Lorsqu’elle était arrivée chez sa grand-mère, la mémère Maria était toute froide. De sa bouche grande ouverte sortait de gros ronflements, plutôt de douloureux râles. Une demi-heure plus tard, le bon’ôme en robe était accouru pour lui donner l’extrême-onction. Peu après, la mémère Maria avait rendu son dernier souffle. Aussitôt, le nonôn Popaul (la tâta Nénète était restée chez elle pour garder les enfants), le nonôn Popaul s’était précipité pour ouvrir la fenêtre afin que l’âme de la mémère s’envole…
- C’est quoi l’âme ? (interrogea ma sœur).
- T’as le temps de savoir ça (avait simplement répondu notre maman).
- C’est comme not’ Sotré ?
- Si tu veux…
Notre maman ne voulait pas polémiquer. Mais, ma sœur avait fait la relation : le bon’ôme en robe était venu pour chasser not’ Sotré de la tête de la mémère Maria. Alors, plus tard dans la soirée, sous l’apparence de la mémère Maria, not’ Sotré était venu dans le couloir pour effrayer notre maman. N’allons pas si vite en besogne… Retournons chez la mémère Maria.
Un voisin avait téléphoné à notre bon docteur. Et, celui-ci, était revenu pour constater la mort.
- Tout le monde l’embrassait (fit notre maman avec une moue effrayante).
- Et toi ? (demanda notre papa avec un sourire narquois).
- Certainement pas ! J’m’es réfugiée dans l’atelier de la tante Luluce et j’en ai plus bougé.
Notre maman expliquait sa phobie des morts parce que, lorsqu’elle était petite, vers six ou sept ans, on l’avait obligée à rendre hommage à la sœur Pauline. Que je t’explique. A l’époque que ce soit à l’école communale ou à l’école privée, l’enseignement était dispensé par les bonnes sœurs de la Doctrine Chrétienne. Je sais bien que si tu es originaire de l’Intérieur, tu t’imagines que je déraille. Et, pourtant.
Ainsi, puisque l’une d’elles était passée à trépas, les bonnes sœurs avaient décidé que les écolières et écoliers lui rendraient hommage et défileraient devant le cadavre. De cette époque datait le traumatisme de notre maman. Rassures-toi, depuis la guerre, donc à mon époque et à celle de ma sœur, les bonnes sœurs ne régnaient plus que sur l’école maternelle et ces hommages aux cadavres avaient cessé.