951

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur dépasse ses 2 ans 1/2, j'ai 28 jours, notre maman 25 ans 1/2, notre papa 25 ans, le nonôn Popaul 35 ans et la tatâ Nénète 28 ans

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 20/10/2023

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