Deux ou trois jours passés la funeste veillée, notre papa avait pris congé. Ce matin-là, notre maman nous bouscula contrairement à son habitude. Elle nous laissa à peine saluer Fanny et nous embarqua vers le petit déjeuner. Nos parents s’étaient habillés en noir, ils nous confièrent tous les trois, le Fofo, ma sœur et moi, à la tante Agathe.
La pièce qu’occupait la tante était relativement grande. Un large lit, une belle armoire, une petite table accompagnée par trois chaises. La tante tirait les chaises vers la fenêtre. Elle s’installait sur l’une, moi sur ses genoux, tandis que ma sœur et le Fofo grimpaient sur les autres chaises. Ainsi nous profitions de la rare animation de la rue. Selon la température extérieure, la fenêtre était ouverte ou pas. Aujourd’hui, il faisait bien froid.
Peut-être deux heures que nous étions à la fenêtre, les cloches carillonnèrent lugubrement. Le Fofo s’éveilla, se leva, les oreilles dressées. Les pattes de derrière sur la chaise, celles de devant sur l’appui de la fenêtre. Fanny et la Catinète s’étaient installées sur le bord de la chaussée, juste en face. Elles discutaient d’un air grave. Fanny cria quelque chose. La tante ouvrit la fenêtre. Brrr, un de ces froids s’engouffra. Fanny répéta :
- Les Mioches ça va ?
La tante Agathe lui répondit un :
- Ils ne se rendent pas compte.
- Ça vaut mieux, les pauvres.
La tante referma aussitôt la fenêtre. Dans un couinement de frein arriva le Fanfan. Il gara son vélo contre sa maison et rejoignit sa femme et la Catinète. Le Fofo tourna la tête sur la gauche. Fanny, le Fanfan et la Catinète regardaient dans la même direction. Un drôle de bruit tintait sur les pavés. Un homme habillé de noir avec un surprenant chapeau surmonté d’un plumet aussi noir menait un cortège :
- C’est le suisse (commenta ma sœur pour étaler sa science) Hein, tante Agathe, c’est vrai ? (Elle confirma d’un hochement de tête) M’sieû Wèrdin, celui qui prend les sous au marché. Nème, tante Agathe ?
« Le placier du marché » approuva-t-elle. Suivaient trois gamins en robe noire, « Les enfants de chœur » poursuivit ma sœur. Un brandissait une croix, un autre portait « Le Truc qui chmèke »…
- L’encensoir (précisa la tante) Mais chmèker, c’est aimer. Tu aurais dû dire : je chmècke pas le truc qui pue.
Le troisième enfant de chœur portait : « La Gling’-gling’ »… « La clochette » rectifia la tante. Venait ensuite le bon’ôme en robe, cette fois habillé en violet, un livre à la main. Moôn ! Mikète, la Licorne.
- Elle est belle avec sa corne toute noire (approuva ma sœur).
Pour l’occasion, deux autres voisins avaient rejoint Fanny, le Fanfan, et la Catinète. Ils firent un signe de croix, le Fanfan enleva son képi et son voisin son béret.