Le Décès

(La Mémère Maria)

Nuit, froid glacial et brouillard s’étaient emparés de notre petite ville. La tante Agathe avait fermé ses volets et éteint sa lumière depuis longtemps. Notre maman ouvrit la porte, poussa l’interrupteur… La lumière blafarde flotta dans le long et étroit couloir. Là, au fond ! Là, juste avant la porte de la cour. Là ! Notre maman s’élança, courut, tourna l’angle droit à s’en fracasser l’épaule, cavala à en perdre haleine, butta contre les marches de l’escalier. La porte claqua contre la cloison. Le Fofo se leva d’un bond et écarquilla, autant que nous, de gros yeux effarés.
- Qu’est-ce t’arrives ? (s’affola notre papa).
- J’ai vu la mémère Maria dans l’couloir…
- Oh ! toi (souffla-t-il) Vaut mieux que t’ailles plus veiller...
- Te sais bien, j’ai peur des morts.
Sur le coup, nous n’avions pas réalisé. Cette apparition de la mémère Maria pouvait bien être la manifestation de… Jusque là, personne n’avait entendu la tante brailler son inquiétude. Notre papa rouvrit la porte et, du haut de l’escalier, mentit :
- C’est rien tante Agathe, c’est l’Oda qu’a rater une marche.
- Elle a pas d’mal, au moins ?
- Vous inquiétez pas tante Agathe, c’est juste sa tête qu’est chamboulée.
Et il rigola un bon coup pour complètement la rassurer.

 

Notre maman raconta des choses étranges. Cette histoire avait débutée quelques heures plus tôt. Elle avait descendu le souper à la tante Agathe, notre papa venait de rentrer de son travail à Nancy. Bref, nous étions sur le point de manger lorsque notre mémère entra comme un volcan :
- C’est fini… (lâcha-t-elle en pleurnichant).
- C’est quoi qu’est fini ?
Au lieu de répondre à ma sœur, notre mémère se lança dans un long discours. Elle était passée chez la tatâ Nénète pour la prévenir. Elle était passée à la Sous-préfecture pour prévenir notre pépère, l’avertir qu’elle rentrerait bien tard et qu’il veuille bien téléphoner aux Hayônche.
- Dis mémère, c’est quoi qu’est fini ?
La mémère ne répondit pas plus. Au contraire… Notre bon docteur était passé une heure plus tôt et avait, sur un ton solennel, déclaré : « C’est la fin. Il n’y en a plus pour longtemps ». Notre papa proposa de nous garder. En redescendant, notre maman et la mémère passèrent au presbytère. Le reste de l’histoire, ce fut notre maman qui nous le raconta après son retour en catastrophe.

 

Lorsqu’elle était arrivée chez sa grand-mère, la mémère Maria était toute froide. De sa bouche grande ouverte sortait de gros ronflements, plutôt de douloureux râles. Une demi-heure plus tard, le bon’ôme en robe était accouru pour lui donner l’extrême-onction. Peu après, la mémère Maria avait rendu son dernier souffle. Aussitôt, le nonôn Popaul (la tâta Nénète était restée chez elle pour garder les enfants), le nonôn Popaul s’était précipité pour ouvrir la fenêtre afin que l’âme de la mémère s’envole…
- C’est quoi l’âme ? (interrogea ma sœur).
- T’as le temps de savoir ça (avait simplement répondu notre maman).
- C’est comme not’ Sotré ?
- Si tu veux…
Notre maman ne voulait pas polémiquer. Mais, ma sœur avait fait la relation : le bon’ôme en robe était venu pour chasser not’ Sotré de la tête de la mémère Maria. Alors, plus tard dans la soirée, sous l’apparence de la mémère Maria, not’ Sotré était venu dans le couloir pour effrayer notre maman. N’allons pas si vite en besogne… Retournons chez la mémère Maria.
Un voisin avait téléphoné à notre bon docteur. Et, celui-ci, était revenu pour constater la mort.
- Tout le monde l’embrassait (fit notre maman avec une moue effrayante).
- Et toi ? (demanda notre papa avec un sourire narquois).
- Certainement pas ! J’m’es réfugiée dans l’atelier de la tante Luluce et j’en ai plus bougé.
Notre maman expliquait sa phobie des morts parce que, lorsqu’elle était petite, vers six ou sept ans, on l’avait obligée à rendre hommage à la sœur Pauline. Que je t’explique. A l’époque que ce soit à l’école communale ou à l’école privée, l’enseignement était dispensé par les bonnes sœurs de la Doctrine Chrétienne. Je sais bien que si tu es originaire de l’Intérieur, tu t’imagines que je déraille. Et, pourtant.
Ainsi, puisque l’une d’elles était passée à trépas, les bonnes sœurs avaient décidé que les écolières et écoliers lui rendraient hommage et défileraient devant le cadavre. De cette époque datait le traumatisme de notre maman. Rassures-toi, depuis la guerre, donc à mon époque et à celle de ma sœur, les bonnes sœurs ne régnaient plus que sur l’école maternelle et ces hommages aux cadavres avaient cessé.

 

Le lendemain matin de la fameuse soirée chez la mémère Maria, notre maman avait accompagné notre mémère pour commander le cercueil au père Galate. Puis elles étaient passées au presbytère pour organiser les obsèques avec l’abbé. Ah, l’abbé un grand et costaud gaillard avec une grosse voix. Lui aussi, comme le curé, portait une longue robe. Mais, l’abbé était moins fort. Et, pourtant, le curé était tout petit et tout maigrichon. Notre papa avait essayé de nous expliquer la différence entre les deux bon’ômes en robe :
- Le curé, c’est le capitaine. L’abbé, c’est le sergent.
- Et les enfants de chœur ?
Notre papa s’était gratté la poyate et avait fini par lâcher :
- C’est les soldats.
Ce n’est pas que les explications de notre papa ne nous aient pas convaincus, mais nous avions du mal à imaginer le curé, l’abbé et les enfants de chœur comme des militaires. Nous avions été voir un film de guerre dans l’ancienne salle d’un hôtel. Nous y étions allés avec le Mimil’ et la Mimie, des copains de nos parents. Juste un mot. Ma sœur avait bien aimé, elle était sortie de la salle en faisant des « tchi-tchi » et des « pan-pan ». Quand à moi, je ne pourrai me prononcer puisque j’avais ronflé… Bon, nos parents, eux, ça leur avait bien plu. Surtout notre papa et le Mimil’ qui ne tarissaient pas de commentaires. Cela devait, sans doute, leur rappeler quelque chose.

 

Donc, notre maman avait accompagné notre mémère chez le père Galate et au presbytère. Notre maman ne s’était guère attardée chez la mémère Maria. Elle avait raconté à la tante Agathe, qui nous avait gardés, le Fofo, ma sœur et moi pendant ce temps-là, elle lui avait raconté que c’était un incessant mouvement : la famille éloignée, des voisins, des connaissances… Notre papa était passé le soir en rentrant du travail. Il avait dit que les Hayônche étaient arrivés en fin d’après-midi.
- Et nous quand qu’on va voir la mémère Maria ?
- Vous irez plus tard (avança notre maman).
- Pourquoi pas maintenant ! (trépigna ma sœur).
- Fait nuit…
- On ira demain, nème môman ?
- On verra…
Le lendemain, ma sœur remit sur le tapis la visite à la mémère Maria. Là, notre maman prétexta qu’elle avait son ménage à faire. Aujourd’hui, ma sœur n’irait pas chez notre mémère comme les jours précédents. Notre mémère était chez la mémère Maria pour préparer son départ pour je ne sais où.
Sur le coup de quatre heures, enfin un peu plus tôt, notre maman descendit seule chez la Dédée pour acheter du pain et quelques autres victuailles dont du vin pour notre papa. Durant ce temps, nous étions chez la tante Agathe. C’est là qu’arriva la Catinète.

 

La Catinète était une jeune fille fort gentille. Elle avait toujours un mot pour nous. Même que, parfois, elle nous apportait des bonbons. Alors, tu vois qu’elle était vraiment gentille. La Catinète « fréquentait le Tonio » avait dit notre maman en rajoutant « Il feront un beau couple ». Notre papa l’avait approuvée.
La tante et la Catinète avaient discuté de la mémère Maria et de son prochain départ. Leur conversation était surréaliste, elles faisaient allusion à des choses que nous ne comprenions pas. Surtout lorsque la Catinète demanda comment nous réagissions à la chose. La tante avait levé les mains en signe d’impuissance et avait lâché à voix basse : « Ils ne se rendent pas bien compte ».
Chez la tante Agathe, la Catinète faisait le ménage deux fois par semaine. Elle avait pratiquement terminé son ouvrage lorsque notre maman revint de ses courses. La Catinète présenta ses sincères condoléances à notre maman. Tiens, elle embrassa notre maman, c’était bien la première fois.
- C’est bon Catinète, c’est assez propre (décréta la tante).
- J’ai encore votre armoire à dépoussiérer…
- Vous le ferez la semaine prochaine. Faites donc un bon café.
- Oh, Demoiselle Agathe, vous me poussez à la paresse. Vous êtes comme Monsieur Goupil. Madame Oda, un café aussi ?
- Je monte mes courses et je vous redescends mon linge (c’est que la Catinète faisait notre lessive) J’veux bien du café aussi, Catinète.
Notre maman avait rangé les courses de la tante. Celle-ci avait fait semblant de protester :
- Vous m’avez pas ramené de vin, Oda ?
- Bâ alôre, vous buvez du vin maint’nant ?
La tante avait rigolé un bon coup.
- Vous z’êtes taquines Demoiselle Agathe (plaisanta la Catinète).
Ainsi c’était déroulé cette journée. Et le lendemain, la Licorne emmenait la mémère Maria on ne sait où…

 
 
Flech cyrarr

La suite

La Licorne

Un bien étrange cortège...

(Le Sotré)

 

Le Sotré
~ La Licorne
~ Le Décès

La Gazette des Fiawesxxxxxxx

En savoir plus sur les personnages, sur les lieux, sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire